Nouveau venu dans l’univers des sites d’infos parodiques, Le Gorafeuj se niche dans les méandres de « l’info juive » avec une bonne dose de dérision. Son créateur, Israel Tavor, répond aux questions de Jewpop.
Jewpop : Qu’est-ce qui t’a motivé à lancer Le Gorafeuj ? Juste une grosse envie de déconner, ou bien de rire des juifs francophones en général et de la politique israélienne en particulier, comme ton hilarant équivalent algérien El Manchar avec les musulmans et le régime de Bouteflika ?
“Une sorte d’affaissement de l’humour juif en général”
Israel Tavor : À part la gloire et la fortune ? Cela fait environ 4 ans que j’avais en tête l’idée de faire un site parodique. J’avais découvert il y a très longtemps The Onion, le média parodique de référence américain dont tous les autres se sont inspirés, qu’il s’agisse du Gorafi ou d’El Manchar. Dans la news parodique, je n’en suis pas à mon coup d’essai… D’abord avec le Tavor Mag, une simple couverture de magazine à la façon du groupe Jalons, qui jouait sur la manière dont chacun tente se de mettre avant sur les réseaux sociaux, y compris, et surtout, moi. J’avais récidivé avec Raoul, parodie d’un magazine francophone israélien du nom de Roula… Hormis le premier cercle des quelques personnes qui me suivent sur Facebook, ça n’était pas allé bien loin. Ma première motivation, c’est de se marrer ! C’est essentiel. Ensuite, il y a des motivations secondaires pour lancer un tel site, dont le fait d’appuyer sur l’absence apparente de second degré qui s’est emparée d’une partie des juifs francophones, et une sorte d’affaissement de l’humour juif en général. Je dis « absence apparente », car je me rends compte avec certains articles que même parmi les premiers visés, certains lisent mes articles en riant. J’ai aussi bien évidemment le droit au cortège des pisse-froids et des « c’est pas drôle » et autre « on ne peut pas rire de tout ».
Bien évidemment il y a aussi la politique israélienne, dans laquelle j’inclus Meyer Habib, et la Bibilâtrie, que je trouve fascinante, le conflit avec les Palestiniens qui est une source inépuisable… D’autre part, je pense que l’image des Juifs, en terme d’humour en France, s’est largement dégradée. Nous ne sommes plus drôles et nous sommes passés de la position de snipers ironiques de nos travers à celle de cible préférée des antisémites et antisionistes. En créant le Gorafeuj, j’avais l’envie de redevenir acteur du drôle, et donc je ne voulais pas parler qu’à un public communautaire ou strictement franco-israélien. Sur 80% des articles, je tente (avec plus ou moins de succès) de parler également à un public juif non-communautaire et non-juif, qui a quelques notions de culture juive. Sur Twitter et de plus en plus sur Facebook, je vois des profils me suivre qui ne sont pas du tout juifs ou communautaires, ça fait plaisir !
L’idée est aussi de faire passer le message « Les mecs, on est encore drôle ». Dieudonné est passé par là forcément et il a fait croire qu’on ne pouvait plus rien dire, ni rire de thématique juive. Mais c’est faux. Sur scène Fabrice Eboué le fait, Mustapha El Atrassi aussi, Fary également, et il l’a fait à Tel-Aviv cet été ! Aucun n’a été menacé, poursuivi, ou n’a mis sa carrière en danger, tout simplement parce qu’il il n’y a aucune haine derrière. Mais le mal a été fait par Dieudonné. J’espère simplement, à ma toute petite échelle, montrer que nous, les Juifs, restons les meilleurs pour rire des Juifs. Mis à part ça, il n’y a aucune volonté militante dans les articles. Si je commence à y mettre en premier une sorte de militantisme lourd, je perdrais de vue la dimension humoristique. Je déteste voir des humoristes se mettre à faire la morale ou dire ce qui est bien ou mal, genre Alévêque. Le public est assez grand pour qu’on ne vienne pas lui dire ce qu’il doit penser, voter… J’évite autant que possible de faire pareil… Il s’agit de faire modestement, à mon échelle, une sorte de revival de l’humour juif qui ne soit pas limité à Gad Elmaleh et Michel Boujenah.
J. : En 2014, Actualité Feuj fut le premier site juif d’« info parodique », avant de disparaître rapidement… Tu vois Le Gorafeuj comme un projet pérenne ?
