7 juillet 2005, 8h du matin sur le quai de la gare du Nord. Je m’apprête à traverser la Manche avec plusieurs dizaines de coreligionnaires partis pour deux semaines de séjour linguistique en famille juive. J’ai alors dans les douze ans et suis sur le point de quitter pour la première fois la France sans ma mère. Tout y est : la colonie de vacances communautaire, la première entaille dans le cordon ombilical maternel… Mais à 8h50 heure locale, c’est le drame. Alors que trois bombes explosent simultanément dans des stations de métro ultra-fréquentées du centre de Londres, notre Eurostar est stoppé à Lille. Nous faisons demi tour, direction la gare du Nord.
Au milieu d’un troupeau d’ados pré-pubères déçus, j’apprends la raison tragique de ce retour à Paris. Ma mère est paniquée au bout du fil, les organisateurs de la colo décontenancés se voient obligés de reculer le départ pour ceux qui veulent tout de même partir, et proposent un séjour à la montagne aux autres. Cette année, ce sera montagne et shabbat obligatoire.
C’est finalement en 2006 que je rejoins pour de bon la capitale britannique en compagnie du groupe de jeunes juifs en quête (soi-disant) d’un bon niveau d’anglais. Je tairai le nom de l’organisme qui m’a envoyée chez une vieille dame ultra orthodoxe au terminus de la Northern Line alors que j’avais coché la case « traditionaliste ». Premier contact avec la communauté juive de Londres : j’ai 13 ans, me vois obligée d’apprendre tout plein de prières en hébreu et me retrouve paumée chez une vieille veuve loubavitch, qui m’oblige à me couvrir les épaules du vendredi au samedi soir. Moi qui n’ai jamais vraiment fait shabbat, je suis alors traînée dans une petite synagogue loubavitch d’Egware, où hommes et femmes sont séparés par un mur. Chez la vieille dame, des affiches du «rabbi» couvrent les murs, et sur une des portes de la maison, une petite pancarte indiquant: « We want Machiah now ! ». Où suis-je tombée ?
Malgré cette expérience exotique, je suis retournée plusieurs fois à Londres dans des familles juives. Mais cette fois, avec un organisme plus sérieux et chez des gens qu’en bonne laïcarde, je qualifierai subjectivement de « normaux ». Bref, des libéraux, comme moi. C’est dans ce cadre serein que je suis tombée amoureuse de la ville. Ce sont d’ailleurs les anciens quartiers juifs d’arrivée des immigrants ashkénazes de l’Est londonien qui sont aujourd’hui les spots cools de la ville.
C’est une communauté juive extrêmement diverse, dont j’aimerais vous faire partager les subtilités au cours de mon année de londonienne. Des sthreimls de Golders Green aux petites bakeries juives de Brick Lane, dont les bagels ne sont même plus cashers et attirent avant tout les noctambules du quartier. Un Londres libéral, où le mot « laïcité » ne trouve aucun équivalent exact. Un Londres si libéral que l’expression religieuse dans l’espace public est absolument tolérée. Un Londres où la communauté juive érige à l’occasion des fêtes une Hanukiah vertigineuse sur Trafalgar Square, allumée certains soirs par Boris Johnson lui même.
Cindy Abitboule, correspondante de Jewpop à Londres
Copyright illustration : reproduction d’une oeuvre de Jack Vettriano
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