Une brèche dans le cosmos ?

10 minutes de lecture

 
 

Combien d’informations faut-il pour combler une brèche dans le cosmos ? Beaucoup, l’une derrière l’autre, immédiates, au diable la réflexion. Et même « beaucoup », n’en viendrait sans doute pas à bout. Alors, il faut bien y ajouter d’autres nouvelles, des milliers qui n’en sont pas, ou qui pourraient en être. Et ainsi de suite. Mais une brèche dans le cosmos, c’est quoi, au juste ?

 

À force d’être rivé sur l’importance des faits, de scruter le moindre signe d’alerte, surtout lorsque l’on vit en Israël, on oublie combien il est quelquefois apaisant de se satisfaire de non informations. Celles dont Facebook est le formidable propagateur. Prenez le cas – par exemple – de cette jeune Polonaise se vantant à la vitesse de l’e-fluential, comme disent les spécialistes, de vouloir coucher avec 100 000 hommes. En comptant bien – à quelques dizaines près – Ania (prénom fort commun en Pologne, mais qui en hongrois signifie toutefois « maman »), s’engage donc à se gratifier de 3 hommes par jour, et cela pendant presque 100 ans. Il y a de quoi admirer la fougue et la longévité espérée de la donzelle. Avec une double inscription promise à une «Zywiec des Records».

 

Cette non-information a quand même été dûment soupesée par le Ministère de l’Intérieur Jordanien qui – craignant qu’Ania s’enquiert d’un visa pour la Jordanie et dévale les pentes masculines du pays – a officiellement déclaré son indignation et par anticipation son refus ferme à toute éventuelle requête. Merci, Aïe Touenti Foreu !

 

 

Mon grand-père turc me racontait toujours une blague sous des formes si variées, que je ne me rendais pas toujours compte, gamine, qu’il s’agissait en fait de la même plaisanterie. Je vous en livre une version, que je vous laisse en famille, en société, à la synagogue, agrémenter selon vos choix, vos idéaux, voire même le temps qu’il fera demain.

 

Haim sort du vieux zoo d’Ankara à la fois inquiet, étonné, abasourdi. Sur le chemin, il rencontre Elie, ami d’enfance et confident de toujours. Encore sous le coup, il lui livre immédiatement la dernière nouvelle. « Elie, tu te souviens, de ce couple de pandas ? » « Oui », lui répond Éli, attrapé à son tour par une soudaine inquiétude, « Eh bien ? ». « Et bien, après des années de captivité, ils viennent aujourd’hui d’avoir un petit panda ». Silence d’Eli, qui réfléchit, qui réfléchit, qui réfléchit encore. « Ah Haïm », lâche-il enfin, « tu crois que c’est bon, ça, pour les Juifs ? ».

 

Depuis ma Galilée, de mon surplomb carmélite, je me réjouis de ce néant absolu qui a su se frayer un chemin jusqu’au sommet : Ania, dite « maman » pour les hongrois, au cœur (si je puis dire) du Printemps arabe (si je puis dire, aussi)… C’est tout à fait rafraîchissant. Mais, en y réfléchissant à deux fois, quand même, est-ce vraiment bon… pour nous ? Tant d’indigence ? Tant de vide ? Et la sueur perle soudain… À quel moment précis une non-information se transforme-t-elle en un avertissement ? Je pose la question à mon grand-père (un peu trop tardivement, dommage…), ainsi qu’à ces Juifs du monde entier qui ont su par cette plaisanterie y ajouter leurs références, sous tant de formes qu’on oublierait presque qu’elle nous transmet une leçon, comme dans tout humour juif. Pérenne, hélas.

