L’été est fini, les vacances aussi ! Mais moi, j’ai de la chance dans la vie : j’habite un pays dans lequel la plage n’est jamais trop loin. De temps en temps, je m’octroie le plaisir d’y aller, en pensant à tous les copains de retour à Paris, qui doivent attendre patiemment le mois d’août prochain pour faire trempette dans l’eau salée.
Ça commence quand j’enlève mes tongs
Puisque vous êtes privés de plage, je vais vous raconter mon expérience et vous décrire les gens qu’on y rencontre. Ça commence quand j’enlève mes tongs, et que je pose un pied dans le sable. En pleine journée c’est chaud, ça brûle, j’ai mal et j’ai envie de hurler, mais j’affiche un grand sourire au cas où quelqu’un me regarderait. Je prends mon courage à deux mains et commence la traversée de la plage en sautillant, le plus naturellement que possible, en essayant de minimiser le contact sable brûlant/pieds. Je ne peux pas remettre mes tongs parce que ce serait accepter ma faiblesse, et que ça projette du sable dans tous les sens quand on marche avec dans le sable. J’observe les gens autour de moi, et ils n’ont pas l’air de souffrir du tout, tous de parfaits insensibles.
Un couple de touristes allemands se trouve sur ma route, ce dont je me rends compte seulement juste après leur avoir trébuché dessus. Ils sont tout blancs avec un léger début de coup de soleil sur le dos, ont amené leur stock d’écran total et s’en sont fait des peintures de guerre sur la figure. Avec leurs chapeaux qui descendent dans la nuque façon explorateur du Sahara et leurs chaussettes blanches bien remontées sur leurs mollets dans leurs claquettes de prof de piscine, ils sont tout à fait dépaysants. Ils font bien attention à ce que les grains de sable n’envahissent pas leur Lebensraum – euh pardon, serviettes, disposées en angle droit par rapport à la mer et aussi parfaitement parallèles l’une à l’autre. Le couple avait méthodiquement plié et rangé leurs habits dans leur sac, ils étaient allongés les doigts de pied en éventail, se relaxaient en feuilletant leur guide de Tel-Aviv quand je leur suis tombée dessus d’un seul coup, un vrai truc imprévu comme il n’en arrive jamais en Allemagne.
Artik ! Artik !
Je me relève de ma chute un peu honteuse mais pas trop non plus, parce que ça arrive, et continue ma route pour croiser un emblème de la plage en Israël. Il est toujours là, fidèle au poste, sans jamais prendre de vacances. C’est le vendeur d’artikim (glaces à l’eau). Il est très vieux, tout maigrichon mais hyper en forme. Quelqu’un m’a dit une fois qu’il était déjà là pendant la guerre de Kippour à parcourir la plage, de long en large, inlassablement, en déclamant : « Artik, artik ! À la fraise, au citron ! ». Et si personne ne répond à son appel, il grogne, vexé « Ani olekh ! – je m’en vais ! ».
J’arrive à l’endroit des transats, mes amis sont juste derrière. Il faut donc traverser cette zone particulière, peuplée exclusivement de Français. L’ambiance est différente, on se sent dans une bulle, un mélange entre le film Jet-set et Camping. Sur les tables, des restes de sandwiches fricassés posés sur des papiers imbibés d’huile de thon côtoient des bouteilles d’huile de bronzage. Les gens sont allongés sur des transats, tout luisants, et font frire leur peau au soleil. Ça sent une odeur unique, mélange de baraque à frites et de parfum de luxe. Deux papas en maillot de bain, kippa et Rolex® parlent de la bar mitzvah d’hier soir. Ils sont debout l’un face à l’autre, les pieds dans l’eau, l’un tripote la Magen David qui se cache derrière ses poils de torse, et l’autre interpelle son fils : «Arrête un peu avec ton téléphone, profite du moment, viens te baigner là ! Tu sais combien ça me coûte, ces vacances ?». Son fils est occupé avec son cousin à prendre le selfie parfait pour son compte Instagram, car comme chacun sait la photo est bien plus importante que le moment présent. Les gamins ne lui répondent pas, ils posent dos à la mer, la casquette à l’envers, hashtag #Ilovetelaviv #déclassé.
