Delphine Horvilleur a détrôné les gilets jaunes sur les Unes de la presse française avec ses «Réflexions sur la question antisémite» ; Soral vient d’être condamné à un an de prison ferme pour incitation à la haine raciale ; le BDS, ce petit groupe d’antisémites déguisés en Robin des bois, veut interdire à Enrico Macias de jouer au Maroc (si !).
Bref, la question de l’antisémitisme, qui (pré)occupe les juifs depuis le fin fond des nuits séleucides – et que l’on croyait avoir enfin un peu oublié à la faveur des soldes – refait surface à la une des médias. Je me suis dit qu’il était temps d’aborder la question, un peu comme l’Exodus en 47, de front. À partager sans modération avec vos copains qui n’aiment pas les juifs.
Depuis des années, face aux discours antisémites, j’entends les juifs autour de moi tenter de dénier les clichés dont ils font l’objet : certains protestent mollement, d’autres s’offusquent, d’autres enfin, passent par le détour des étapes nombreuses d’une rhétorique si sinueuse qu’ils en oublient le début (toi, tu as étudié le Talmud). Tout, mais tout, pour ne jamais donner raison aux critiques antisémites. « Nous ? Naaan, mais quand on dit “peuple élu”, ça ne veut pas vraiment dire ça… ça veut dire être au service des autres, tu sais ? » (traduction : la “lumière des nations”), « Nan mais “élu” c’est un bien grand mot, ça veut juste dire être un membre comme les autres du grand corps que constitue l’Humanité » (NDT : la tête, bien sûr. Les autres, ils peuvent bien faire l’orteil gauche). « L’argent ? Naaaan, mais on n’en n’a pas tant que ça, proportionnellement ; d’ailleurs on ne l’aime pas, l’argent ; et puis, t’as qu’à venir voir à Sarcelles. Nous aussi on en a, des pauvres. » Miskin.
Pourtant, quand je me balade à Paris place Pereire dans le 17ème, et que je vois Madame couscous-boulette en brushing faux-blond et slim faux-cuir en triple file avec sa Mini Cooper qui prend tout le passage piéton et gueule dans son téléphone à base de laister tout en engueulant les gens qui lui demandent si ça ne la dérange pas de se garer juste à côté, parfois je me dis qu’on leur donne un peu trop de raisons de nous haïr, aux antisémites. Enfin ça, c’est une autre histoire. Bref. Non, le vrai truc, c’est que je me suis dit : et si on arrêtait juste pour une fois de protester aux grands cieux dès qu’on entend un cliché antisémite ; et si pour une fois, on se retournait face au miroir et on disait « OUI. » Sous-entendu : « Et ?», face à ceux qui nous accusent de trucs débiles ? Le résultat en huit clichés.
Les juifs se prennent pour le peuple élu
Mais tout à fait. C’est même Pentateuque 1.0.1. (chumash pour les avertis). D’ailleurs on le répète à toutes les prières du kiddouch de shabbat, alors fais pas semblant que tu savais pas. Cette histoire de peuple élu, c’est d’ailleurs bien ce que nous disputent ces copieurs de chrétiens et de musulmans – non mais au passage, concurrence déloyale, on aurait dû déposer la marque. Et aussi les Chinois, qui se prennent pour “l’Empire du Milieu”, les Japonais, “pays du Soleil levant” – sans parler des Français, steup, le peuple « cocorico », ou des Américains, qui ont eu le toupet de s’auto-qualifier de “Nouvelle Jérusalem”. Et je te raconte pas du côté des brahmanes en Inde.
Bref : désolé, on n’est pas meilleurs que les autres : comme tout le monde, on se prend pour le centre du monde. Va essayer de dire à ta mère que c’est pas vrai.
Les juifs ont de l’argent (1)
Alors j’avoue, parmi les fortunes du monde occidental, on est assez visibles. T’as les boules, hein ? Moi je kiffe. Déjà parce que, côté ashké, nous qui étions des rescapés en guenilles il y a quelques décennies, comme côté sef, nous qui nous sommes fait virer sans cérémonies des pays des makroud et du thé à la menthe avec une main devant et une main derrière pour devoir tout recommencer ailleurs (le label « migrant », c’est presque nous qui l’avons inventé), je suis trop fière qu’on se soit refaits si vite, comme ça, partout dans le monde : aux États-Unis, au Canada, en Argentine, au Brésil, en France, et même en Allemagne, où la fondation Lauder, créée par le fils de cette super businesswoman survivante de la Shoah, sponsorise le renouveau de la culture juive allemande.
