Couverture d'un disque vinyl de prières de Yom Kippour Jewpop

Hymne aux juifs de Kippour

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À toi, F., qui répète à l’envi, que « le jambon est la seule partie cachère du porc », et qui ne mets kippa sur la tête et pieds à la shule qu’une fois par an, le jour de Kippour, en souvenir de ta défunte femme N. – qui elle-même, fille de rescapés fâchés avec dieu, n’y allait qu’une fois par an, pour voir ses copines.

À toi, M., petite parisienne branchée et petite-fille de déportés, qui ne voit dans le judaïsme ambiant que contraintes et bêtise humaine, et qui pourtant, le jour de Kippour, ira dans une synagogue libérale « fermer les yeux et enserrer mon père, mon frère et ma mère sous le talith quand sonne le shofar ».

À toi E., petit-fils de Marocains que tu visites encore une fois par an à Casa, qui préfère la littérature à la torah, mais qui presque sans savoir pourquoi, t’es retrouvé ce jour-là dans une vieille synagogue de Venise, plus occupé à t’extasier devant les bois sombre et les velours pourpres qu’à te frapper la poitrine.

À toi, J., qui a grandi, vit et travaille au sein d’une église non-juive dont tu as épousé l’un des membres, mais qui, chaque année le jour de Kippour, y compris à ton bureau de l’église non-juive si cela tombe en semaine, t’abstiendras fidèlement de manger et de boire.

À toi A., qui dormira jusqu’à quatorze heures ce jour là pour que le jeûne passe plus vite, rattrapant ainsi « le sommeil de toute l’année », avant d’aller rejoindre toute ta famille à la syna pour la fin.

À toi G., qui n’a pas gardé un shabbat depuis quinze ans mais qui ce jour là ira religieusement dormir dans un canapé chez ton oncle à Levallois, ou dans un lit d’enfant chez ton frère à Jérusalem, pour vivre ces vingt-cinq heures-là de la manière la plus cachère qui soit, comme si rien n’avait jamais changé.

À toi A. qui a grandi sous le joug des mitzvot et ne jure plus que par le zen, et qui un Kippour sur deux, mangera rageusement des saucisses pas cachères le jour-dit, mais un sur deux, passera la journée assis seul sans manger, dans une mini-retraite de méditation silencieuse.

Vous avez bien plus de mérite que moi, qui, venue sur le tard et faisant ce que je peux, mâche consciencieusement mes brakhot à chaque repas, qui vis au rythme du shabbat et me prépare solennellement pour toutes les fêtes. Pour moi, Kippour n’est « que » le pic d’un cycle qui est déjà au centre de ma vie. Pour vous, il est une irruption. Une insurrection de votre judaïsme à la surface de l’être, presque malgré vous. Où que vous soyez, il vous rattrape et vous parle. Et ce jour là, vous lui répondez.

Pour vous Kippour est un vrai réveil, comme il devrait l’être pour nous tous.

C’est peut-être cela le sens profond de la prière Al Daat ha Makom, qui précède l’ouverture de Kippour, Kol Nidrei. Celle qui déclare « qu’il est permis de prier avec les “fauteurs” » – celle qui déclare, en somme, que personne n’est un « meilleur juif » qu’un autre. N’en déplaise aux bigots.

Mira Neshama
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© photo de une : pochette du disque Niloh Service, label Folkways / DR

Article publié le 5 octobre 2019, tous droits de reproduction et de représentation réservés © 2019 Jewpop

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