Lorsque mes charmantes filles me lancent « en fait t’es vraiment pas une mère juive ! », mon sang ne fait qu’un tour et je sens dans cette phrase a priori anodine du reproche et de la désolation. Je ris jaune et me demande comment je dois la prendre : compliment ou reproche à demi voilé ?
Et pourtant …
C’est vrai, je ne suis pas une vraie mère juive.
Oui, j’assume.
Quand bébés, elles ne finissaient pas leur biberon, ça ne m’inquiétait pas et je ne courais pas aux urgences voir ce qui n’allait pas chez elles.
Je n’ai jamais pensé à vérifier si leur pédiatre (formidable) était vraiment le meilleur de tout Paris. C’est pourtant ce que ma belle-mère exigeait que je fasse.
Enfants, je les laissais aller dormir chez des amis sans même avoir vérifié le casier judiciaire des parents.
Lorsque mes filles ont un petit rhume, je peux les laisser seules sans scrupule pour aller au cinéma.
Lorsqu’elles ne sortent pas en combi de ski quand il fait 15 degrés à Paris, je n’ai pas peur qu’elles « attrapent la mort ».
Je ne me lève pas le matin aux aurores pour préparer leur petit déjeuner. De toute façon, elles ne mangent rien et n’ouvrent pas la bouche. Et je ne suis pas matinale.
Certains jours, notre frigo est tristement vide et je ne trouve pas ça très grave. Un petit régime n’a jamais fait de mal à personne.
Lorsqu’elles rentrent tard d’une soirée, je ne les attends pas en robe de chambre devant la porte d’entrée avec des soupirs de mourante.
Je ne crois pas qu’on attrape froid quand on est pieds nus chez soi.
Je ne veux pas qu’elles deviennent médecin, polytechnicienne ou avocate.
Je ne leur ai pas transmis de recettes de cuisine.
Quand mes filles me reprochent de ne pas être une vraie mère juive, je sens leur dépit. Pour elles, être une « vraie » mère juive, c’est faire preuve d’un amour étouffant.
Pourtant, je sais bien que je leur ai transmis l’essentiel : névrose, hystérie et sentiment de culpabilité. Alors oui, je suis une vraie mère juive, mais je le cache.
Mais mes chéries, ne vous inquiétez pas, je serai, c’est promis, une vraie grand-mère juive.
Arielle Granat
© photo : DR
Article publié le 31 mai 2012. Tous droits de reproduction et de représentation réservés © 2020 Jewpop