I.T. : J’avais en effet vu ce site passer à l’époque, sans m’y intéresser, je ne le comprenais pas, je n’arrivais pas à déterminer sa ligne, ou peut être était-ce trop communautaire, avec un côté private joke dont je me sentais sans doute exclu. J’ai passé récemment un peu de temps sur ce site, déjà afin d’éviter de faire la même chose. Ils ont fait un article que je trouve très drôle sur une famille qui décide de faire sa yerida (rentrer en France) car elle n’avait pas assez de likes sur ses photos ! Mais dans l’ensemble, je trouve que les titres n’étaient pas assez catchy et que ça restait très communautaire, je ne me suis jamais senti concerné… Je souhaite que le Gorafeuj soit effectivement pérenne. Chaque jour, je me lève en me disant que je n’aurai rien à écrire, et par miracle, j’ai une idée qui me vient en tête et je tente, dans la mesure du possible, de rester accessible au plus grand monde, communautaire ou pas, croyant ou pas… Juif ou pas. Cette idée de pérennité sera forcement liée au recrutement d’autres plumes.
J. : Tu es très actif sur Facebook, publiant des statuts humoristiques mais pas que…, commentant souvent des sujets politiques… Tu es addict aux réseaux sociaux, c’est ta « cour de récré » ? Et est-ce une source d’inspiration pour le Gorafeuj ?
“Est-ce que je suis tout seul à penser ça ?”
I.T. : Cour de récré est exactement le bon terme. Addict ? Je ne le pense pas. Je me suis retrouvé plusieurs fois en situation de devoir éteindre mon smartphone, et alors que j’aurais pu le rallumer, j’oubliais totalement de le faire pendant 3 ou 4 heures, et parfois toute une journée… Je n’avais même pas pensé à regarder les notifications. Les réseaux sociaux ne sont vraiment qu’un outil pour moi. Je n’y mets aucune photo personnelle sur laquelle on pourrait y reconnaître ma famille ou mes proches. Cependant je n’ignore pas l’aspect égocentrique, comme je le rappelais plus tôt avec le Tavor Mag. Reste que Facebook est une source d’inspiration, mais pas majeure. C’est surtout le moyen de continuer à raconter des conneries pour me marrer ! Je suis mon premier public ! On ne va pas se mentir, il y a bien sûr une question d’égo et de reconnaissance dans tout ça, mais je ne voulais pas être connu, ça je m’en fous réellement, mais plutôt être reconnu. Je voulais juste qu’on dise « ah c’est le mec qui fait ça ! » et non pas « c’est le mec qu’on connaît ». C’est une forme de recherche de légitimité que procure le fait de « faire », pas juste d’être, sinon ça n’a aucun intérêt. Pendant un an, j’ai juste fait des posts « drôles » et j’ai vu de plus en plus de gens me suivre, mais ça restait limité et ça me convenait bien jusqu’à récemment. Dans ce sens, Le Gorafeuj est un moyen aussi de sortir de cette limitation. Puis j’ai dérogé à ma ligne et j’ai commencé à commenter plus sérieusement, en me disant que ça n’intéresserait pas grand monde et qu’on me dirait « continue à nous faire marrer et c’est tout », et à mon grand étonnement, j’ai eu des retours très positifs. Si je donne mon opinion, ce n’est pas tant parce que je la trouve intéressante, mais car je ne la vois pas exprimer ailleurs, ou si peu… C’est plus pour dire « Est-ce que je suis tout seul à penser ça ? ».
J. : Tu as fait ton alya voilà une dizaine d’années, mais tu sembles être resté très connecté à la communauté juive française, en particulier via Facebook. Vue du prisme (souvent déformant) de ce réseau social, quel regard portes-tu sur elle aujourd’hui, et sur son évolution depuis ton départ de France ?
“Je pense que la communauté juive 〈de France〉 est une communauté malade”
I.T. :En France, je n’avais aucun lien avec la communauté juive. Le côté « Chalala St Paul le dimanche », me donne tout simplement la gerbe et des envies d’écouter du Wagner. Je pense que la communauté juive est une communauté malade. Elle a de bonnes raisons de l’être vu l’antisémitisme qui la cible, et que j’ai aussi vécu personnellement en France. Pourtant j’ai l’impression qu’on la pousse à se complaire dans cet état et que certains surfent sur les angoisses pourtant légitimes des Juifs de France. En Israël je suis plus en contact avec le public francophone de Tel-Aviv, mais dans ma ville de Raanana, je suis plus souvent avec les Américains, les Brésiliens ou les Sud-Africains. J’ai de vraies affinités avec certains franco-israéliens, pour des raisons amicales ou professionnelles, pas juste parce qu’ils sont francophones. De plus je ne conduis pas et prends le bus. Ce détail est important car il me pousse à être en contact permanent avec les autres israéliens non-francophones. On y discute parfois, on échange, et aussi on s’ignore. Indiquer en hébreu son chemin au chauffeur de bus à 2h du matin car il n’avait pas prévu qu’une rue était bloqué dans Tel-Aviv, ou débattre de la loi état-nation avec des Druzes, ça vaut tous les oulpanim du monde ! Bref, encore une fois, Facebook reste l’endroit où je communique le plus avec les Français d’Israël et d’ailleurs.
