Les Marocains sont-ils des Sépharades comme les autres ? C’est la question que je me pose à chaque fois que je vois ma copine Anaëlle Benamou, épouse Mimoun.
Jeudi soir, attablée devant une Caesar salad, j’écoute Anaëlle qui tente de m’expliquer pour la énième fois les règles de la Niddah* quand ma mère m’appelle :
Anaëlle : c’est simple tu comptes 12 jours à partir du premier jour des règles. Pendant cette période tu te sépares de ton mari…
Moi : je suis séparée de mon mari depuis deux ans, j’ai bon alors ?
Anaëlle : arrête t’es conne. Donc au 12ème jour, tu vas au ….
« Balbeli oto, al ta’asi lo cheshbon. Balbeli oto ad shelo yuchal lishon. Balbeli oto kmo shebilbalt oti. Balbeli oto, balbeli » Oui, je sais ma sonnerie de téléphone fait pitié mais bon.
« Allo c’est maman tu viens passer shabbat à la maison (crochet du droit) ? Tous tes frères seront là (uppercut), même Éric, il est à Paris pour le week-end. Tu ne peux pas me dire non (dans les cordes). En plus, pour pas te mettre mal à l’aise et comme je sais que c’est ta semaine sans Solal, j ai demandé à tous tes frères de venir sans leurs femmes » Je suis à la limite du KO quand, tel Rocky Balboa montant sur le ring lors du match Appolo Creed – Drago ( Rocky IV, pas le meilleur avouons-le), Anaëlle m’arrache le téléphone des mains : « Ah non ce Shabbat, c’est pas possible, elle est chez moi. Je dois lui présenter quelqu’un. Quelqu’un de très bien !»
Une fois ma mère Hulk Hogan (Rocky III, le meilleur avouons-le) renvoyée dans son coin du ring, Anaëlle reprend de plus belle : « Si je te parle de la Niddah, c’est parce que pour le mec que je veux te présenter, c’est hyper important ».
Moi : oh non pitié !
Anaëlle : c’est un mec super !
Moi : mais encore …
Elle a pris son petit air content sur le point de m’annoncer THE argument : « Bon, je ne vais pas te faire languir plus longtemps, il est marocain ».
Elle avait dit ça avec autant de satisfaction que si ça signifiait : « Il est beau, intelligent, drôle et riche. Je lui ai montré ta photo, il est déjà fou amoureux de toi. Il veut que vous partiez vous installer sur la Côte Ouest des États-Unis. »
Moi : et ….
Anaëlle : ben un Marocain, c’est quand même le top !
Et là je me suis retrouvée plongée 25 ans en arrière. En colonie de vacances. Au réfectoire. Le moniteur testant le niveau de nuisances sonores des enfants, les faisant hurler en fonction du pays de naissance de leurs parents.
Les Tunisiens : ouaiiiis on est là !!!!!
Les Marocains : On est les plus forts !!!!
Les Algériens ? Ben les Algériens, ils ne criaient pas car ils étaient trop occupés à expliquer les deux vérités essentielles et fondatrices de leur identité :
1 – On n’est pas Algériens, on est Français depuis le décret Crémieux.
2 – Oui, à shabbat, on mange des boulettes et des petits pois de notre plein gré.
Face à ma perplexité, Anaëlle reprend de plus belle : « Attends, un marocain, le must quoi ! »
Moi : quel must ?
Anaëlle : le Marocain c’est la médaille d’or du Séfarade. Ariel Wizman, Maïmonide, Zahava Ben, Haïm Rebibo, sans oublier la moitié de la classe politique israélienne. Tous les grands juifs sont marocains.
Moi : depuis quand ?
Anaëlle : les mecs les plus drôles sont Marocains. Paix à son âme, mais ton Elie Kakou, c’est quand même un niveau en dessous de notre Gad Elmaleh.
Et là, pour la première fois depuis le début de notre longue amitié, j’ai compris que pour Anaëlle Benamou, non décidément les Marocains n’étaient pas des Séfarades comme les autres. J’ai bien eu envie de lui répondre :
« Mon Elie Kakou ? Mais t’as fumé ou quoi ? Et puis pour ta gouverne, Maïmonide a vécu au Maroc, il y est pas né. Tu dois confondre avec Baba Salé. Tu sais, le grand rabbin avec qui vous avez tous un lien de parenté. Ta mère, d’ailleurs, ce serait pas la cousine de la belle-sœur par alliance du neveu de son gendre ? Ouais c’est un peu comme Enrico pour les juifs d’Algérie. Ils ont tous grandi dans sa rue. À croire que Constantine, c’était la maison d’Enrico avec toutes les autres autour. Et puis en parlant de ville, arrête de m’expliquer en long, en large et en travers les différences entre les Marrakchis, les Fassis, les Tangerois et les Casablancais. On s’en fout, parce que pour nous vous êtes des Marocains et puis c’est tout. Vos blagues sur l’avarice des Meknassis, c’est tout pompé sur les blagues à Toto, c’est le même principe en fait. Sinon, globalement, si t’enlèves les Toledano et les Marciano, il reste combien de juifs marocains ? 3, 4… ? Ça sent quand même la consanguinité tout ça. Faut faire gaffe quand même. Et puis le Maroc, si c’est tellement beau, pourquoi vous vous êtes tous barrés au Canada et en Israël, je comprends pas.»
Oui, j’ai eu envie de lui dire tout ça et plus encore, mais je me suis tue. Les Marocains sont sûrs d’eux, convaincus d’être – à tort – l’élite séfarade. Mais dire tout ça au moment de cette conversation, juste avant Pessah, faudrait vraiment être la dernière des connes pour se fâcher avec ceux qui ont inventé la Mimouna.
The SefWoman
Ma philosophie se situe entre « A Kippour tout le monde pardonne, sauf moi » (Raymond Bettoun) et « Dieu n’existe pas, mais nous sommes son peuple » (Woody Allen)
*La niddah est le principal commandement d’un ensemble de lois religieuses juives appelées taharat hamishpa’ha, c’est-à-dire des lois de pureté familiale. Le principe en est que la femme mariée est considérée comme rituellement (et non moralement ou physiquement) impure pendant la période de ses règles et cela implique une séparation physique temporaire du couple.
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À partir du 30 juin, vous pourrez découvrir au Musée d’art et d’histoire du judaïsme l’exposition « Juifs du Maroc, 1934-1937 » sur le travail du photographe Jean Besancenot (1902-1992). Dans l’entre-deux-guerres, il réalisa des images sans équivalent des communautés juives rurales du Maroc, aujourd’hui disparues.
© photos : photo de une Aaron Vincent Elkaim, extraite de sa série Co-Existence, publiée avec son aimable autorisation / DR
Article publié le 18 juin 2012. Tous droits de reproduction et de représentation réservés © 2020 Jewpop