Tonton Prosper au Panthéon !

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Bon ben ça devait arriver. A raison de 2 paquets de cigarettes par jour et d’une bouteille d’Arak par semaine, Tonton Prosper a fini par casser sa pipe. C’était mardi. Il était un peu plus de 16 heures, Waldek du Wallon monté par Jean-Michel Bazire s’apprêtait à courir à Vincennes. Son cœur a lâché. Et nous, on est pas dans la merde. Parce qu’en plus de devoir régler sa note au Balto de la rue Saint-Maur, on a dû régler un problème épineux : l’enterrement.
 
Avec la disparition de Tonton Prosper, c’est tout un pan de ma jeunesse qui fout le camp. Le polo manches courtes et fermé jusqu’en haut, le pantalon en flanelle, le mouchoir en tissu marron coincé dans la manche du gilet. Tonton, il entrait toujours à la maison en embaumant «Pour un homme» de chez Caron et en lançant à la cantonade «ça va la jeunesse ?».
Entre ma mère (sa sœur) et Tonton Prosper, c’était un peu comme entre Jean-Luc Mélenchon et François Hollande. Sur le papier, ils appartiennent à la même famille. Dans la réalité, c’était plus compliqué. Jusqu’au bout, on a eu droit à leurs engueulades homériques. Le principal point de discorde : les dates.
Quand maman disait qu’ils avaient quitté la Tunisie en 59, Tonton disait «non, c’était début 61 !». L’enterrement de leur père ? Pour ma mère un «vendredi veille de chabbat». Pour Tonton, c’était un mercredi «j’en mettrais mes deux mains à couper !» qu’il disait. Même pour leurs dates de naissance, y avait discussion. Bon, faut dire qu’à l’époque, en Afrique du Nord, ils n’avaient pas 5 jours pour déclarer une naissance à la mairie, ils avaient… 5 ans.
 
La semaine dernière, il était dans le salon de mes parents.
Ma mère, dans la cuisine : «Je vous fait des bricks à l’œuf et une salade, ou des escalopes ?»
Mon père : «Des escalopes s’il y a»
Ma mère : «Mlokiah ? Ça va pas ? J’ai pas le temps !»
Prosper : «Elle est sourde»
Mon père : «Complètement. Mais malheureusement elle est pas muette»
Ma mère : «Ah non, vous ne sortez pas l’anisette !»
Prosper : «Mais qu’est ce qu’elle est chiante ! Ça s’arrange pas avec le temps… Je t’avais prévenu, t’as pas voulu m’écouter. T’aurais dû épouser Nadine Bismuth. Moi j’aurais dû épouser Monique Partouche, tu te souviens de ses pastèques. Si ma mère avait voulu…»
 
Lundi, entre deux sanglots, ma mère s’est occupée des démarches pour l’enterrement. Trouver une place disponible dans un carré juif aujourd’hui, c’est aussi dur et urgent que de décrocher une place en crèche à Paris. Au téléphone, avec un employé du Consistoire :
L’employé : On manque de place. J’ai des places en carré mixte. C’est un carré avec des juifs et des non-juifs. Un carré mixte. Mais rassurez-vous, c’est casher.
Ma mère : Donc un mariage mixte, ce n’est pas casher, mais un carré mixte c’est casher. Mouais… Mon frère, il s’est emmerdé toute sa vie à pas mélanger le lait et la viande. Je ne suis pas sûre que ça lui plairait.
L’employé : J’ai une disponibilité à Bagneux.
Ma mère : C’est trop loin. A Pantin, y a maman, oncle Babot, y a même le bébé que ma cousine Dolly elle a perdu en 72. A Pantin, j’ai mes repères.
L’employé : Sinon vous pouvez l’enterrer en Israël…

Ma mère : Non, on ne peut pas. J’ai appelé 3 prestataires. Quand ils m’ont annoncé les prix pour Givat Shaoul, je croyais qu’ils voulaient me vendre une résidence à l’année au Royal Beach d’Eilat. Et le Panthéon ? J’ai entendu qu’ils avaient fait entrer des gens pas plus tard qu’aujourd’hui. Essayez de me trouver une place là-bas !

 
Bon, autant vous dire que le Consistoire ayant autant de chances de décrocher pour Tonton Prosper une place au Panthéon que pour Brian Joubert de réussir le triple axel en chaussures de ski, l’enterrement à eu lieu hier matin à Pantin. A côté de sa tombe toute fraîche qui attend la pierre, il y a une vieille stèle. On peut y lire « Monique COHEN née PARTOUCHE ».
Mon père découvrant l’inscription : «Quelle chance mon vieux, on a raison de dire que le hasard fait parfois bien les choses».
Ce à quoi ma mère a répondu en lui montrant la tombe d’en face, « Le hasard ça n’existe pas. C’est Dieu qui fait tout. Et comme il fait les choses bien, Maman est juste là ».
 
The SefWoman
Ma philosophie se situe entre « A Kippour tout le monde pardonne, sauf moi » (Raymond Bettoun) et « Dieu n’existe pas, mais nous sommes son peuple » (Woody Allen)
Lire la 1ère partie de la chronique On ne dit pas «j’ai mis mon fils dans une école juive», on dit «j’ai fait une connerie»
 



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Article publié le 20 février 2014. Tous droits de reproduction et de représentation réservés © 2014 Jewpop
 

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