Donc non seulement ouais, les juifs ont de l’argent, mais en plus, ils s’en servent – et pas seulement pour payer la liposuccion à ma copine de Pereire. Et moi je kiffe d’avoir tous ces donateurs qui ont fait revivre le monde de l’étude juive et de l’éducation juive après que la Seconde Guerre mondiale nous eût mis exsangues, ces juifs pleins de thunes qui ont fait s’ériger des bibliothèques et des musées, des orphelinats et des œuvres caritatives, et qui ont permis au petit État hébreu créé il y a quelques décennies de ne pas sauter sous les coups de la haine. Car l’argent, ça ne sert pas seulement à kiffer – bon à crâner, j’avoue. C’est aussi ce qui fait notre force.
Bref : faut arrêter de jouer les prudes dès qu’on parle de thunes. Ce n’est pas l’argent qui pue, ce sont les gens. La thune, c’est le meilleur instrument contre la mort des cultures et le meilleur pied de nez à la vie quand elle nous crache à la gueule – et aux connards qui ont voulu nous l’enlever.
Les juifs ont de l’argent (2)
Non parce qu’il fallait au moins deux paragraphes là-dessus. Là, c’est la version « racines historiques ». Donc oui, depuis des siècles, même si ça ne marchait pas forcément, on a tout fait pour en avoir, de la thune. Parce que quand tu es en diaspora (aka peuple sans domicile fixe) pendant deux millénaires, que tu te fais taxer régulièrement ou spolier par le roi, puis virer sans cérémonie même après des siècles d’enracinement dans un pays où tu te croyais chez toi et qu’il faut tout recommencer, alors tu développes des stratégies de survie. Privé de terre et promis à l’exil à tout moment, tu exerceras des métiers portatifs : tu seras médecin, avocat, banquier (demande aux chrétiens médiévaux d’où ça vient), commerçant, bref toutes les professions où tu peux recommencer à zéro et te refaire vite une santé !
1. Parce qu’on va te taxer à mort en tant que juif, et 2. Parce que tu sais que s’il y a au moins une chose que les gens respectent et qui te garantiras un minimum d’intégration sociale, c’est la thune. Donc, tu en fais. Et aussi pour faire un pied de nez à tous ceux qui t’ont réduit à la misère pendant des siècles. Fais un court voyage dans le temps et vas visiter les shtetl de Pologne et les mellah d’Iran où les juifs crevaient de faim, tu vas voir si les juifs avaient de l’argent. Et sérieux, va à Sarcelles. Ou dans le 19ème à Paris. Ou en Israël, où à côté des restos hors de prix pour les vacanciers et autres expats de Tel-Aviv, le sabra lambda doit faire limite deux boulots six jours par semaine pour se payer son houmous.
Bref : Les juifs qui ont de l’argent, ce sont ceux que tu vois. Nuance.
Les juifs aiment l’argent
Euh… pas toi ?
Les juifs influencent les hommes politiques et les médias (aka le lobby juif)
Aaaah, le “lobby juif”… C’est souvent dit comme une insulte. Mais en fait, moi je trouve ça non seulement normal, mais aussi très sain : évidemment que comme tous les groupes sociaux, on a des lobbies pour défendre nos intérêts ! T’as entendu parler des syndicats ? Des francs-maçons ? Des lobbies de ceci ou cela ? Des réseaux libanais ? De la mafia chinoise ? Des Italiens ? Des groupes russes ? Tout le monde se rassemble pour défendre ses intérêts. C’est normal, et c’est même, socialement parlant, sain. (Relire Simmel).
Bref : je te dirais que non seulement, en effet, on a des lobbies juifs, mais en plus, que comme une bonne mutuelle, c’est très bon pour la santé. Et toi, tu en as une ?
Les juifs tiennent les médias et les hommes politiques
J’ai même entendu un chauffeur de taxi algérien m’expliquer l’autre jour avec le plus grand sérieux – et au cas où je ne le saurais pas – que Poutine et Merkel, en vrai, sont juifs, et qu’ils manigancent, je cite, « avec les sionistes » pour « dominer le monde ». Voui. Poutine dans le rôle du fils prodigue du complot juif. C’est pas mal, non ?
