Vendredi, fin de matinée, Shuk Mahane Yehuda. Pause biberon à la terrasse d’un café. À notre droite, un étal garni des « quatre espèces de Soukkot » tenu par un religieux à papillotes. Deux clients sont en train de regarder et de comparer les plus beaux spécimens de cédrats, les tiges de palmier les plus lisses, les plus odorantes feuilles de myrthe. Les deux sont tellement différents qu’ils font presque figure de symboles de la société israélienne, des différentes façons d’être juif. Ils m’évoquent deux mondes parallèles qui cohabitent dans tout Israël, mais dont la différence est encore plus frappante ici, à Jérusalem.
Le premier, la cinquantaine, a ce visage buriné par le soleil que peuvent avoir les hommes qui ont travaillé dur, des mains épaisses. Aucune kippa n’orne sa tête. Le second, un étudiant de yeshiva typique, clair de peau à force de rester à l’ombre de ses volumes de Talmud, le visage adolescent mangé par des touffes de barbe éparses qui cachent mal les effets de la puberté. Malgré la chaleur, il porte un costume noir, une lourde kippa en velours.
Je trouve ça joli, cette image : deux espèces de juifs comme il existe des espèces de plantes, un juif ancré, terrestre, un juif céleste, de l’étude, que réunit la mitsva de Soukot, la même volonté de perpétuer la tradition. Ces deux hommes vont chacun, et sans doute différemment, expérimenter Soukkot, fête paradoxale où la joie est atteinte dans l’incertitude matérielle, dans la fragilité d’une cabane, avec pour seule protection la main de Dieu.
Le premier lève la tête vers le second. Je l’entends lui dire : « Alors, tu as trouvé ton bonheur ? » Et le jeune de lui répondre, les yeux brillants de joie expectative en brandissant un cédrat : « Oui, papa, c’est celui-là que je voudrais, mais il est plus cher ». Un regard, rempli de plein de choses. « On le prend. »
Le choc. Puis l’émotion. Parce que Jérusalem, c’est aussi ça. Un père qui fait à son fils un cadeau en accord avec ses aspirations. Un fils qui respecte son père si différent de lui. Des mondes parallèles, qui parfois, comme des branches, s’entrelacent. Qui partagent la même racine.
Noémie Benchimol
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Article publié le 27 septembre 2015. Tous droits de reproduction et de représentation réservés © 2015 Jewpop