Dessin de femmes juives sépharades SefWoman Jewpop

RIP Mémé

8 minutes de lecture

Elle est morte dans son sommeil. « La belle mort » a dit le médecin venu constater le décès. Comme si on avait besoin d’un médecin pour constater que quelqu’un ne respire plus. On a regardé « Urgences », connard. « La belle mort », ça ne veut rien dire en plus. C’est comme le rabbin, c’est obligé ? Elle qui foutait jamais les pieds à la synagogue. Moi, pour parler d’elle, j’aurais appelé sa pharmacienne ou son cardiologue. Eux la connaissaient vraiment.
 

Le rabbin, quand il ne connait pas le mort, il parle des vivants. Un peu comme toi à l’oral du bac, quand tu tires au sort « La Nausée » de Sartre et que t’essaies quand même de parler de « L’Étranger » de Camus, que t’as révisé comme un dingue.

C’est pas le rabbin qui était de corvée tous les dimanches, c’était moi. « Amri, passe par Belleville. Prends-moi je t’en prie des boulous et des bouscoutous ». Mémé, c’était son drame. La seule chose qu’elle ne savait pas faire : les gâteaux. C’est ce qu’elle aimait le plus. Quand j’arrivais, elle préparait les assiettes en rigolant : « Dans le conte de l’autre là adek « Le petit chaperon rouge », il apportait à sa grand-mère des galettes et un petit pot de beurre… irrhhh des galettes… je ne crois pas moi, il lui apportait des borégues et des sandwichs tunisiens, oui ! ». Et on riait en mangeant. À la télé : « Starsky et Hutch ». Deux noms qu’elle n’a jamais réussi à prononcer convenablement.

Le rabbin, il ne connaissait pas Mémé. Il ne sait pas qu’elle est née à Gabès. Qu’elle avait épousé Edmond, beau garçon mais pas très sympa. « Sa famille, c’était des durs » racontait-elle en serrant les poings. Ma mère disait qu’il avait la main lourde sur ses enfants et légère sur la bouteille. Mon père, son voisin à Tunis, se souvient qu’«il jouait souvent à l’extérieur », comprenez, il découchait pas mal. Il est mort en 1967, quelques semaines avant la guerre des Six Jours. « Décidément, dès qu’on a besoin de lui, il est aux abonnés absents » a dit Mémé en prenant sous le bras ses 7 enfants et 3 valises de cuir marron. Direction Paris.

Le rabbin, il patauge dans son discours. Allez, un petit mot sur la paracha ça ne mange pas de pain. Jolie la pirouette. Mémé, elle voulait que j’épouse un garçon bien élevé, genre « Michel Drucker ». Elle m’a offert mon premier soutien-gorge, a fait les youyous, les beignets et averti tout l’immeuble quand j’ai eu mes ragnagnas avec un très elliptique « c’est pour la petite ».

Mes frères expriment leur chagrin chacun à leur manière, un mélange de fatalisme, de pudeur et, avouons-le, de beaucoup de conneries. Au cimetière, à tour de rôle, ils viennent à côté de moi, enfilant avec une sincérité idiote des banalités.

Stéphane, agent immobilier même le dimanche et jours fériés : « Tu savais qu’elle avait vendu l’appartement de Cannes ? Sur les hauteurs avec vue sur la Californie, elle a dû croquer grave ! »

Éric, qui a fait son alya et n’en revient toujours pas d’avoir dû payer un billet et prendre le premier avion pour Paris : « Pourquoi on l’a pas enterré en Israël ? Tu savais que lors de la résurrection des morts, les défunts vont devoir marcher de leur dernière demeure jusqu’au mont des Oliviers. Pantin-Jérusalem, ça fait une trotte ! Elle qui n’aimait pas marcher, ça va lui faire bizarre. »

David, courtier en assurance hyper-prévoyant : « J’ai prévenu maman, si elle commence à hurler au cimetière comme une hystérique, je remettrai plus jamais les pieds à la maison ! »

Daniel, papa poule à temps plein et psychologue en grève : « Je dois aller chercher les enfants à 16h30 à la sortie de l’école. Tu crois que ce sera fini ? C’est vraiment pas un super créneau. T’as de la chance, toi, c’est ta semaine sans Solal… »

Aujourd’hui, il reste les souvenirs et ce que j’ai trouvé à côté du téléphone. Son répertoire, qui avait une organisation très personnelle et plein de numéro à 8 chiffres. « Appelle le boucher, Amri, tu trouveras son numéro. Comment ça, où ? A la lettre V, comme viande ! »

À la lettre B, j’ai trouvé « Boulous : Notaire Mr Fillioux… Rdv le 21 décembre 2011 pour donner à la petite l’appartement de Cannes. » Il a raison Stéphane, Mémé elle a croqué grave !

The SefWoman

Ma philosophie se situe entre « A Kippour tout le monde pardonne, sauf moi » (Raymond Bettoun) et « Dieu n’existe pas, mais nous sommes son peuple » (Woody Allen)

Visuerl The SefWoman

Abonnez-vous au compte Twitter de The SefWoman
The SefWoman sur Facebook
Retrouvez d’autres chroniques de The SefWoman sur Jewpop :
Les 5 pensées parasites quand tu te retrouves devant le Kotel
La alyah moi jamais !
Petit manuel de survie à « La vérité si je mens ! 3″ au bureau
Le faire-part
Mais pourquoi on fait pas Noël maman ?
Le – presque – voyage de Louis Aliot en Israël
Le Top 5 des phrases à ne pas dire face au rabbin qui vous demande de prouver votre judéité
Le Top 5 des raisons pour lesquelles la Séfarade veut épouser un Ashkénaze

© illustration :  Ella Pozinivsky Bergelson / DR

Article publié le 11 février 2012, tous droits de reproduction et de représentation réservés © 2019 Jewpop

Laisser un commentaire

Your email address will not be published.

S'abonner à la jewsletter

Jewpop a besoin de vous !

Les mendiants de l'humour

#FaisPasTonJuif