J. : Quelle est la géolocalisation des lecteurs du Gorafeuj ? Plutôt Français ou plutôt franco-israéliens ?
I.T. : La grande majorité sont Français. 70% des lecteurs viennent de France, avec sur certaines semaines des pics à 80%. C’est normal, la ligne éditoriale pousse à une telle prépondérance de l’Hexagone. Sur Twitter, c’est encore plus flagrant. D’ailleurs le compte Gorafeuj Twitter m’a conduit à m’intéresser à ce réseau et à toucher un lectorat différent, plus militant et politisé. Certains des articles sont écrits en pensant à Twitter, en sachant qu’ils auront un moindre succès sur Facebook.
J. : La vague des sites d’infos parodiques a-t-elle aussi atteint Israël avec des sites en hébreu ?
I.T. : J’ai surtout vu des sites anglophones basés en Israël, que je consulte également (toujours pour éviter de les copier par erreur). Il y a dailyfreier.com, preoccupiedterritory.com, et surtout themideastbeast.com. Je suis d’ailleurs en discussion avec le fondateur de ce dernier pour reprendre certains de leurs articles.
J. : Consécration ultime pour un site d’infos parodiques : être repris par un média « classique ». Avec un nom comme Le Gorafeuj, j’imagine que ça reste peu probable… Tu ne crois pas que tu devrais lancer aussi Druze Info ou JuifSSNews ?
“J’essaie de dépasser l’aspect communautariste”
I.T. : Je n’ai pas choisi le nom du site, c’est mon ami Nissim Sellam, qui est aussi le créateur du logo du site, qui me l’a suggéré en me disant que la marque « le Gorafi » étant déjà installée, le nom « legorafeuj » coulerait de source et marquerait mieux les esprits. Ensuite, tout simplement, en testant le nom, il faisait l’unanimité. Druze Info ou JuifSSnews? Un nom reprenant et parodiant le nom d’un autre site « juif » ? Non… C’était pour moi enfermer l’idée dans un aspect communautariste que j’essaie justement de dépasser. C’est ce qu’avait fait Actualité Feuj, qui s’inspirait d’Actualité Juive. J’ai d’ailleurs été contacté par le Gorafi, car au début le slogan « Comme le Gorafi, mais avec un prépuce en moins » incluait une référence direct à leur nom… et comme il est protégé, il m’a été gentiment demandé si je pouvais le retirer. Mais ils ont été très cool, et m’ont donné de précieux conseils ! Être repris par un média mainstream, oui ça ferait plaisir, même si ce n’est pas un Graal…Je cherche surtout à gagner plein de pognon, me taper un tas de gonzesses en me droguant un max. Et bien évidemment de me marrer ! Et si en plus ça fait marrer les autres, tant mieux !
Le site Le Gorafeuj
La page Facebook Le Gorafeuj
Le compte Twitter Le Gorafeuj
© photos : Nissim Sellam
Article publié le 13 janvier 2019. Tous droits de reproduction et de représentation réservés © 2019 Jewpop
« Une sorte d’affaissement de l’humour juif en général »… Le type n’est visiblement pas étouffé par son ego surdimensionné #melon
Bon, le gorafeuj c’est parfois drôle, mais que son auteur se prenne pour le « revival de l’humour juif » faut qu’il redescende un peu, ou qu’il lise Sagalovitsch, voire la sefwoman, pour n’en citer que quelques excellents représentants actuels
Alors ce commentaire est marrant car il me cite « revival de l’humour juif »… et juste ce morceau pourrait sembler indiquer un mec qui se la joue.
