Suite à la parution d’un article du blog Avenir du judaïsme mettant en cause, entre autres, le rabbin Pevzner, dans une sordide affaire de chantage au Guet, le Rav Pevzner en question a fait circuler un droit de réponse. Au vu des contradictions internes et de certaines anomalies qui y sont présupposées, il semble raisonnable de se demander si ce démenti n’est pas un «fake», destiné à enfoncer encore plus profondément les rabbins mis en cause.
Mais que ce démenti provienne ou non de sa plume, il nous a semblé instructif, en bon ami des mots et amateur de l’argumentation, d’en proposer une analyse sémiologique. La plume faisant parfois des lapsus, laissant échapper cette vérité qu’elle veut contrôler, l’exercice de l’explication de texte semblait taillé pour ce démenti. Juste pour le plaisir de l’exercice de décryptage et sans se prononcer sur la réalité des faits. Les mots, rien que les mots. Mais les mots qui mènent parfois à trahir la réalité mieux que n’importe quel «fait» ou «preuve».
Vous connaissez sans doute cette blague célèbre : un homme emprunte à son ami son rasoir. Il le lui rend cassé. Ce dernier lui demande alors pourquoi il lui a cassé son rasoir. Et l’ami de répondre : «D’abord ce n’est pas moi qui l’ai cassé, il était déjà cassé quand tu me l’as prêté et puis je ne t’ai jamais emprunté ton rasoir». Le caractère drôlatique de cette blague provient de ce que l’homme, se contredisant lui-même, ruine les différents mensonges, plausibles lorsqu’ils sont pris séparément, mais auto-réfutants lorsqu’on les met côte à côte.
Le démenti du rabbin Pevzner emprunte exactement la même structure que cette blague. D’abord, le déni. Ensuite, la réécriture de l’histoire, en inversant les responsabilités. Enfin, la mauvaise foi pure et simple.
Après les usuelles menaces de plainte pour «calomnie mensongère» (tiens d’ailleurs, une calomnie étant par nature mensongère, pourquoi ce besoin d’insister sur le mensonge de la calomnie ?), les traditionnels cris d’orfraie du gamin pris en faute «C’est pas moi M’sieur, j’ai rien à voir là-dedans, chuis pas concerné !», ainsi que le reproche moral voilé, genre NSA à Snowden, « Comment toi, quelqu’un de si bien, oses-tu tremper là-dedans, dans le scandale, le racolage ? C’est pas bien !», le Rav Pevzner nous raconte sa version des faits.
Il aurait été subitement contacté, tel l’homme providentiel, le matin du Guet, par un éminent responsable du Consistoire (on reconnaît le Grand rabbin Gugenheim, ce n’est pas sympa Monsieur Pevzner de balancer les copains !), pour y assister et jouer le rôle de «facilitateur» (chez nous, on appelle comme ça les laxatifs, je ferme cette parenthèse digressive). La famille de l’épouse aurait décidé d’elle-même, très spontanément, de proposer un «accord amiable», notamment concernant le «dédommagement financier réclamé par le mari» et l’idée leur serait évidemment descendue comme le Saint-Esprit sur la Vierge, de faire un don aux institutions Sinaï de 90000 euros, sans que personne ne leur glisse le nom, rien, comme ça, par amour des Loubavitch, ou peut-être parce que le Rabbi serait apparu en rêve à l’un d’eux. La beauté de l’acte gratuit.
Arrêtons-nous sur les termes car ces quelques lignes sont une très belle leçon d’euphémisme :
1) L’ «accord amiable» pour le Guet. Amiable par opposition à quoi ? Contentieux ? Judiciaire ? Serait-il question ici de la procédure au civil pour préjudice moral dont parlent les médias ? Il semblerait, selon ce qu’ils en disent, que l’épouse était en procédure devant les juridictions civiles pour non-remise de Guet comme volonté de nuire. Et la famille, d’un coup d’un seul, et alors même qu’elle n’avait aucune raison de proposer «un accord amiable» (quel odieux terme pour désigner la soumission à un chantage), «accord» qu’elle avait refusé pendant cinq longues années et alors que la procédure arrivait à son terme, se serait bénévolement proposée ? Il y aurait vraiment des gens très très bêtes…
2) Un «dédommagement financier» réclamé par le mari ? Un dédommagement présuppose un dommage. Le rabbin Pevzner suppose donc que le mari a été lésé par son épouse et que la juste réparation de ce dommage (mais alors pourquoi en échange du Guet ? Quel rapport avec le prétendu dommage ?) est une compensation financière. Pourquoi pas. Nous ne connaissons pas les protagonistes personnellement, et peut-être la femme a-t-elle réellement blessé son époux par on ne sait quel outrage (hallot ratées, pas de massages de pieds le vendredi soir ? L’histoire reste silencieuse sur ce sujet) Mais alors, un dédommagement financier pour quoi ? Pour la douleur égotique de devoir donner le Guet à son épouse alors qu’on l’a fait traîner depuis cinq années ? Pour le Guet lui-même ? Pour avoir été quitté ? Et puis, le rabbin Pevzner applique-t-il la même règle du dédommagement financier aux épouses dont il estime qu’elles ont été lésées par leurs époux ? Je demande à voir.
