Retour de l’enfant terrible des lettres, Marco Koskas. En 2018, les libraires faisaient retirer de la première sélection du Prix Renaudot son roman dénonçant l’israélophobie de la France, Bande de Français, pour l’avoir publié directement sur Amazon. Il s’attaque cette fois à la misandrie de l’ère post #MeToo dans son dernier roman Toutes les femmes ou presque, et a accepté de répondre aux questions de Jewpop.
Alexandre Gilbert : Quel souvenir gardez vous de votre enfance en Tunisie ?
Marco Koskas : Une grande liberté d’aller et venir, ma petite ville comme royaume et le café de mon père comme palais royal. Pas mal de terreurs nocturnes aussi. Un monde s’achevait, les gens se sont mis à partir. Ça devenait has been de rester, alors qu’on aimait tant ce bled. Et cette mer….
A.G. : À quoi ressemblait votre vie en arrivant en France ?
M.K. : Notre vie en France a été très pénible les deux premières années. On vivait à neuf dans un deux-pièces. Le froid piquait et mordait. Mais il y a eu aussi des moments comiques, comme quand ma mère a voulu inscrire ma grande sœur à la Sorbonne. Le gardien de l’immeuble ne savait pas où c’était. Il lui a demandé : « c’est un petit bled ou un grand bled, cette Sorbonne ? ».
A.G. : Comment avez vous rencontré Erik Orsenna ?
M.K. : J’avais un rendez-vous chez un avocat rue de Fleurus, mais je m’étais trompé d’étage. J’ai sonné, Erik Orsenna m’a ouvert : « Ah ! Vous êtes pile à l’heure ! » me dit-il ravi, me confondant avec l’auteur qu’il attendait, et il m’entraîne vers son bureau. Il y avait manifestement erreur sur la personne, mais j’hésitais à lui dire que je n’étais pas l’auteur en question ; juste un type qui s’est trompé d’étage… Une fois dans son bureau, il me tend un contrat d’auteur et me dit : « c’est assez long, vous le lirez à tête reposée ». Ça a commencé sur ce quiproquo avec Orsenna. Mais comme j’avais déjà écrit 30 pages de mon premier roman, j’en ai profité pour les lui faire lire et on a fini par sortir du quiproquo. Après avoir lu mon texte, il m’a envoyé un télégramme très élogieux, et cette fois, il m’a signé un contrat à mon nom.
A.G. : Parler des relations sexuelles d’un berger et sa chèvre, dans votre première apparition à la télévision dans Apostrophes, c’était une idée de l’attaché de presse, de l’éditeur, de vous même ou des trois ?
M.K. : Sûrement de moi, mais je ne m’en souviens pas… Je devais avoir un sacré trac de passer chez Pivot, pour dire de telles énormités !
A.G. : Dans Mon cœur de père, vous avez évoqué le destin d’un père dont le fils est attiré par la pratique orthodoxe de la religion. Ça s’est arrangé ?
M.K. : Oui… Dieu merci.
A.G. : Dans Bande de Français, le narrateur s’expatrie à Tel-Aviv. De qui vous êtes-vous principalement inspiré pour créer ce personnage ?
M.K. : Eh ben de moi, pardi ! En fait je n’écris pas; je raconte ma vie….
A.G. : Dans Toutes les femmes ou presque, votre dernier roman, vous évoquez la vie d’un franco-israélien à Tel-Aviv où, dites vous, il ne se passe rien. Pouvez-vous expliquer ça ?
M.K. : Quand j’ai dit à Patrick Besson « qu’il ne se passait rien à Tel-Aviv », j’entendais par là : rien de tragique, pas d’attentats quoi… Je voulais dire qu’on a une vie normale, loin des clichés médiatiques sur le « Moyen Orient à feu et à sang ».
A.G. : Le sexe est-il une arme redoutable pour tuer l’ennui ?
M.K. : C’est pas une question, ça ! C’est un sujet de philo.
A.G. : L’auto-édition, c’est une fatalité à double tranchant ou un hommage à Balzac ?
M.K. : Aujourd’hui quand vous postez quelque chose sur Facebook, vous êtes déjà dans l’auto-édition. On fait de l’auto-édition comme Monsieur Jourdain faisait de la prose. Pour moi, Facebook puis Amazon ont été ma planche de salut. Le monde de l’édition ne voulait plus de moi. Alors j’ai commencé à raccourcir les distances avec les lecteurs, en publiant des chroniques de mon alya sur Facebook. Entre le moment où l’idée d’une chronique me venait à l’esprit et celui où le texte était mis à la disposition du lecteur, il ne se passait pas une journée. Et j’ai pris goût à cette accélération dans le processus de création littéraire. Ça m’a exalté ! Un vent de liberté s’est remis à souffler sur ma vie d’écrivain. Si bien que, quand les éditeurs ont tous en chœur refusé Bande de Français, je n’ai eu aucune hésitation à le publier sur la plateforme d’Amazon. Au mois de février 2020, il sortira d’ailleurs en anglais aux États-Unis et dans tout le monde anglophone.
A.G. : Comment expliquez-vous la fidélité indéfectible de Patrick Besson depuis toutes ces années ?
M.K. : Demandez lui. Je ne sais pas. Je sais juste que c’est quelqu’un qui m’a sauvé la vie.
A.G. : Êtes-vous toujours convaincu, sous l’ère Macron, que la France est un pays israélophobe ?
M.K. : En tous cas, on attend toujours, deux ans après son élection, que le président fasse une visite officielle en Israël comme ses prédécesseurs (NDLR : Emmanuel Macron participera au 5ème Forum international sur la Shoah à Jérusalem le 23 janvier 2020, a annoncé dans un communiqué de presse le mémorial de Yad Vashem, qui accueillera l’évènement).
A.G. : Est-ce que quelqu’un va vous en vouloir de vous être inspiré de sa vie sexuelle pour le livre, et souhaitez-vous lui dire un mot pour faire passer la pilule ?
M.K. : Encore une question de philo. Ou plutôt de filou… Non, mais dussé-je me répéter, je ne m’inspire que de ma vie. Il se pourrait par contre que telle ou telle se reconnaisse dans un personnage, ou dans certaines situations un peu chaudes, auquel cas, selon la formule consacrée : toute ressemblance avec des personnes réelles ne serait que pure coïncidence…
Entretien réalisé par Alexandre Gilbert
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© photo de une : Fabrice Calvo
Article publié le 22 août 2019. Tous droits de reproduction et de représentation réservés © 2019 Jewpop