 

De Haïfa, dont la perspective imprenable sur la Syrie et l’Iran à quelques portées de missiles chimiques et bactériologiques m’offre une réelle désinvolture, je peux admirer de toute mon aise la photo officielle livrée à la presse des joueurs de baskets sur le perron de l’Élysée. Et avec quelle béatitude le Président, malgré sa taille, se tient fier, englouti quand même, au milieu de grands gaillards virils qui lèvent tous un doigt au ciel. Ces basketteurs magnifiques, au regard hilare, ont traversé le Protocole d’un dextre bras, avec honneur. Paillards, ils ont relevé le défi de la victoire et de la rébellion à l’ordre des codes établis.

 

De mémoire de mes expériences diverses et pénibles parmi des Ministères parisiens ou Institutions gouvernementales, j’ai souvenir des services protocolaires incontournables, dont il nous était impossible de réchapper. Pas un souffle, pas un grain de sable, sans qu’il ne soit préalablement regardé, ausculté, pesé par le Protocole. S’y afférait avec l’œil d’un horloger une floraison de spécialistes, l’Élysée étant, somme toute, le lieu par excellence du Protocole le plus élaboré.

 

La référence aux basketteurs américains de la NBA (dont le doigt levé avait déjà posé souci pour certains médias américains, qui ont interprété le geste comme une allusion aux armes à feu), semblerait logiquement en découler. Signe de ralliement, de victoire pour ces derniers, parodie de la gestuelle de l’arbitre, les américains, n’en doutons pas, ne visaient pas plus haut que le ciel. Mais sur le perron de l’Elysée?… Est-ce vraiment bon… ?

 

Dieudonné, ami en sauce nantua du joueur Tony Parker et de l’actuel capitaine d’équipe Boris Diaw, s’est empressé, à la vitesse d’Ania, de se féliciter de cette «quenelle» élyséenne. Et pour cause, les deux basketteurs en question avaient déjà pris la pose en compagnie du copain d’Ahmadinejad, d’un bras ballant mais pas moins hitlérien. Y notera-t-on dans ce charivari que «quenelle» est la francisation du Knödel d’origine autrichienne (prononcez Kneudeul) et une tambouille bavaroise ?!…

 

« Récupération » a posteriori, coup délibéré per anticipatio ? Pour que la réponse soit dans la question, pour reprendre Lévinas, encore faudrait-il saisir la question, qui la pose et ceux qu’elle interroge ou convoque. Tohu-bohu, mot apax, unique sur toute la bible, signifiait par deux substantifs, informe et néant : le chaos. Il revêt aujourd’hui la seule acception de vacarme. L’originel, voire l’origine ne pouvait pourtant mieux dire ! Voudrait-on inverser la Création, avec du bruit, un chahut informe et indigent ? (c’est moi qui vous pose la question).

 

D’où je vous parle, cette cuisine n’éveille pas mon appétit et au demeurant le sport et ceux qui l’incarnent n’ont, à regret peut-être, ni partagé ma vie, ni ma bibliothèque. On peut cependant s’attendre à une kyrielle d’explications, d’irréductibles révélations, de pages Facebook qui en découleront, avant de laisser place à d’autres « informations » d’un même tonneau, dont au mieux l’ambigüité viendra combler le vide. D’autres bras, vers le haut, vers le bas, désigneront tantôt la Terre sans plus de socle, sur laquelle nous marchons ; tantôt certainement le « soleil ».

 

« Courons-nous sans souci dans le précipice après que nous avons mis quelque chose devant nous pour nous empêcher de le voir ? », demandait à son époque Blaise Pascal. Autrement dit – en bon yiddish de l’invariant télégramme juif  – :  « Commence à t’inquiéter !.. Détails suivent…». Une petite glace à l’eau dans le parc attenant au zoo, sera finalement plus sûrement rafraichissante.

 

Daniella Pinkstein

 
Retrouvez toutes les chroniques de Daniella Pinkstein sur Jewpop
 
© photos : DR
Article publié le 10 octobre 2013, tous droits de reproduction et de représentation réservés © 2013 Jewpop

Laisser un commentaire

Your email address will not be published.

S'abonner à la jewsletter

Jewpop a besoin de vous !

Les mendiants de l'humour

#FaisPasTonJuif