Tak-Tak-Tak
J’arrive enfin là où mes copains sont assis, ils veulent aller se baigner. Pour arriver dans l’eau, on doit d’abord franchir le champ de bataille qui s’offre devant nos yeux : deux joueurs de matkot (raquettes de plage, sport national israélien), se mènent une guerre impitoyable. À l’aide de leurs raquettes en fibre de carbone, ils font voler la balle de toutes leurs forces et on entend « tak – tak – tak ». De leurs fronts giclent des gouttes de sueur. On les regarde droite, gauche, droite, gauche, afin de capter le bon moment pour traverser leur espace. Ils sont persuadés que ce sport sera un jour reconnu aux Jeux olympiques et considèrent que l’espace de sable mouillé qui longe l’eau leur revient de droit. Aussi, ils ne s’arrêteraient surtout pas pour te laisser passer. Pendant que toi tu es simplement venu faire bronzette, eux s’entraînent pour être champions, et ce n’est pas ton petit confort de vacancier qui se mettra en travers de leur gloire. En tout cas, si les matkot sont le sport national israélien, pour nous, ne pas se prendre une balle en pleine poire est une une discipline d’élite.
On arrive au bord de l’eau, on trempe nos pieds et puis on se lance. Je tente une petite brasse vers le large, en espérant quitter la zone surpeuplée de baigneurs qui barbotent. Au moment où je dépasse la bouée, j’entends : « Givereeetttt (Madame, mademoiselle !) Celle avec le maillot de bain mal assorti et les cheveux en pagaille, reviens vers la plage ! » Lui, c’est le maître-nageur-sauveteur, le roi de la plage. Il contemple son domaine du haut de son perchoir d’un air satisfait et parfois réprobateur. Sa spécialité ? Vous interpeller devant toute la plage à l’aide de son porte-voix, et vous mettre la honte devant tout le monde. Il ne s’arrête pas, jusqu’à ce que chaque vacancier soit au courant que tu as dépassé la ligne des eaux territoriales de la plage du Lalaland.
Poissons mordeurs
En nageant de retour vers la zone autorisée, un jeune israélien sympathique et optimiste commence à me parler. Il croyait avoir une chance en approchant une personne dans son pire moment de faiblesse, sans défense. Comme ça, j’étais juste au moment le moins confortable de ma vie, avec l’eau salée qui me pique les yeux, en maillot de bain qui menace de se faire la malle à la moindre vaguelette, et entourée de poissons mordeurs qui me tournent autour des pieds comme des petits requins vicieux. Il s’est aperçu rapidement que je n’étais pas très détendue. De toute façon, je n’avais pas réussi à aligner trois mots qu’un poisson m’arracha violemment un bout de peau du pied, m’arrachant aussi au passage un hurlement strident et une grimace digne d’un tableau de Picasso, qui ont achevé de convaincre ce sympathique sabra que je n’étais peut être pas la femme délicate qu’il recherchait.
Il y en a des tas d’autres, des personnages typiques à la plage : les familles nombreuses qui amènent toute leur maison et leur frigo, les arsim (sorte de racailles israéliennes sympa) avec leur musique à fond, les nudistes à chapeau… C’est qu’on a un joli pays aux mille visages. Et vous, quels personnages typiques avez-vous remarqué sur les plages israéliennes ?
Gabrielle Danieli
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© photos : Jewpop, excepté photo de une, photo « sandales-chaussettes » et capture d’écran du court-métrage « Matkot The End » / DR
Article publié le 1er octobre 2018. Tous droits de reproduction et de représentation réservés © 2018 Jewpop