Je ne suis jamais allée volontairement à des cours de Torah. Les rares auxquels j’ai pu assister naguère furent ceux donnés le samedi après-midi par le rabbin de ma communauté, captés sans attention depuis la table de ping-pong en attendant impatiemment que soient servis les chips et le thon de la seouda.
Étant pratiquante, mais pas hébraïsante, je n’ai jamais eu envie de suivre de cours de Torah : peur de ne rien comprendre, peur d’être interrogée sur la sœur de la tante à Moïse, manque d’intérêt, doute sur le retour sur investissement, aversion pour les leçons de morale. Et puis, conseillée par un contact sur Twitter, j’ai assisté dernièrement aux cours de Torah du rabbin Benchétrit et de Jérémie Berrebi. Bilan.
1. Le trajet
Traverser Paris en bus, en fin de journée, au mois de juin, ça fait du bien aux yeux. Les cours du rabbin Benchétrit ont lieu rue Ambroise Thomas dans le 9ème, une petite rue comme un passage secret à laquelle on peut accéder en passant par exemple par la Cité Trévise, une autre petite rue calme, pavée, dotée d’une fontaine, verdoyante, qui détonne avec la furie des rues adjacentes entre bières en terrasse et graillon en odorama. Quant au cours de Jérémie Berrebi, il avait lieu au Centre Edmond Fleg, rue de l’Éperon dans le 6è, l’occasion d’arpenter le quartier de l’Odéon, et de se perdre un instant devant l’étroite et charmante rue Jardinet. Paris gagnant.
2. Les lieux
Synagogue modeste pour l’un, centre d’études ultra-équipé pour l’autre.La synagogue de la rue Ambroise Thomas va à l’essentiel. Elle est usée par le temps, mais habitée et empreinte de modestie. Détail notable : les livres de prières, quoiqu’en mauvais état, sont rangés par numéro, donc rangés scrupuleusement. Respect. Le Centre Edmond Fleg s’élève sur plusieurs étages, avec notamment au rez-de-chaussée une cafétéria casher avec burgers, sushis, pizzas, pour les étudiants alentour le midi. Ces lieux sont comme les plats dans Top Chef : on a envie de les revisiter.
3. Le public
Des Juifs, il me semble, mais je n’ai pas vérifié. Des jeunes filles aux cheveux longs et hyper attentives, des jeunes hommes à barbes courtes et hyper attentifs, des mères de famille, des pères de familles, des personnes à la retraite, des fortunés, des moins fortunés. Impossible de savoir les raisons, l’intérêt, les chagrins ou les manques qui les poussent à être là. Ils sont là. Quitte à rater Plus Belle la Vie, ils sont là.
4. Les thématiques
Les cours du rabbin Benchétrit portaient successivement sur les tsitsit, la paracha Houkat et la relation à Dieu, le tout assez décousu quoiqu’avec un fil rouge pas facile à suivre, et surtout surtout agrémenté de digressions sur la vie moderne, des situations réelles, la vie de couple, les relations parents-enfants, la vie amoureuse, les relations de travail… Ce sont ces passages-là forts d’une certaine finesse psychologique qui permettent de se reconnaître, d’aider à comprendre, d’être un peu bousculé, d’aider à agir mieux, et qui gagnent en utilité. C’est de la Torah appliquée au quotidien. Après, on en fait ce qu’on veut, il n’y a pas de coercition, pas d’embrigadement, pas de Tom Cruise avec un livre de Ron Hubbard entre ses dents symétriques, mais ça désankylose les neurones. C’est déjà ça.