3) Et là, la blague, le lapsus, la plume qui flanche, qui trahit : «D’un commun accord, ils ont proposé que cette somme soit offerte comme don à une de nos associations». Quand je propose quelque chose, ce qui est présupposé par la proposition, c’est qu’elle vienne de moi, que l’initiative soit attribuée au «je» qui parle. Quand nous faisons quelque chose «d’un commun accord», il est entendu que la décision a été prise suite à une discussion à deux, un compromis. Je me vois mal proposer à mon épouse «une sortie d’un commun accord», ou encore proposer un café à mes invités d’un commun accord. Quelque chose cloche dans la formulation, et ce quelque chose qui cloche est signifiant.
On revient à nos moutons barbus : qui alors a «proposé d’un commun accord» que l’argent soit versé comme don à une association de Monsieur le Rav Pevzner, qui rappelons-le, n’était à ce moment-là pas du tout impliqué dans l’histoire, cf. les lignes d’avant (et son nom aurait été sorti du chapeau comme par magie) ? La famille ? Le rabbin en charge de la négociation ? Pourquoi, lui, parmi les centaines d’associations existantes ? Pour sa proximité avec le mari, qu’il admet lui-même connaître ?
4) Et puis, la question qui fâche : si l’argent était finalement destiné à être un don à une association, quid du «dédommagement financier demandé par l’époux» dont parle Pevzner quelques lignes plus haut ? Le malheureux époux récalcitrant en attente de dédommagement aurait-il été prêt à se démunir et à se retrouver, telle la cigale de La Fontaine, «fort dépourvu» une fois le pactole cashérisé dans une association ?
Deux hypothèses : a) Ou bien le monsieur en question est un grand tzadik, et aurait été prêt à renoncer à l’argent pour les bonnes œuvres (mais tout de même, cinq ans pour se voir passer sous le nez le butin, ça fait mal, non ?)
b) Ou bien le fameux don était une façon de cacher le chantage (tout de même, 90000 euros d’un coup, le banquier se pose des questions, non ?) et l’argent n’aurait fait que transiter en partie par l’association pour être, osons le mot, blanchi. Attention, nous ne portons ici aucune accusation, hein, nous poussons simplement un texte dans ses retranchements logiques.
Ensuite, le sieur Pevzner explique son rôle de grand juge magnanime. Il aurait décidé que les choses avaient «assez duré». N’aurait-il pas pu décider cela un peu plus tôt, avant que la femme ne perde objectivement cinq années de sa vie sans pouvoir se marier ni avoir de relation amoureuse ? Cinq ans, c’est trop, mais quatre, c’est bien ? Il suggère donc que s’il l’avait décidé plus tôt, il aurait pu aider au dénouement de la situation plus tôt. Quel a été le moteur de sa décision ? La compassion ou le chèque ? Il aurait, toujours selon ses dires, eu un rôle essentiel dans la libération de la jeune femme (on verse sa larme devant tant de bonté).
Enfin, apothéose suprême, lapsus magnifique, il affirme ceci : «Dès que j’ai constaté à la fin de la cérémonie de l’énorme machination et piège qui nous a été tendu, j’ai refusé catégoriquement de prendre le chèque et il a été devant moi restitué à la famille».
Traduisons : sitôt qu’il a constaté que les personnes s’étaient prémunies en prévenant la police et en s’équipant de caméras, il aurait refusé de prendre le chèque. Ce qui présuppose là aussi, qu’en l’absence d’une telle prise de conscience, il l’aurait accepté ! Donc, conclusion 1, il comptait bien accepter le chèque. Conclusion 2, il a rendu le chèque dès qu’il a compris qu’il était en danger et que tout cela risquait d’être dévoilé. Le «refus catégorique» est également très drôle, comme si on l’avait supplié d’accepter le chèque et qu’il aurait, tel un parent sévère face à la demande d’un enfant, catégoriquement refusé. Je n’ai pas souvenir d’avoir lu que le chèque avait été gardé ou encaissé, j’ai entendu parler de «tentative d’extorsion de fonds». En cherchant à s’excuser par ce fait hypothétique que le chèque aurait été rendu, le rabbin Pevzner démontre qu’il est impossible qu’il l’ait rendu de son plein gré.
Et tout cela est contenu dans ses propres propos ! Les tours que la langue nous joue me laisseront toujours sans voix. Je dois avouer, que, si j’ai tendance à être du côté des sceptiques dans un scandale et que je doute de tout, même de moi-même, ce démenti a réussi à faire ce qu’aucun article sur le sujet n’avait réussi à faire : me convaincre de la véracité des faits évoqués.
Sans rancune, Monsieur le rédacteur de ce démenti (qui n’est peut-être pas le vrai Rav Pevzner, espérons-le pour lui), vous avez illustré à la perfection une très belle expression française : «scier la branche sur laquelle on est assis».
Tony Assayag
© photos : DR
Article publié le 7 mai 2014. Tous droits de reproduction et de représentation réservés © 2014 Jewpop
Le droit de réponse du rabbin Pevzner, ou pourquoi n'est pas Jérôme Cahuzac qui veut
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[…] 7 mai 2014 • 1 Comment Par Tony Assayag (JewPop.fr) […]