Jean-Pierre Marielle s’en est allé mercredi. Sa disparition a profondément ému le public français, qui perd l’un de ses derniers géants de la scène et des écrans. Jewpop lui rend hommage à travers deux rôles où l’immense acteur incarne des personnages juifs, y faisant preuve une fois de plus de son génie burlesque et de sa profondeur dramatique. Dans La Valise de Georges Lautner, en commandant Bloch, espion du Mossad, et dans Rondo d’Olivier Van Malderghem, à travers le personnage d’Abraham Field, un érudit attaché aux valeurs et aux traditions juives.
Les Tontons flingueurs au Moyen-Orient
Après Il était une fois un flic, le scénariste Francis Veber retrouve le réalisateur des Tontons flingueurs, Georges Lautner, en 1972, sur un sujet lié au conflit israélo-arabe. Le scénariste va s’inspirer d’un fait divers authentique, un agent secret israélien que des espions syriens tentèrent de kidnapper en l’enfermant dans une malle, que Lautner arrangera à sa sauce pour aboutir à une comédie d’aventures sur fond d’histoire d’amour : un agent secret français (Michel Constantin) doit exfiltrer un agent du Mossad (Jean-Pierre Marielle) de Tripoli, ce dernier caché dans une valise diplomatique française, mais les deux tombent amoureux de la même femme (Mireille Darc).
La Valise, comme Les Aventures de Rabbi Jacob qui sortira à quelques jours d’intervalle sur les écrans français, joue sur le registre de la comédie populaire sur fond de politique internationale, avec un message – naïf mais enthousiasmant – de paix et de coexistence, fustigeant le racisme et l’antisémitisme. Lautner s’en donne à cœur joie, servi par les dialogues de Veber dans une veine très audiardesque, et ouvre le film en beauté avec une hilarante parodie de western spaghetti dialoguée en… Arabe, qui préfigure avec vingt ans d’avance celles des Nuls et des Inconnus.
La « morale » du film, trois hommes (un Français, un Israélien et un officier égyptien joué par Amidou) qui se liguent autour d’une cause commune, représentée par Mireille Darc, malgré leurs différences et conflits, est une belle invitation à envoyer paître tous les fâcheux, comme Marielle excellait à le faire dans nombre de ses rôles.
“La seule chose qui pourrait nous gêner, c’est une guerre avec Israël”
Si Francis Veber qualifia le film de «comédie paresseuse» dans sa biographie « Que ça reste entre nous », il expliqua que le producteur Alain Poiré «en était satisfait et avait dit en plaisantant : « La seule chose qui pourrait nous gêner, c’est une guerre avec Israël. »». Cinq jours avant la sortie de La Valise, le 6 octobre 1973, la guerre du Kippour éclate… (et douze jours avant celle des Aventures de Rabbi Jacob, incroyable timing qui provoquera à la sortie des deux comédies le même genre de polémiques ridicules, certains reprochant à Lautner d’avoir réalisé un « film antisémite », d’autres à Oury d’avoir fait un film « anti-arabe »…). Dans l’urgence, un carton d’ouverture sera placé avant le générique de La Valise : «Ce film ne vise qu’à distraire. L’action se situe au Moyen-Orient. Les événements actuels lui donneront sans doute un relief que nous ne souhaitions pas. Notre équipe est composée de Chrétiens, de Juifs, de Musulmans. Nous sommes des amis. Nous comptons bien le rester.»
“Les trois femmes de ma vie sont ou étaient juives”
Dans un tout autre registre, Jean-Pierre Marielle trouvera dans Rondo l’un de ses rôles les plus émouvants. Réalisé en 2012 par le cinéaste belge Olivier Van Malderghem, Rondo est une œuvre profonde et sensible sur la Shoah, vue sous un angle qui n’avait jusqu’alors jamais été abordé, celui de la défiance envers Dieu. Le film débute à Bruxelles, l’été 42. Le jeune Simon voit son père arrêté et déporté par les nazis. Il réussit à fuir en Angleterre où il rejoint son grand-père Abraham, un personnage austère et distant. Dans cet exil, Simon ne trouve aucun réconfort auprès de ce vieil homme, un érudit attaché aux valeurs de la tradition juive, qui méprise l’éducation laïque de Simon. Tout les oppose dans leur conception de la religion et de la vie. Quand ils découvrent l’horreur de l’holocauste et la disparition probable de leurs proches, c’est la jeunesse de Simon qui va donner au vieil homme la force d’affronter une réalité insupportable.
Ni le réalisateur ni l’acteur principal de Rondo ne sont juifs, mais dans une interview accordée à L’Obs lors de la sortie du film, Jean-Pierre Marielle déclarait à propos de son personnage et de ses liens avec le judaïsme : « Tout ce qui éloignait Abraham de moi, le fait que je ne suis pas un mystique, pas même un juif, ne constituait pas un vrai problème, dit-il. Je ne suis pas juif mais, par une sorte de prédestination qui doit bien signifier quelque chose, les trois femmes de ma vie sont ou étaient juives. Elles ont toutes en commun une écoute formidable, et vont à l’essentiel, sans se perdre dans des “tralali tralalous”. D’ailleurs, dès mon enfance, j’ai fréquenté des juifs parce qu’un ami de mon père, qui vivait en Bourgogne, lui a confié ses deux filles pour les cacher lorsque les lois raciales ont été prises par les Allemands pendant l’Occupation. J’étais petit. Elles sont devenues mes amies. Quand au caractère profondément religieux du personnage, c’est justement le fait qu’il soit si éloigné de moi qui me stimulait. Je me suis aperçu, un jour, que les rôles qui m’intéressent le plus sont ceux qui me troublent. Les êtres avec lesquels, a priori, je n’ai rien de commun. Ceux que je ne comprends pas et que, justement, je peux jouer pour les comprendre. »
Alain Granat
NDLR : on pourra aussi revoir l’excellent « Faut que ça danse ! » de Noémie Lvovsky (2007), où Jean-Pierre Marielle incarne Salomon Bellinsky, un octogénaire qui refoule la Shoah à coup de claquettes.
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Article publié le 25 avril 2019. Tous droits de reproduction et de représentation réservés © 2019 Jewpop