La conférence de Jérémie Berrebi, serial entrepreneur dans la high tech installé à Bnei Brak, était intitulée « THT : Torah et Haute Technologie – un sujet sous Très Haute Tension ». De passage à Paris, il a donné une série de conférences organisées par Torah-Box toute la semaine, sur des thématiques similaires (« Être juif dans un monde ultra connecté », par exemple, à laquelle je n’ai pas assisté). Là, il a été question de notre addiction au smartphone, de GAFA, d’AB Testing, de FOMO, le tout analysé avec des considérations judaïques pour aider à reprendre le contrôle. Histoire d’instaurer une sorte de Protocole des Sages de Connexions.
5. Le style
Aucun des deux intervenants – et c’est heureux – n’avaient ce style oratoire courant chez les rabbins et accédants bar-mitzvah, fait d’intonations de voix de type sinusoïdal, qu’on a envie de caricaturer. Pas de ton professoral non plus. Des pensées foisonnantes, précises, de l’humour, une appétence pour les jeux de mots limite One Rav Show, et une maîtrise des outils technologiques pour transmettre plus facilement : Live Facebook, application, site Internet, agenda Google en ligne partagé, blog, podcast, vidéos Youtube de rattrapage.
6. Quelques phrases notées
Du rabbin Benchétrit :
« Il faut avoir la conscience du problème, pas l’angoisse du problème. »
« Dieu n’est pas un prestataire de services. »
« Accepter une épreuve, c’est une occasion de grandir. »
« On a un cœur pour humaniser ses décisions intellectuelles, et un cerveau pour réguler ses émotions. »
« La terreur est humaine. »
« – Rabbi, je veux rencontrer un avion de chasse. – Pourquoi ?, t’es un porte-avion, toi ? »
« Dieu a un plaisir puissant à nous faire plaisir. »
« Quand on ne sait pas quoi faire, on ne sait pas quoi être. »
« On est condamné à s’adapter, à évoluer, à faire des mises à jour de ses logiciels intérieurs. »
« Le non-choix est un choix. »
« Si ça fait 6 mois qu’il ne t’a pas répondu, inutile de lui donner le bénéfice du doute, c’est que c’est non. »
« On a tort de dépendre du non-choix de l’autre. »
« Si on ne fait rien, il ne peut pas y avoir de résultat. »
« Dieu existe selon la conscience qu’on en a. »
« Si tu as du mal avec la personnalité de ta femme, il fallait épouser un steak. »
« Les gens qui ne s’intéressent à rien, ne sont pas intéressants. »
« C’est en faisant qu’on devient apte à faire. »
« Chaque étape de la vie demande des efforts. »
De Jérémie Berrebi :
« Le judaïsme n’est pas qu’à la synagogue, il est aussi dans les relations aux autres. »
« On a besoin de 10 minutes pour se concentrer, on consulte son smartphone au moins 110 fois par jour, résultat on ne se concentre jamais sur ce qu’on fait. »
« Une addiction, c’est savoir qu’un truc nous fait du mal, et on continue quand même. »
« Un Juif, c’est quelqu’un qui réfléchit avant d’agir, au moins avant de manger. »
« Les machines prennent notre temps, il faut réapprendre à contrôler notre temps. »
« Rater sa vie, c’est regarder le monde. »
« Quand les rabbins écoutent tous les problèmes des gens, c’est du Big Data. »
« Le judaïsme oblige à tout analyser, tout, tout le temps. »
Conclusion
Les points positifs : le trajet, les lieux, le public, les thématiques, le style, les propos.
Les points négatifs : aucun. Je ne vois aucun point négatif, sincèrement. De toutes façons, je n’ai pas envie de perdre le bénéfice mitzvesque d’avoir assisté à des cours de Torah, en faisant du lachon hara lourdingue, insincère et injustifié. Donc, si vous en avez l’occasion, et sans volonté de prosélytisme, allez-y en réel ou en ligne, ça fait du bien aux neurones, à la conscience et ça aide à donner un peu de sens à nos vies modernes. Bonne Rav Party à vous.
Ingrid Zerbib
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Article publié le 10 juillet 2018. Tous droits de reproduction et de représentation réservés © 2018 Jewpop
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