Cela fait trois jours que nous sommes à Vegas. Dès que nous évoquons notre futur interview avec Eddie Griffin, les réactions sont unanimes : « omagad omagad, wow, Eddie Griffin ! ».
Les instructions de l’attaché de presse nous intriguent, « Rendez-vous à Rio, devant la Kings Room, à 18:50. Vous me reconnaîtrez ». Bon, on se calme les filles, ce n’est pas Jude Law qui nous attend pour nous faire renifler sa cravate, mais bien un attaché de presse blanc et débonnaire, qui nous emmène à la rencontre du « grand Eddie ». Nous voilà backstage. 10 blacks sapés comme Huggy les bons tuyaux, de la Veuve Clicquot bien fraîche. A les voir, je regrette d’avoir reposé le Stetson en strass rouges, finalement ça va avec tout. Eddie (45 ans, toutes ses dents, et il aime sa maman) nous reçoit comme un gosse reçoit sa première voiture télécommandée, merci l’introduction si avenante de son attaché de presse : « Yo Eddie here are your two French chicks ! ». Un dur métier on vous dit.
Humour et vice sont indissociables aux États-Unis. Tout commence avec leur maître à tous, Lenny Bruce. Comique juif, il se faisait régulièrement arrêter, notamment sur scène, pour ses provocations incessantes. Il faut dire que commencer un sketch par « Is there a nigga in the room ? » avait tendance à jeter un froid, même si le but du sketch était justement de dénoncer le racisme. Encore eût-il fallu lui laisser finir, au lieu de lui passer les menottes.
C’est comment les shows à Vegas ? Avant-hier, nous avons vu un sosie de Michael Jackson à la voix irréprochable mais aux cuissots un peu épais se déchaîner sur scène. Hier, nous nous sommes éclatées au show hommage au Rat Pack, succession de rires et chansons, avec notamment cette imitation du Jewish Elvis (« One for the money,two for the money, three for the money…. »). Pour les spectacles de magie, boire des margaritas à trois dollars à 8h du matin nous semble déjà assez miraculeux.
Nous voici maintenant face à Eddie (et dos à ses 8 potes), c’est parti pour un questionnement en règle !
« Pourquoi les comiques sont le plus souvent issus de minorités ?
– Parce que l’humour est une bonne façon de s’en sortir quand on est justement issu d’une minorité. Ça permet de désamorcer des situations. Si j’étais blanc, riche, Wasp, j’aurais peut-être moins d’humour. Non, c’est sûr en fait. Regarde les mecs du KKK, c’étaient pas des marrants.
– Et encore, tu pourrais être juif !
– Tu ne crois pas si bien dire, j’étudie la kabbale depuis un an ! J’ai eu une copine juive. Au-delà du fait qu’on mangeait super bien (j’adore la soupe de matza balls), je me suis intéressé à la culture… Et me suis mis à étudier la kabbale.
– Noir et juif, tu cumules ! Tu es plutôt Barack ou Shimon ?
– Je ne suis pas toujours d’accord avec Barack, mais Shimon Peres, quand tu le regardes, il a toujours l’air de vouloir tuer quelqu’un.
– Tu as été élevé par ta mère. Tu es proche d’elle ?
– Carrément ! Si on sort ce soir, elle nous couche tous, c’est une sacrée femme !
– Tu lui présentes tes copines ?
– J’essaye de ne pas lui présenter toutes mes copines. En même temps j’essaye de ne pas épouser toutes mes copines. Certaines, j’essaye juste de les… tu vois…
– oui oui je crois que je vois.
– Tu aurais dit quoi à Lenny Bruce si tu avais pu le rencontrer ?
– Je lui aurais dit merci, pour nous avoir ouvert la voie. Et en fait, j’ai rencontré sa mère qui est venue me voir après un show.
– Ça coûte combien si je veux t’embaucher pour la bar mitzva de mon fils ?
– Cher, très cher, mais s’il y a de la Veuve Clicquot, on peut s’arranger…
Le soir, sur scène, Eddie se déchaîne. Là où Lenny Bruce interpelait les niggas, Eddie fume comme un pompier et boit comme un trou, ce qui est pour les USA l’équivalent d’éviscérer un petit animal sans défense sur scène. Change rien Eddie, omagad aussi !
Sophie Taïeb et Jackie Schwartz
Merci à XL Airways pour son concours au voyage de nos correspondantes à Las Vegas
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© photos : Sophie Taïeb, DR
Article publié le 14 octobre 2013, tous droits de reproduction et de représentation réservés © 2013 Jewpop