Dominer le monde, pour le président russe qui ne cache pas ses velléités d’expansion impérialiste, je veux bien. Mais les “sionistes”, comme tu dis, au cas où t’aurais pas remarqué, ils s’en foutent un peu du reste du monde (on pourrait d’ailleurs presque le leur reprocher). Ils veulent juste être tranquilles chez eux, dans leur pays. Je veux dire, le bail coûte assez cher, sans parler des embrouilles avec les voisins.
Bref : les lobbies, je veux bien. Mais quand on vient parler de mainmise sur les médias, tout ça parce que t’as deux noms de journalistes qui sonnent un peu trop casher, ça s’appelle de la paranoïa. Donc si tu veux, je connais une très bonne psychiatre dans le IXe. Oups, elle est juive. Décidément, ils sont partout.
Dessin de Reiser publié dans Charlie Hebdo
Les juifs se donnent le monopole de la souffrance avec la Shoah
Alors déjà, ça c’est un « monopole », si tu veux, qu’on te refilerait volontiers. Ensuite, bien sûr, on n’a pas été les seuls a souffrir récemment. Tous les historiens le disent : le XXème siècle a été le plus meurtrier de l’histoire de l’humanité. En quelques décennies, on a vu se succéder la boucherie de la première guerre mondiale, les purges russes et les camps chinois, la bombe atomique, le génocide arménien, les tueries de masse en ex-Yougoslavie, le génocide des Tutsis au Rwanda et j’en passe… Il y a cependant une chose qui demeure singulière dans la Shoah, c’est l’efficacité sans précédent en un temps si court de la destruction de millions d’êtres humains, par le biais de la destruction industrielle, mécanique, exécutée par toute une machine administrative et de fonctionnaires, quadrillée sur tout un continent. La Shoah, ce sont les délires de paranoïa et de toute-puissance qui rencontrent la révolution industrielle et administrative moderne. (Relire Arendt). Et ça a été à deux doigts de littéralement anéantir tout le judaïsme européen (sachant qu’environ 80% du judaïsme mondial en 39 se trouvait en Europe). Et ça a commencé dans le pays le plus cultivé d’Europe, il y a à peine soixante-dix ans. Donc oui, c’est un peu glaçant.
Bref : la question c’est plutôt pourquoi c’est si insupportable pour toi de regarder la souffrance juive dans les yeux ? Non parce que parfois, il faut arrêter de se justifier. Il faut simplement retourner la question.
Membres de la secte Neturei Karta
Les juifs sont tous des sionistes
Alors déjà, dire cela, ça craint un peu pour toi, parce que ça montre une certaine ignorance : va voir du côté des Haredi de Brooklyn s’ils sont sionistes. Ils ne mettraient pas un pied en Israël, qu’ils considèrent, en tant qu’entité politique, comme sacrilège. Et je te parle pas de tous les juifs qui sont très bien chez eux, ou très mal à l’aise avec la mauvais réputation qu’Israël s’est fait dans la presse internationale, et qui du coup s’en sont totalement désolidarisés. Donc non, je crois pas qu’on puisse dire que « juif = sioniste ». Mais surtout, si on le disait, c’est quoi le problème ? Non parce que “sioniste”, maintenant, ça sonne comme une insulte. Et donc je te demande : un Français, il a pas le droit de vouloir une France ? Un Américain ses États-Unis ? Alors c’est quoi le problème ? Si tu appelles « sionisme » le droit de vouloir avoir son propre État – et de préférence pas trop loin de là où on était avant de s’être fait virer par les Romains, ben alors évidemment qu’on est sionistes. Tu le serais pas, toi ?
Bref : la Déclaration des droits de l’homme dit que chaque peuple a droit à son autodétermination – en bref, d’avoir son pays. On est tous d’accord là-dessus quand il s’agit des Arméniens, des Palestiniens, des Tibétains… La création de l’État d’Israël en 48 vient d’ailleurs d’un vote fait par les autres États (les Nations Unies) en application de ce principe. Alors pourquoi tu fais chier lorsqu’il s’agit des juifs ?
