Tous les juifs devraient être végétariens. Bon je l’avoue ce titre un peu « putaclic » m’a été soufflé par le rédac-chef, mais en réalité il n’est pas très éloigné de mon propos. Je vous fais le topo : 2016, je me régale de bonnes côtelettes d’agneau grillées au barbecue. 2019 : rien qu’à écrire ces mots, j’en frissonne. Que s’est-il passé entretemps ? J’ai simplement tapé « agneau » dans Google Images après mon repas.
Qui a envie de manger ça ? Sérieux
Je vous passerai tout le processus qui m’a amené à ne plus manger de viande rouge, de volaille, puis de poisson. C’est long et les images ne sont pas jolies à voir. Mais le principal obstacle à mon évolution vers une alimentation non carnée fut mes coreligionnaires. Je ne suis pas particulièrement pratiquant, mais eux non plus. Et pourtant quel péché avais-je commis ? Je revois Tonton Patrick ulcéré au dîner de shabbat, me regardant avec de gros yeux quand je refusais poliment les boulettes de ma tante. Après avoir épuisé tous les poncifs anti-végétariens du genre : « Et la carotte, hein ? Elle souffre pas quand on l’arrache ? Alors mange tes boulettes j’t’en prie ! » ou autre : « Et le Lion, baba larziz, dans la nature, il mange bien des gazelles, pourquoi lui il a le droit et pas nous ? ».
J’évitais soigneusement, pour ne pas l’agacer plus, de lui rappeler que le lion, avec toute la bonne volonté du monde, aurait bien du mal à se couper une tomate. J’évitais donc soigneusement le débat jusqu’à la fin du repas, même quand il marmonnait dans sa barbe, me traitant allégrement de vegan-bobo-gauchiste. Repoussant même la digression jusqu’à me soupçonner d’être antisioniste. Je vous avoue chercher encore le rapport entre le végétarisme et la haine d’Israël.
Puis en fin de repas, après avoir longuement mûri une réflexion saine et argumentée, tonton Patrick lâche cet argument imparable : « De toute façon c’est péché d’être végétarien ! » tout en tirant sur sa cigarette. À ce moment là, je fus pris d’un doute. Bien qu’il était évident que fumer pendant shabbat était bien plus péché que de ne pas manger de chair animale, mon idéal s’était effondré comme si la religion avait tout balayé.
Et quelques jours plus tard, me voilà questionnant les Rabbanim pour savoir si c’était bel et bien péché de ne pas manger de viande. La réponse était claire et nette : NON. Le plus souvent revenait l’explication suivante : lors du shabbat et les jours de fêtes, il est recommandé de manger un plat « riche » pour les distinguer des autres jours. En général, un plat de viande préparé selon les préceptes de la casherout. Un plat riche ne signifie pas forcément de la viande, mais les traditions ont fait que nous nous sommes accoutumés à la viande. Le seul moment où il est considéré comme une mitsva de manger de la viande est, une fois par an, d’en consommer à Pessach. Il m’était bien précisé par la plupart des rabbins :
« Libre à quiconque d’être végétarien, rien ne l’interdit »
Et j’ai même découvert mieux. Le soutien le plus important au végétarisme en tant qu’idéal positif dans la littérature talmudique réside dans les écrits de Rabbi Abraham Isaac Hakohen Kook (1865-1935). Rav Kook fut le premier grand rabbin d’Israël avant même la création de l’État, un chef spirituel éminemment respecté et apprécié au début du XXe siècle, qui prônait un retour du peuple juif au végétarisme. Bref, un antisioniste selon tonton Patrick.
Ce grand érudit de la Torah était un écrivain prolifique, encore cité en exemple par nos plus grands sages. Alors intéressons-nous au Rav Kook en mettant ses propos en perspective avec les boulettes de Tata Monique. Rav Kook estimait que la permission de manger de la viande n’était qu’une concession temporaire accordé par l’Éternel. Il pensait que Dieu, miséricordieux envers ses créatures, n’établirait jamais une loi éternelle permettant de tuer des animaux pour se nourrir.
