Le faire-part

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Ah le 1er janvier… L’augmentation du prix du gaz, les vœux des animateurs de France Télévision tout endimanchés, ton fils qui t’annonce « Non maman la rentrée, c’est pas demain, c’est le 3 » (vérification faite, il a raison), « C’est marqué sur le calendrier qu’on t’a donné en début d’année » (autant dire y a un siècle). Sans oublier la gardienne d’immeuble qui, voulant me faire payer le fait que je dise « concierge », refuse de me saluer (ce dont je me fous) et de me distribuer mon courrier (ce qui est nettement plus chiant). En période d’étrennes, cette dernière se radoucit comme par miracle. Après avoir vérifié dans l’embrasure de la porte le contenu de l’enveloppe que je lui tendais – avec la suspicion d’un preneur d’otages ouvrant une mallette de billets au 3e sous-sol d’un parking pendant l’échange – elle consentit enfin à me tendre un paquet de factures. Au milieu : un faire-part.
 
Long comme un avant-bras – doré – argent – avec un joli nœud violet et un nuage de parfum de violette (bref, léger) et flanqué des initiales YSL : les futurs Mr et Mme Yaëlle et Shaï Layani m’annoncent leur union. A ce moment, me sentant victime d’une lettre piégée – oui oui, un peu comme celle décrite par Victor Pivert devant Farès qui se lamente à coups de « Arkoum mon président » – je cocherais bien la case « Désolé(e), n’assistera pas à la soirée » mais je suis comme qui dirait obligée. Oui, parce que Yaëlle, c’est ma cousine préférée. Enfin c’est surtout ma mère qui le dit, donc à force de me le répéter, je me suis persuadée que naître le même mois, la même année, se voir enfant tous les dimanches et jours de fêtes, me ferait oublier que nous n’avions rien en commun si ce n’est le patronyme.
 
Avec Yaëlle, on a tout fait ensemble :
Acheter une doudoune Chevignon verte avec un canard derrière,
Cracher nos poumons en crapotant des Marlboro rouges,
Supplier le videur d’Olivia Valère de nous laisser entrer,
Nous cramer les doigts avec des briquets au concert de Patrick Bruel en chantant « Qui a le droit ? ».
 
J’ai vite compris – et elle aussi d’ailleurs – que finalement nous étions assez complémentaires. A nous deux, on faisait une fille parfaite. J’étais bonne élève, elle avait du succès auprès des garçons. En juin 93, j’ai eu mon bac. Elle l’a raté. Deux mois plus tard, elle perdait sa virginité dans les bras d’un Hayal au Volontariat civil, pendant que moi j’apprenais avec une joie non-feinte la technique la plus efficace pour faire brûler les ordures par 40 degrés à 800 mètres de notre base située en plein Néguev. Distance au cours de laquelle je mesurais l’abnégation et le non-sens de l’orientation du peuple juif capable de tourner 40 ans dans le désert.
 
Egoïste, compulsive, hystérique, Yaëlle n’en restait pas moins dotée d’une grande intelligence concernant les hommes. « Tu vois, m’a-t-elle expliqué un jour, le prince charmant, les contes de fées, tout ça, ça existe pas. Si tu veux réussir une histoire, faut éviter deux genres de mecs. Première catégorie : les juifs révélés sur le tard. Le genre à visiter la synagogue d’Ankara lors de son voyage de noces avec Clothilde et là, tout est devenu clair. Retour à Paris. Divorce-express. Rencontre avec un rabbin. Aprentissage de l’hébreu. Une berakha toutes les trois secondes. Résultat : il s’embrasse le bout des doigts quand il se touche les yeux pour remercier Dieu de lui avoir donné la vue, il peut réfléchir pendant des jours pour savoir si entre le lait et la viande faut attendre 3 ou 6 heures et il commence souvent ses phrases par «Tu sais ce qu’a répondu Rabbi Shimon Bar Yohaï à la femme d’un de ses disciples qui venait le voir…» Le deuxième spécimen à éviter absolument. Tu m’entends ABSOLUMENT, c’est le baroukh yeshiva revenu à la vie civile. Y a 10 ans, il se balançait 12 heures par jour sur la guemara, aujourd’hui, ces mouvements d’avant en arrière sont le fruit d’une activité masturbatoire effrénée devant YouPorn. Il est autant rongé par tout ce qu’il a raté que par la culpabilité. Avant, il n’était pas bien. Aujourd’hui, il est mal. Résultat : il peut dans la même phrase te supplier de l’accompagner aux Chandelles tout en précisant « Dépêchons-nous, je voudrais y être avant Arvit. Arvit ? J’ai dit Arvit ? Ah bon ça m’étonnerait.»
 
A 36 ans passés donc, le même bon sens et quelques rides en plus, Yaëlle s’apprête à s’avancer dans l’allée centrale de la synagogue de la rue de Nazareth (Jésus le fils de Dieu sera un peu avec nous ce jour-là) pour le plus grand soulagement de ses parents, me reléguant au passage, moi, mère divorcée, en D2 de la fratrie mais 1ere sur le podium du « La pauvre ta fille ! ». Son futur mari : un quadra israélien rencontré l’été dernier au pied de la Tour Eiffel, qui avait fait son service au début des années 90 dans une base du Néguev. Et ouais, les contes de fées, c’est comme les 70 millions de l’Euromillions. T’as le droit de tenter ta chance, mais faut surtout pas y croire.
 

The SefWoman

 
Ma philosophie se situe entre « A Kippour tout le monde pardonne, sauf moi » (Raymond Bettoun) et « Dieu n’existe pas, mais nous sommes son peuple » (Woody Allen)
 

 
 
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