J’ai rencontré Sabrina dans une soirée feuj au milieu des années quatre-vingt dix. Entre deux Gin Tonic, sans faire la tronche de celle qui va vomir, elle m’a dit «Tu vois le mec là-bas. Il me drague depuis une heure. Je vais aller lui dire un truc à l’oreille et ben je te parie un Pascal (si tu ne sais pas ce que signifie ce mot, c’est que tu as des devoirs à faire et qu’il est l’heure d’aller se coucher) qu’il va se barrer». Je la regarde faire. Tout se passe comme prévu. Quand elle revient, elle me lance «Tu sais ce qu’il y a de pire qu’avouer une MST avant de conclure ? Dire que sa mère est pas juive».
Sabrina est une des filles les plus drôles que je connaisse. En 2000, elle m’a envoyé ce texto : «Faut que je règle ce problème de conversion. En plus avec mon patronyme – Abitbol en l’occurrence – j’ai fait plus que la moitié du chemin. Putain, s’appeller Abitbol sans être juive, c’est un peu comme faire du curling alors qu’on est black et qu’on mesure deux mètres».
Bon à l’époque, elle était un peu titillée par la foi, mais elle était surtout titillée par un certain Jérémie. Après une très longue lettre de motivation adressée au service des conversions du Consistoire, Sabrina a été reçue à l’institution. Le jour dit – coincée entre un sexagénaire ex-catholique, ex-bouddhiste, ex-raëlien, persuadé d’être la réincarnation de Moïse, et une petite maligne enceinte de 7 mois – elle ne se doutait pas que le chemin serait long et difficile, avec au bout un épais brouillard débouchant tout droit, dans son cas… sur un mur.
Le rabbin qui la reçoit lui explique d’emblée : «Sachez qu’aucune conversion n’est réalisée dans le but de se marier. Si vous fréquentez un garçon, je ne veux rien savoir. Le débat est clos». Quand 2 ans plus tard, elle apprend en plein cours de préparation à l’examen qui la rendrait juive, qu’un Cohen ne peut épouser une convertie, Sabrina et Jérémie Cohen ont bien pensé rouvrir le débat avec le rabbin à coups de tatanes, mais ils ont simplement préféré se séparer.
Pas démotivée, Sabrina se montra studieuse et appliquée. Après avoir brillamment réussi en cours à répondre aux questions sur le commandement «Honore ton père et ta mère», elle enchaînait les travaux pratiques dans la cuisine de ses parents le soir, en hurlant sur sa mère «Non, je ne peux pas manger chez toi ! La vaisselle n’est pas trempée !». Quand le rabbin l’a réprimandée parce qu’on l’avait vue en pantalon faire la fête au Bus, elle s’était même retenue de lui répondre «Vous fréquentez des gens qui dénoncent des juifs et qui fréquentent les lieux de perdition, je ne vous félicite pas !».
Après des vacances à Kemer, Sabrina a un peu lâché la rampe. Elle disait «Je me convertis en dilettante». Un peu comme ces mecs qui ont ouvert leur dossier à l’Agence Juive en 1988, et qui attendent la bonne année. S’en suivit une année schizophrène, un jour elle enquillait les berahoths, le lendemain, on s’enfilait des moules chez Clément. Entre deux bulots, on avait des conversations lunaires.
Elle : «Toi, tu peux ne pas manger casher, t’es toujours juive, et ça c’est pas normal. Tu serais recalée à la conversion direct !».
Moi : «Si je n’étais pas juive, je ne voudrais pas me convertir».
Elle : «Tu te rends compte que la fille qui a commencé le processus avec moi était célibataire. Hier, elle a fait la coupe de cheveux de son fils. Je sais plus quoi faire…»
Moi : «Faut fêter ça ! Serveur, vous avez des huîtres ? Parce que ce que les moules, ça va deux minutes».
Sabrina a bien un temps été tentée par la conversion chez les libéraux, mais telle une fashionista revenant du marché de Vintimille, elle a conclu avec une moue sceptique «Ça vaut pas le coup, ça se voit que c’est du toc».
On a déjeuné ensemble la semaine dernière. Elle est en couple avec un mec de son bureau, pas juif. Ils ont une fille. Je la trouve toujours très juive, surtout depuis qu’elle est en couple, surtout quand elle me dit : «Je sais que tout le monde s’en fout. Mais moi, je me sens juive. Plus que jamais en fait. Faut dire que ma belle-mère est antisémite, elle a adoré le sketch de Sébastien Thoen sur Canal+. Ce sketch, c’est une honte ! Faut virer ce mec de Canal ! Faut le traduire en justice ! Le pendre par les pieds et l’exiler à Cayenne !».
Moi : «Ça prouve pas que ta belle-mère est antisémite. Par contre, ce que tu viens dire de Thoen prouve que t’es juive».
The SefWoman
Ma philosophie se situe entre « A Kippour tout le monde pardonne, sauf moi » (Raymond Bettoun) et « Dieu n’existe pas, mais nous sommes son peuple » (Woody Allen)
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Article publié le 1er octobre 2013, tous droits de reproduction et de représentation réservés © 2013 Jewpop