Et c’est ici que ça devient intéressant pour Tonton Patrick. Avant Noé : tous les humains étaient végétariens. Selon Rav Kook, les êtres humains étant tombés à un niveau de spiritualité tellement bas (à l’époque de Noé), qu’il était nécessaire de leur donner une image élevée d’eux-mêmes par rapport aux animaux, en leur permettant de les consommer.
Pour le Rav Kook, se nourrir de chair animale constituait une « dispense temporaire », jusqu’à ce qu’une « époque plus brillante » soit atteinte. Dès lors les gens reviendraient à un régime végétarien. Selon lui, le temps végétarien idéal était presque arrivé. La consommation de viande ou de poisson pour les juifs ne devait pour l’instant se limiter qu’au jour du shabbat, il y plus d’un siècle déjà. Lui-même goûtait une petite quantité symbolique de poulet le soir du shabbat pour signifier que ce temps n’était pas totalement arrivé.
Mais en plus d’être un sage – et je n’ai pas vraiment l’habitude des éloges envers les religieux – le Rav Kook était un visionnaire. Il déclara : « Un jour viendra où les gens détesteront le fait de manger de la chair animale, il s’agira d’une colère saine et morale. Ensuite on dira que « Si votre âme ne désire pas manger de viande, alors vous ne mangerez pas de viande « . Le Rav Kook considérait que les nombreuses restrictions de la casherout avaient été élaborées pour maintenir un sentiment de respect envers la vie, dans le but de décourager éventuellement les gens de manger des animaux.
On sait combien le passage chez le boucher casher est le sacro-saint, que dis-je, la pierre angulaire de la tradition juive et de la préoccupation principale de tous parents juifs. Alors, même si l’on se doute que le chemin est encore long au sein de la communauté juive française pour arriver au végétarisme, il n’est jamais trop tard pour prendre conscience des souffrances que nous infligeons aux animaux.
Essayons dès lors déjà d’en consommer uniquement le shabbat. Et non, je n’ai aucun problème de santé. Et non, je n’ai pas de carences alimentaires. Et non, je n’ai pas le teint livide et gris. Et non… Je ne veux rien imposer à personne, juste faire réfléchir.
André Krief
Copyright photos : DR
Article publié le 30 janvier 2019. Tous droits de reproduction et de représentation réservés © 2019 Jewpop
Kol hakavod ! Bravo ! Merci !
Ce n’est pas un hasard s’il y a tant de véganes en Israël. Sur le sujet j’ai publié « Le véganisme en Israël, un engagement peut en cacher un autre », Les Temps modernes, n° 699, juillet-sept. 2018, p. 208-215 (http://jerome-segal.de/Publis/TM_699_2018_p208-215.pdf)
Et aussi ceci, hier : http://www.cclj.be/actu/israel/voyage-en-terre-vegane-au-coeur-neguev
Bonjour, et puis n’est-il pas écrit parmi les Dix Commandements remis à Moïse : Tu ne tueras point ? Cette interdiction n’est pas restrictive, car elle n’est pas accompagnée de la mention « sauf les animaux ». Aimer Dieu et sacrifier sans nécessité une seule vie donnée par lui, est pour moi incompatible.
Non, ce n’est pas ce qui est écrit dans le sixième commandement, mais sa traduction conventionnelle quoique approximative. « לא תרצח » serait plus précisément traduit par quelque chose comme « tu ne commettras point de meurtre ». Tu ‘ois la nuance?
Daniel, la nuance est grammaticale, mais pas sémantique, il reste donc interdit, par ce commandement, d’ôter toute vie.
La Halakha est bien indulgente sur ce point-là, ce qui est logique en vue des nombreuses restrictions qu’elle impose d’ores et déjà, sur l’abattage et sur la variété des espèces animales permises à la consommation, qui contribuent de la difficulté à la carnivorie et en pénalisent les coûts.
Cependant, bien qu’ayant moi-même de fâcheuses et peu saines tendances à une frugivorie frisant le diabète, je suis mon propre rabbin et, en tant que disciple du rav Charlie (Darwin) je décrète ici-même que le véganisme est un grave péché! Décider de son propre chef de dégringoler d’un niveau trophique est un affront au Créateur et à sa Sainte Evolution!
Pour compléter la réflexion : https://www.leclaireur.org/magazine/view?id=4&articleID=75