Le Talmud des survivants, comment l'US Army a sauvé 2 fois la vie juive

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L’histoire juive continue
(Simon Doubnov, Histoire moderne du peuple juif, Berlin, 1923).
 
Le Talmud des survivants est l’une des victoires de la seconde guerre mondiale la moins commentée. C’est pourtant un récit flamboyant, qu’on imagine sorti tout droit des meilleures revues orthodoxes ou paraboles de nos rabbins. Comment l’US Army est parvenue, en pleine reconstruction de l’Europe et victoire des peuples libres sur les forces du mal, à sauver la vie juive religieuse et spirituelle sur le Vieux Continent ? La Shoah ne passera pas une seconde fois sur l’Histoire et les traditions séculaires. C’est l’histoire d’une résurrection, celle des livres sacrés de la religion juive. Après la libération des camps de la mort, le sauvetage de la littérature de la vie.
 
Le Peuple du Livre peut bénir chaque jour l’armée des États-Unis d’Amérique du Nord. Dès la fin de la seconde guerre mondiale, on peut recenser 250 à 300.000 juifs survivants, déplacés, rescapés des camps d’extermination, des ghettos ou des cachettes offertes par les Justes. Mais il n’y a plus d’écoles talmudiques, les synagogues ont été brûlées et tous les lieux de culte dévastés. La mémoire s’éteint lentement et la spiritualité peut se morfondre. Les autodafés et autres manifestations de pogroms méthodiques de la vie juive semblent avoir gagné, car il ne reste plus rien de la sphère religieuse. Depuis les années 30, l’armée allemande avait minutieusement organisé la destruction de tout récit pieux, toute liturgie, annihilant progressivement toute la vie spirituelle des juifs. Avec une telle réussite dans ce projet macabre qu’en 1945, il ne reste plus rien des manuels, guides et codes de la communauté. Dans toute l’Europe libérée, il est désormais impossible de trouver un seul exemplaire complet du Talmud. Après le massacre de leurs proches et la disparition de tant de familles, les survivants se sont alors lamentés et inquiétés de cette destruction intellectuelle, disparition inéluctable des prières d’antan et des règles religieuses. Mais c’était oublier que la vie juive est sans fin, et que son peuple ne peut jamais se résigner à disparaître. Que des siècles d’exils et de massacres n’ont jamais altéré la foi comme l’amour des textes. Des hommes se sont alors levés pour se battre et continuer, et solliciter l’aide des armées américaines dans l’Europe libérée pour ressusciter toute la matière religieuse du judaïsme qui avait disparu. Quand les États-Unis ont répondu favorablement à cette requête ultime, la force du judaïsme s’est faite phénix, prête à renaître des ses cendres.
 

 
La survie juive brille par sa détermination. Il faut reconstituer chaque pan de la Torah, reprendre et poursuivre l’étude. Au lendemain de la guerre mondiale la plus dévastatrice de l’humanité, le peuple des dix commandements doit encore apporter au monde la lumière. Il s’agit encore et toujours de trouver des questions aux réponses qui ont été données depuis le Mont Sinaï et se perpétuent de génération en génération. C’est ainsi qu’un groupe de rabbins, dirigé par Samuel A. Snieg – alors Grand Rabbin de la zone américaine – et Samuel Jakob Rose, deux survivants du camp de concentration de Dachau, ont multiplié les alertes. Ils entrent en contact avec le rabbin réformé Philip S. Bernstein, de New York, qui officiait alors comme conseiller aux affaires juives du général Joseph McNarney, gouverneur militaire de l’Allemagne occupée. L’American Jewish Joint Distribution supervisera toute l’opération, validée  par le général Eisenhower. Son nom de code :  « projet Talmud », son objectif : imprimer et envoyer en Europe trois mille exemplaires du Talmud. Toutes les forces militaires sont alors réquisitionnées ainsi qu’une équipe gouvernementale qui y est dédiée. On peine à comprendre comment cette formidable odyssée a rencontré si peu d’échos chez les historiens comme chez les autorités centrales et religieuses. C’est pourtant un épisode surréaliste, où il fallu réactiver
les usines allemandes qui étaient frappées d’interdiction d’imprimer, lever des fonds, trouver les milliers de rame de papiers et s’appliquer à la tâche.
 

 
La renaissance de la religion juive en Europe a réussi. Le «Talmud des survivants» est à jamais inscrit dans les mémoires et ce récit aux allures de conte est un miracle qui doit se raconter. L’armée américaine n’a pas failli en s’investissant complètement dans ce programme secret qui a joué un rôle fondamental dans le sauvetage spirituel du peuple juif. Ironie de l’histoire, c’est en Allemagne, à Berlin, que le premier exemplaire des dix-neuf volumes fut présenté au général Lucius Clay, gouverneur militaire de l’occupation américaine Zone en Allemagne. La gratitude à l’administration américaine fut gravée dans le marbre. C’est cet humanitarisme sans précédent qui a conduit le rabbin Snieg, au terme d’une cérémonie émouvante, à exprimer toute la reconnaissance du peuple juif par une dédicace qui traversera le temps et les époques. «Cette édition du Talmud est dédiée à l’armée des États-Unis. L’armée a joué un rôle majeur dans le sauvetage du peuple juif de l’anéantissement total. Cette édition spéciale du Talmud, publié dans le pays même où, il y a peu de temps, tout juif et d’inspiration juive était anathème, restera un symbole de l’indestructibilité de la Torah. Les juifs n’oublieront jamais les élans généreux et l’humanitarisme sans précédent des forces américaines, à qui ils doivent tant».
 
Jérémie Boulay
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© photos : DR

Article publié le 20 janvier 2014. Tous droits de reproduction et de représentation réservés © 2014 Jewpop

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