En ces temps troublés, il n’est pas de famille juive qui ne se soit posé la question. Offrir à son enfant un enseignement adapté dans un environnement scolaire favorable, tout en préservant son identité juive, tel est l’objectif poursuivi par chacun de nous. J’ai, moi aussi, longuement pesé le pour et le contre, mis dans la balance tous les arguments. Des nuits passées à réfléchir. Risque-t-il de s’assimiler ? D’oublier qui il est ? Alors voilà, le cœur gros, je vous livre ici le fruit de ma mûre réflexion. Si les avantages de l’école publique (mixité sociale, gratuité pour tous) ne font pas débat, voici donc les dix (autres) bonnes raisons de préférer l’école publique laïque et républicaine.
1 – Tu auras le droit à un panier de Pâques avec des œufs en chocolat PILE la semaine de Pessah
Tu pourras aussi collectionner les couronnes préparées pour l’épiphanie en papier aluminium. Tu prendras sur toi lorsqu’on t’expliquera que non, Noël n’est pas une fête catholique mais païenne, car c’est le prix à payer pour la laïcité… Et si, tu seras quand même au premier rang avec ton smartphone pour photographier ton mignon et écouter un « Petit papa Noël » version Tino Rossi (il était où lui, déjà, pendant la guerre ?) qu’il a longuement, mais silencieusement (ouf !) répété.
2 – Les parents d’élèves vous prendront pour des gens « héroïques » de partir dans un pays en guerre pour les vacances
Ou alors ils t’interrogeront (sans jugement de valeur, bien sûr…) « Mais vous emmenez les enfants ? C’est autorisé ? Quelqu’un m’a dit qu’il avait lu sur le site du Ministère des affaires étrangères qu’ils déconseillaient… ». « Tout va bien, j’ai de la crème solaire et un bob. Et il y a un abri accessible en moins de 40 secondes dans l’appart de ma belle-mère ».
3 – Tu seras la seule (ou presque) mère juive de la classe
Une mère juive, c’est beaucoup, mais c’est moins que trente mères juives. La maîtresse t’expliquera au mois de février, lors de ton troisième rendez-vous, qu’une réunion par an suffit pour faire le « point » sur ton enfant et que « ce n’est pas la peine de revenir en mai ». Tu découvriras que non, les autres mamans ne mettent pas de petits papiers avec leurs coordonnées et un billet de 10 euros dans la poche de leur enfant pour les sorties scolaires. Tu n’auras d’ailleurs pas à te battre pour accompagner la classe trois fois de suite, les places sont généralement libres.
4 – Tu pourras rentrer dans l’école comme dans un moulin
Pas besoin de passer le sas des trois mousquetaires à l’entrée de l’école. À l’école publique, on ne te demandera pas si tu as fait toi même ton cartable, ni si une personne que tu ne connais pas ne t’aurait pas remis une trousse suspecte pour quelqu’un que tu ne connais pas. Le risque d’intrusion de forces ennemies de l’extérieur (on ne dit pas le nom, c’est anxiogène) dans l’enceinte de l’établissement est raisonnablement plus faible.
Dans le public, certes, si tu n’habites pas Levallois (y a des caméras partout à Levallois, oui, oui, même dans les cours), rien ne garantit que ton enfant ne se fasse pas caillasser à la récréation (comme on dit, l’ennemi vient souvent de l’intérieur).
Mais les politiques ont dit qu’ils seraient très fermes. Je les ai entendus moi à la télé. Et puis, on sait pas vraiment comment ils les font leurs statistiques, les organismes de lutte contre l’antisémitisme, si ? C’est vrai cette histoire que les enfants juifs ne vont plus à l’école publique en Seine-Saint-Denis ? C’est connu, les juifs manipulent les juifs avec tous ces chiffres. Et puis mince à la fin, de toutes les façons, on a pas vraiment le choix… Et au pire, il te restera encore l’école privée catholique. Après tout, ma grand mère a été cachée dans un couvent, et trois générations après on est toujours juifs.
