Dimanche soir, David P. et moi sommes invités à dîner chez des amis à lui. Stéphane et Johanne, 3 enfants. Bravant le vent, la neige et la gadoue, me voilà tentant de remonter avec classe et en Ugg la rue des Martyrs. Devant moi, David. P, flèche d’argent décrochée à l’âge de 18 ans m’encourage. Se retournant, il me lance grandiloquent : « allez, on y est dans 10 mètres ! Tu vas y arriver ! N’oublie pas, tu appartiens au peuple élu. Le génie juif est avec toi ! ».
Une fois à l’intérieur, me débarrassant de la couche de neige qui recouvre mon manteau, je découvre mon reflet dans le miroir du hall. Mon maquillage Oeil Smocky bave de chaque côté façon «KISS». Comme je ne peux rien faire à part assumer, je réponds à David P., qui appuie sur le bouton de l’ascenseur : « c’est complètement con ta remarque sur le génie juif ».
Une fois les présentations, les questions d’usages, les considérations météorologiques expédiées, la discussion s’engagea sur notre relation amoureuse («vous vous êtes rencontrés comment ?», «comment vous gérez la distance ?»), chapitre que David P. conclut sur le ton du regret en me lançant un regard appuyé : «non, le seul hic, c’est qu’elle ne croit pas au génie juif». La surprise de mon hôte, un jeune quadra en pleine Techouva, si j’en crois tous les ouvrages dans sa bibliothèque («Le judaïsme pour les nuls», «La cacherout en question», «La Nida, secret de réussite du couple juif»), laisse vite place à la consternation.
Stéphane : Qu’est ce que tu fais de tous ces juifs qui ont reçu le Prix Nobel ?
Moi : Le fait qu’ils soient juifs n’a pas de rapport avec leurs travaux scientifiques.
David : Zweig, Levinas, Rachmaninov, Soutine, Gainsbourg… Tu ne peux pas nier que dans la musique, la peinture, la philosophie, la littérature, les plus grands sont juifs.
Moi : Ca me rappelle cette blague pas drôle de mon oncle Prosper : «tous les grands écrivains sont juifs, tous les grands compositeurs, tous les grands réalisateurs sont juifs. Et même tous les grands rabbins sont juifs».
Stéphane : J’adore cette blague ! D’ailleurs, en humour, tu avoueras qu’on est bons. Gad Elmaleh, Tomer Sisley…
Moi : Les mecs ont tout pompé sur Eddy Murphy qui pompait déjà tout sur Richard Pryor. Les humoristes juifs, parlons-en. Ça vous dit d’aller voir Michel Boujenah, il reprend pour la 453 765e fois «Les magnifiques». Même ma mère elle en peut plus. Sinon y a Popeck. (Devant le silence général et gêné de la tablée, je décide de repasser la deuxième couche) . Parlons musique, David et Jonathan, Félix Gray, ça vous donne toujours envie de crier au génie juif ?
Stéphane : Prenons juste la littérature : Philip Roth, Isaac B. Singer, Proust…
C’est là où Johanne, qui avait suivi silencieuse notre échange verbal à coup de «droite», «gauche», «droite», «gauche», qui trahissait une pratique active de la tribune présidentielle de Roland Garros, crut bon d’ajouter : «et y a Marc Lévy aussi».
Moi : Y en a aussi des tas d’autres qui le sont pas : Emile Zola, Steinbeck, Umberto Ecco…
David : T’as révisé avant de venir ou quoi ?
Stéphane : Mais enfin, tous les juifs qui ont marqué l’histoire se sont distingués dans le bon sens. Elie Wiesel…
Moi : Bernard Madoff.
David : Freud a inventé la psychanalyse qui a sauvé des milliers, des millions de personnes.
Moi : Igal Amir a tué un homme, la gauche israélienne et peut-être la paix.
Stéphane : La mauvaise foi. C’est le seul tueur juif de l’histoire.
Moi : Oui, si tu enlèves le tueur en série Sam Berkowitz, l’allemand Karl Grossman, sans oublier Baroukh Goldstein ou encore les deux mecs qui ont renversé Lee Zeitouni à Tel-Aviv et qui continuent à sa la couler douce en France.
David : L’histoire ne retiendra pas leur nom.
Moi : En attendant, vous êtes plus nombreux à connaître cette histoire qu’à avoir lu «Etre juif», le dernier livre de Benny Lévy. Je sais que ça vous défrise d’accepter que parmi nos coreligionnaires, certains ont volé, tué et parfois même leur propre communauté, mais faut vous réveiller les mecs, ça existe. Ça vous dérange pas de cautionner la soi-disante «supériorité juive». C’est ce genre de poncif qui a mené notamment le général de Gaulle a dire qu’on était «un peuple sûr de nous et dominateur».
Stéphane : Donc tu n’es pas fière d’être juive ?
Alors là, danger ! Si tu réponds par la négative, ton interlocuteur entend irrémédiablement «non, je ne suis pas fière d’être juive», ce qui équivaut à dire «j’ai honte» et qui suscite autant de dégoût à ton interlocuteur juif que si tu te trémoussais sur ta chaise à la synagogue pendant la Amida en disant très fort «j’ai mon tampon qui me gêne !». Donc, là, prenant une grande inspiration, je réponds : « je pense qu’on ne peut pas être fier de quelque chose qu’on n’a pas choisi. Ça ne m’empêche pas de reconnaitre au peuple juif un destin hors du commun !».
Stéphane : «Hors du commun», «génie», tout ça c’est une question de vocabulaire. Tu chipotes. On est donc d’accord en fait. Allez je vais chercher le dessert !
En le voyant s’éloigner suivi de près par son épouse, comme si la moindre incursion masculine dans la pièce «cuisine» ressemblait à un numéro de «Rendez-vous en terre inconnue», je me suis dit qu’ils allaient sans doute déblatérer sur mon complexe de «juive honteuse». C’est ce moment de grande solitude que David P. a choisi pour m’achever. Il s’est penché vers moi en me murmurant «je crois qu’ils t’adorent. Je vais essayer de me retenir de leur dire que t’as voté Hollande, ça risque de tout gâcher».
The SefWoman
Ma philosophie se situe entre « A Kippour tout le monde pardonne, sauf moi » (Raymond Bettoun) et « Dieu n’existe pas, mais nous sommes son peuple » (Woody Allen)
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Visuel du « génie juif » réalisé par Cassius D.
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Très bizarre ton argumentation . Le fait qu il existe des crétins juifs, des DJ juifs ou des criminels juifs ne contredit en aucune façon l existence d’un génie juif. Dire qu’il existe un génie juif , ce n est pas dire que tous les juifs ont du génie . Par contre , le nombre de juif parmis les prix nobels ou parmis les artistes est une aberration statistique difficile à ignorer . Grosso modo, les juifs sont cent fois trop représentés dans ces deux groupes . Certains abrutis y voient la preuve d’un lobby… Perso , un lobby qui aurait permis à David guetta de vendre 10 millions de disques me terrifierait 😉
Je crois plutôt que c’est l adversité qui a façonné ce peuple. Celui qui perd tout ce qu’il possède toutes les deux générations doit ou bien devenir plus fort ou bien disparaître .
Et il n a pas disparu .
L’autre explication est la suivante : celui qui, des la naissance , n’est pas comme tout le monde aura moins de réticence à casser les conventions et à innover .
Enfin celui qui n’a rien à perdre est souvent celui qui osera prendre des risques …