Sauf que juste avance ce bout de phrase, il est écrit « modestement et à mon échelle ». Quand on cite, on le fait en entier 🙂
Bah non tu te la joue surtout pas 😉 J’ai volontairement omis le « modestement » pour ne pas enfoncer le clou, tellement tes réponses sont boursouflées, une caricature d’autosuffisance avec en acmé la « sorte d’affaissement de l’humour juif en général » et autre « nous ne sommes plus drôles » ! Faut pas prendre ton cas pour une généralité… 🙂
Donc on tronque mes paroles pour leur donner le sens que l’on veut. Ça fait donc ça d’etre Dieu. Et après on se demande pourquoi j’ai ego boursouflé, je suis pas aidé. 🙂
Faut juste assumer, c’est pas donné à tout le monde de se prendre pour le nouveau Larry David en vf 😉
J’adore ce genre de personnage qui balance tranquilou de gros poncifs comme « la communauté juive de France est malade »… On dirait Roger Giquel qui a fait son alya 🙂
Enfin une ITW qui fait du bien ! Ce ne sont pas des généralités que de dire que la communauté juive de France aurait pu perdre son humour, c’est un constat… mais est-ce réellement de sa faute ? je pense juste que les juifs de France sont avant tout des français, et que quand la société tousse, elle tousse avec elle. Elle s’est très droitisée, non par idéologie mais parce que la France s’est ultra-droitisée et que c’est dans l’air du temps. Durant les années Mitterand, elle penchait à gauche parce que la société française souhaitait un autre type de société. Les juifs de France évolue en fonction de la Communauté nationale (et aussi un peu en fonction de la société israelienne)
oups « les juifs évolueNT », sorry
Bien d’accord, les juifs de France sont avant tout des Français et votent comme la majorité des Français (éliminant M. Le Pen au second tour des élections présidentielles, donc pas vraiment « ultra-droitisée »). Reste que les propos de ce monsieur sont terriblement caricaturaux, d’autant plus sous ce prisme franco-israélien souvent déformant, et pour cause… Un peu comme si j’allais dire à cette personne « la société israélienne est malade » alors que j’habite Marseille. Il me répondrait à juste titre « mais de quel droit nous jugez-vous, alors que vous ne vivez pas ici ? »… De plus il ne dit pas que la « communauté aurait pu perdre son humour », mais si je résume (bon le bonhomme a l’air au taquet, je vais sûrement me faire corriger 😉 ce serait plutôt, « grâce à moi, l’humour juif reprend ses droits » 🙂 Faut quand même relativiser, son truc est juste un site d’infos parodiques, c’est pas le nouveau Jerry Seinfeld !
Il y a de plus en plus une opposition forte voire violente entre « juifs de droite » et « juifs de gauche ». Enormément de juifs français se sont beaucoup politisés, quitte à être très agressifs sur les réseaux sociaux ou les sites communautaires (rien qu’au niveau des commentaires sur cet article, ça se lit…). On ne peut plus rigoler de certaines personnalités communautaires ou sujets communautaires sans se faire traiter de « bobo-gauchiste » ou de « facho ». On ramène tout à la politique, on veut tout politiser, même le buffet que l’on va acheter pour son salon, et c’est très fatiguant à la fin…
Je ne connais pas ce Monsieur Tavor, et je pense que toute initiative qui permet de détendre l’atmosphère au sein de la Communauté est bonne à prendre. On ne demande pas d’avoir des nouveaux Seinfeld ou Larry David mais d’avoir des gens qui tentent des choses pour nous amuser car nous en avons besoin. La situation sociétale en France est particulière depuis quelques années, tout est décortiqué, analysé et politisé. Ca a un impact sur la population, qu’elle soit nationale ou qu’elle se fasse à l’échelle des « communautés ».
Lolo, je pense que les commentaires sur cet article n’ont tien à voir avec une tendance gauche ou droite. Entièrement d’accord sur le fait que des sites comme jewpop ou gorafeuj participent à l’autodérision qui nous caractérise, ou dont nous avons besoin. Il me semble juste que divers commentaires soulignaient- à juste titre il me semble – combien ce monsieur faisait étalage de ce que Molière nommait les « précieuses ridicules ».
Suffit de jeter un oeil en suivant le lien de jewpop sur la page fb de ce bouffon pour mieux comprendre l’esprit qui l’anime… « L’entretien accordé à jewpop par votre serviteur », genre le mec se prend surtout pas pour une star. Au passage j’ai checké, personne ne l »a interviewé sinon, manifestation que tout le monde s’en branle… et qu’il ne vienne pas me rétorquer que c’est du second degré (le sieur Israel Tavor a l’air de suivre sa « réputation » sur ce fil de comments… genre j’aurais pas compris combien il se moque de sa splendeur 😉 J’adore les interviews jewpop, celle de Michel Kichka était d’un autre niveau, mais bon y a pas photo entre les 2 non plus… Le copinage c’est bien jewpop, mais ça a ses limites aussi…