Si Leonard Nimoy restera à jamais le Monsieur Spock de Star Trek, son art de la photographie est un pan méconnu de son existence. Passionné de photo depuis son adolescence, l’acteur a fait sensation avec sa série intitulée Shekhina, une vision de la face féminine du divin publiée dans un recueil édité en 2002 (Umbrage Editions), qui fut très diversement appréciée au sein de la communauté juive américaine.
La Shekhina, mot hébreu (signifiant littéralement « demeure ») qui désigne dans la Bible la présence de Dieu parmi son peuple, ou l’immanence divine dans le monde, a pris un développement considérable dans la kabbale. Elle représente le principe féminin, réceptif et passif, du monde divin, elle est la condition de l’harmonie du monde divin, dont celle du monde d’en bas n’est qu’un reflet, selon les termes de Gabrielle Sed-Rajna dans L’Encyclopædia Universalis. Lors d’ une interview de Leonard Nimoy réalisée par Nadine Epstein pour le site Moment en 2004, l’acteur explique que sa vision de la Shekhina est «purement artistique», mais qu’il a «ressenti cette expérience spirituelle à de nombreux moments de sa vie». Une expérience qu’il qualifie «d’état de grâce, d’harmonie, de paix, une combinaison d’instinct et de volonté, de sensation d’être au bon moment au bon endroit, et de réaliser ce qui doit être juste».
Leonard Nimoy explique que la Shekhina l’intéressait tout particulièrement, car élevé dans la tradition juive orthodoxe, il était conscient que la «part féminine du concept n’y était pas bienvenue», ajoutant qu’il la considérait, «qu’elle soit justifiée ou non, comme un passionnant et étrange mélange de spiritualité et de culture contemporaine». Lorsque la journaliste lui demande pourquoi ses modèles portent des tefillin (deux petits boîtiers cubiques comprenant quatre passages bibliques et rattachés au bras et à la tête par des lanières de cuir, portés lors de la prière matinale des jours profanes par les hommes ayant atteint leur majorité religieuse. Le port des tefillin par les femmes, bien que non interdit formellement, est inexistant dans le judaïsme orthodoxe, plus fréquent dans le judaïsme libéral), l’acteur a cette réponse : «Les tefillin sont toujours associés aux hommes, pourtant, avec ces photos, ce n’est pas la première fois que cette féminisation a été représentée», ajoutant que d’après certains textes, «les filles du roi Saul priaient avec des tefillin, ainsi que la fille de Rachi». «Mon opinion» précise en riant l’acteur, «c’est que la Shekhina peut mettre des tefillin si elle le veut !»
Bien évidemment, la publication du livre d’art présentant les photos de Nimoy choqua une partie de la communauté juive américaine, qui refusa d’accueillir l’acteur-photographe pour des présentations de son ouvrage, alors qu’une de ses photos fut achetée par le prestigieux Jewish Museum de New York pour figurer dans sa collection permanente. Outre les images de femmes arborant des tefillin au bras, c’est aussi la nudité de certains modèles qui provoqua des réactions outrées. Lorsque Nadine Epstein demande à Leonard Nimoy si le public juif a trouvé ses photos trop «explicitement sexuelles», le photographe réplique : «Depuis huit ans que je travaille sur ce projet, mon approche a toujours été totalement respectueuse. Je suis profondément attaché au judaïsme, et je n’y ai pas inventé la sexualité, elle y est présente depuis des siècles.»
«Il existe une histoire extraordinaire dans la Kabbale», poursuit Nimoy, «dans les dernières années de sa vie, Moïse vivait séparé de son épouse pour rester pur, au cas où la Shekhina viendrait à lui. Cela arriva, et ils vécurent ensemble comme mari et femme jusqu’à sa mort. C’est un baiser de la Shekhina, selon la Kabbale, qui emporta son âme au Paradis, puis elle porta son corps sur ses ailes jusqu’à sa sépulture, toujours selon cette légende. C’est une très belle et émouvante histoire. Il en est de même concernant la bénédiction pour les époux de s’unir lors du Shabbat… Les éléments liés à la sexualité dans le judaïsme ne m’ont pas attendu ! Pour cette série de photos, j’ai pris la décision de ne pas cacher le fait que la Shekhina était une femme, mais surtout d’insister sur le fait qu’elle est femme !»
Une anecdote que raconte Nimoy au cours de cet entretien est un petit bijou d’histoire juive, que méditeront tous ceux qui pourraient être choqués par ces photos. «J’ai reçu un e-mail d’un rabbin orthodoxe, qui m’écrivait ceci : Je peux comprendre pourquoi vos images peuvent déranger certaines personnes dans notre communauté. Mais il y a une légende qui raconte que lorsque deux juifs étudient le Talmud, la Shekhina apparaît et s’asseoit entre eux», et le rabbin de conclure : Après avoir vu vos photos, peut-être que de plus en plus de jeunes voudront étudier le Talmud, dans l’espoir que votre Shekhina viendra s’asseoir entre eux.*
Alain Granat
*ndlr : c’est ce même rabbin que nous avons consulté avant de publier la rubrique « charme » sur Jewpop
Lire l’intégralité de l’interview de Leonard Nimoy (en anglais) pour Moment
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Copyright photos : Leonard Nimoy / R.Michelson Galleries
Article publié le 1er mars 2015. Tous droits de reproduction et de représentation réservés © 2018 Jewpop