Chroniqueuse chez Jewpop, soyons franche, c’est pas avec ce boulot que je vais me payer le Kelly de chez Hermès que ma collègue Jackie Schwartz promène ostensiblement sous mon nez avec tant de grâce. Alors, quand j’ai vu passer l’annonce pour le poste de directrice de la Maison de la culture yiddish, j’ai fait ni une ni deux, j’ai envoyé ma candidature. Sharon Boutboul, directrice de la Maison de la culture yiddish, ça aurait de la gueule !
Bon, j’avoue, côté yiddish, mes compétences linguistiques s’arrêtent niveau « caleçon molletonné ». Je kiffe trop les mecs en caleçon. Sinon, les chanteuses yiddish, ça me donne des envies de suicide. Et que je te pleurniche ton trou perdu de Pologne comme si c’était Noël aux Maldives, sapée façon paysanne albanaise devant un public de grabataires qui attend l’entracte pour avaler un bouillon de matze balls. D’ailleurs, parlons-en, de la bouffe. Si tu as déjà vu (j’ai pas dit « goûté », hein, faut pas déconner !) une fois du pied en gelée, tu sais à quoi ressemble le mot douleur. Faut vraiment avoir souffert pour inventer un tel plat. Bref, entre moi et le monde yiddish, y a comme qui dirait un déficit d’empathie culturelle. Mais nonobstant ce léger détail, il me fallait convaincre que j’étais the right person for the right job.
Pour la lettre de motivation en yiddish, facile, c’est Madame Blumenfeld, la grand-mère d’un de mes ex, qui me l’a écrite, je lui ai juste dicté. Ça s’est un peu compliqué le jour du rendez-vous avec Gilles Rozier, le type que je devais remplacer et qui m’a fait passer l’entretien. Je m’étais rencardée sur le bonhomme, écrivain, traducteur, du lourd… j’allais avoir un peu de mal à lui fourguer ma came, mais j’étais confiante en mes atouts. Je pense que c’est mon patronyme qui l’a intrigué et m’a valu l’entretien. Boutboul, c’est pas courant comme nom ashkénaze. Pareil pour le prénom Sharon, dans les familles originaires de Biélorussie, c’est pas trop le genre. Il a eu l’air sceptique quand je lui ai expliqué que mes grands-parents, originaires de Lublin, avaient changé Boutboulsztajn en Boutboul pour mieux s’intégrer en France. Et que ma mère admirait Ariel Sharon, d’où mon prénom.
Ensuite, il a voulu poursuivre l’entretien en yiddish. C’est là que ça a commencé à être chaud. Mais j’avais prévu le coup. Je lui ai dit « Vous connaissez celle de Moyshé qui rencontre à Paris son ami Schmouel, de Lodz, qu’il a pas vu depuis 20 ans ? » Il m’a fait « Allez-y toujours, je sais pas… ». Et là j’ai pris mon plus bel accent popeckien :
– « Nou Schmouel, ti la fais quoi à Paris ? »
– « Je la écris la dictiounnaire fronçais-yiddish ! »
– « A zoy, a dictiounnaire, ça intéréssont ! Et ti l’es à quelle lettre ? »
– « A la lettre A… »
– « Voy, depfi 20 ons, ti l’es toujours à la lettre A ! »
– « Pfou, ta la imagines pas le nombre de mots fronçais qui commencent par A : a chaise, a table… ».
Moi je la trouvais super bien, ma blague. Efficace, esprit stand up, genre je maîtrise le sujet, tout ça.
Le Rozier m’a regardé avec un oeil soupçonneux et m’a sorti un truc en yiddish. J’ai rien compris, j’ai dit « c’est votre accent lituanien, là, j’ai du mal… moi je pratique le yiddish du terroir, le vrai, celui de Lublin ». Il m’a dit « vous savez comment on dit Pôle Emploi en yiddish ? », j’ai fait « heu… non… ». « A… npe », il m’a répondu.
De toutes façons je m’en fous, j’aime ni l’humour yiddish, ni le pied en gelée. Je vais aller me taper une bonne dafina pour me consoler.
Sharon Boutboul
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NDLR : si vous souhaitez postuler – sérieusement – à l’annonce pour le poste de directeur / directrice de la Maison de la culture yiddish, adressez votre candidature avant le 15 mars 2014 à Gilles Rozier (recrutement@yiddishweb.com), qui pourra donner toute précision concernant le poste avant l’envoi de la candidature.
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Article publié le 26 février 2014. Tous droits de reproduction et de représentation réservés © 2014 Jewpop