Conclusion : si un antisémite te fait chier, essaie la méthode CST
Je trouve que les clichés antisémites, ça vaut le coup de leur sourire dans le miroir. Non mais c’est vrai, quoi. Mon nez, c’est mon nez. Je ne vais pas le refaire. Pourquoi aurait-on besoin de dire « ah non, pas du tout !» dès qu’on entend des connards nous critiquer ? Croit-on vraiment que plaider innocent va nous libérer de la haine ? En Allemagne en 39, ça n’a pas trop marché…
Moi, je plaide coupable, et j’emmerde les jaloux – tout autant que les pouffes en slim faux-cuir mal éduquées au passage (non mais c’est pas parce qu’on fait partie de la même famille qu’il faut être copain avec tout le monde, non plus…). C’est ma version moins élégante de la thèse sartrienne sur le devoir d’authenticité du juif1. En bref, face à ceux qui ne nous aiment pas, on n’a pas le choix : ne rien dénier, tout assumer. Tu pourrais appeler ça la méthode CST : “Couilles sur la table2”.
Bref : Mieux vaut avoir une bonne estime de soi quitte à se prendre pour le nombril du monde, de la thune quitte à faire des jaloux, et du pouvoir quitte à ce que des chauffeurs de taxi ignares s’inventent des complots dignes de Game of Thrones.
Parce qu’on va arrêter de se mentir, la plupart des trucs que les antisémites nous reprochent, ce sont des choses que tous les autres humains veulent pour eux-mêmes. Donc faut pas nous faire chier de vouloir – ou d’avoir – la même chose. Sur la Torah.
Mira Neshama
© photos et visuels : cartes postales collection privée Jewpop / Reiser, Charlie Hebdo / DR
Article publié le 24 janvier 2019. Tous droits de reproduction et de représentation réservés © 2019 Jewpop
C’est l’histoire d’un juif allemand en 39 qui croise un des ses amis juif lui aussi dans le tramway (dans la partie réservée aux juifs à, l’époque). Il est stupéfait de le voir lire tranquillement et le sourire au lèvre une revue antisémite. Il se rapproche de lui et le salue et lui demande quelle mouche l’a donc piqué pour lire cela. Ce dernier lui répond, et bien quand tout va mal, rien de mieux de lire dans la presse que tout va pour le mieux, que nous sommes les plus riches et les plus rusés et que nous contrôlons les médias, les banques et la politique…. Bref CST ?
J’AIME!!! CAR POUR LA 1ère FOIS ON ARRÊTE DE SE DÉFENDRE (ce qui est contre-productif: Tu te défends? C’est donc qu’il y a du vrai dans l’antisémitisme: Pas de fumée sans feu) ET ON ATTAQUE!!! BRAVO! J’ai écrit un manuel de contre-propagande OFFENSIVE. Je l’envoie à qui m’en fait la demande.
J’ai beaucoup aimé la lecture.
Merci
Excellent, et dommage à la fois. Car se défendre et argumenter contre de tels préjugés, c’est compter sur ce qui fait clairement défaut à l’imbécile qui les colporte.
Les débiles ont un problème avec la richesse, qu’elle soit matérielle ou non. Ils la convoitent sans la produire. Ils l’ont pour maitre, et non pour serviteur. Ils envient, jalousent et dénigrent sans fondements, par habitude, par médiocrité.
La culture Juive a largement contribué aux progrès de l’humanité et elle continue de le faire.
Pour autant, il y a une vilaine ironie à constater qu’elle jouisse malgré tout d’une image si dégradée, lorsque ses harceleurs bénéficient de considérations si consensuelles.
Je partage avec vous cette lassitude et cette exapération. Mais quelle est la meilleure réponse à l’antisémitisme ?
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Je me demandais dans mon précédent commentaire quelle était la meilleure reponse à l’antisémitisme ? Une réponse m’est apparue plus évidente que les autres, ce serait que l’Islam condamne ouvertement l’antisémitisme.
Ma prière a été entendue 😍 !
L’Imam chiite Tawhidi vient d’honorer la mémoire des victimes de la Shoa à Auschwitz et reconnaitre l’antériorité des juifs sur les terres d’Israël.
Je décide de croire en la sincérité de ces propos et espère que les hommes de coeurs et d’esprits remplaceronst les fous de Dieu.