5 – Dans le public, tes enfants pourront apprendre une langue morte (latin ou grec), ce qui sert beaucoup plus de nos jours que l’hébreu moderne
Tes enfants apprendront aussi qu’il y a eu des dinosaures et une époque préhistorique avant Adam et Eve. Mais pas certain qu’ils abordent la Shoah en cours d’histoire. Au mieux, tu auras droit à un « ah bon, c’est au programme ? ». Au pire, la maîtresse t’expliquera que « non dans cette classe, vous voyez Madame, on peut pas vraiment parler de …, de ça quoi !».
6 – À l’anniversaire de ton fils, tu n’auras pas besoin d’inviter TOUTE la classe de CP
Tu n’auras pas deux Joseph ni trois Samuel, mais le petit Alphonse (qui te remerciera poliment à coup de « C’est délicieux Madame ! »), et même, si tu habites Batignolles, une Augustine, deux Gaspard et Aïdane (son prénom ne t’aura d’ailleurs pas permis de savoir à l’avance s’il fallait lui préparer le sachet cadeau Reine des Neiges ou Cars). Et à 18h30 tapantes, tout le monde dehors : pas de retardataire, pas d’incruste pour dîner. Le bonheur. Évidemment, si tu habites à Villeurbanne, tout ne se passera pas vraiment comme ça. Et après, je suis pas Bibi moi, j’ai jamais dit que j’avais réponse à tout.
7 – Tu pourras prendre un week-end prolongé au moment de Kippour
Tes précurseurs ont fait le job. Il n’y a plus de contrôle le jour de Kippour. L’absence de ton enfant est pardonnée de facto sans mot d’excuse. À nous la Normandie (quoi, ben y a des synagogues en Normandie non ?) !
8 – Tu pourras enseigner le vivre-ensemble à ton enfant dès la maternelle
Dès la moyenne section, le mien m’a lancé :
Lui : « Je n’invite pas Mehdi pour mes 5 ans, il est Arabe ! »
Moi : « Mais ça va pas dans ta tête, pourquoi tu dis ça ? »
Lui : « Lucas m’a dit dans la cour que ses parents lui défendaient d’inviter les Noirs et les Arabes »
Moi : « Ben on invite pas Lucas cette année, alors »
Lui : « Ha bon ? Mais pourquoi, il est Arabe ? ».
Toutes affaires cessantes, j’ai rempli mon panier de livres pour enfants de Dolto, « J’ai deux pays dans mon cœur » (pour n’en citer qu’un), du dvd de Azur et Asmar, qui m’ont été livrés dès le lendemain.
Sinon, ils les prennent à partir de quel âge à la Licra ? Et, avec le temps tu te dis « du moment qu’on le traite pas de sale juif… ».
9 – Ton enfant pourra manger des yaourts à la cantine
Ton enfant mangera un repas à peu près équilibré, passé en revue à la commission des menus de la municipalité. Il aura quand même le droit (sauf dans les villes qui ont sombré) à un plat de substitution les jours de jambon. Surtout, on te demandera régulièrement pourquoi est-ce qu’il ne peut pas manger du poulet, parce que ce n’est pas de la viande le poulet, si ?
Et enfin, plaisir renouvelé chaque année :
10 – Tu pourras t’amuser à deviner qui est juif dans la classe de ton fils en lisant la liste des élèves le jour de la rentrée
La liste des élèves affichée sur la porte la veille de la rentrée à 18h00, tu iras photographier.
« Walter c’est juif, ça ? Son fils s’appelle Ruben. T’en penses quoi ? Peut être que son père est goy ». « Ha, regarde y’a un « Carcassonne », c’est juif Carcassonne, tu sais ils sont juifs ceux qui ont des noms de ville, c’est ma mère qui me l’a dit ».
Et, fin mars, tu auras la réjouissance de découvrir que les Marko (que tu croyais bretons) partent à Haïfa voir leur grand-mère Dina Markovitch pour Pessah, et tu pourras les inviter pour shabbat à la rentrée.
Ella Klein
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Article publié le 19 avril 2015. Tous droits de reproduction et de représentation réservés © 2018 Jewpop