Il est fréquent de voir un film adapté d’un livre que l’on a lu. Le résultat n’est pas souvent satisfaisant. Certes, il y a des exceptions. Autant en emporte le vent, par exemple, ou le plus récent Au-revoir là-haut. On trouvera certainement d’autres exemples à citer… Il y a aussi ces livres que nous avons aimés au point de ne pas souhaiter que nos images mentales soient modifiées par le regard d’un tiers. La Promesse de l’Aube ?
Et puis, il y a l’inverse, moins fréquent, plus audacieux. La rédaction, sous forme de récit, de ce qui a fait l’objet d’un film ou d’un documentaire. Celle-ci demande d’autres talents, et en particulier celui de l’écriture.
Au-delà de ce qui a déjà été publié ici et là* sur l’histoire que raconte ce livre, sur la trajectoire des personnages mis en scène – la famille de l’auteur, le contexte de l’époque, le dessous de ses recherches personnelles –, il paraît essentiel de souligner le talent d’écrivain de Michaël Prazan. Avec cette Passeuse, à la construction aussi soignée que celle du documentaire qui l’a précédé (La passeuse des Aubrais), Michaël Prazan parvient à concilier le récit factuel et l’exploration de l’intime.
L’arrière-plan historique, tel qu’il nous le décrit, est fascinant. À la fois général et personnel, il nous parle. Défilent devant nos yeux (in our mind’s eye, comme l’anglais le dit si bien !) le décor parisien des quartiers juifs de l’avant-guerre, celui de la vie rurale de son père – enfant caché –, des camps infâmes, puis du monde reconstruit – à tous les sens du terme – de l’après-guerre. Dans le même temps, comme dans le documentaire, les zones floues le demeurent, les vrais salauds, même s’ils « ne courent pas les rues » vous donnent froid dans le dos, et les héroïnes de la Résistance ne sont pas forcément toutes sympathiques…
Les passages consacrés à la relation de l’auteur à son père sont, quant à eux, poignants. Le fils y explore avec force et délicatesse les raisons du silence, des non-dits du père, et leurs répercussions sur l’adolescent qu’il fut. Ainsi que l’annonce l’éditeur, « toutes les familles ont leur secret » ; l’art de Michaël Prazan est ici de savoir toucher à l’universel.
Ce qui importe, cependant, ce n’est pas tant ce qui s’est vraiment produit, mais la manière dont chacun et chacune l’a perçu. La passeuse – un personnage au demeurant fascinant – n’est que le pivot déclencheur de cette exploration fouillée. Le regard subjectif de l’auteur est aiguisé ; sa plume, sensible.
Mis en mots, son récit détaillé nous touche encore davantage que ne le firent les images. Et si le dernier chapitre est intitulé « Kaddish », c’est à juste titre. Ce livre est l’expression d’une réconciliation. Ne serait-ce qu’à cet égard, il faut le lire.
Cathie Fidler
Voilà ce qu’en dit la 4ème de couverture :
*1942, quai de la gare des Aubrais : Bernard Prazan, 7 ans, serre fort la main de Thérèse Léopold, qu’il doit appeler Tata mais qu’il connaît à peine. Quelques heures plus tôt, sa véritable tante les a confiés, lui et sa sœur, à cette inconnue pour qu’elle les fasse passer en zone libre. Mais au moment de quitter la gare, l’enfant comprend au regard de la passeuse qu’elle va les livrer aux Allemands. Pourtant elle se ravise et les sauve. Dénoncée à son tour pour ce geste héroïque, elle sera déportée à Auschwitz-Birkenau, Mauthausen puis Ravensbrück. Elle en reviendra. De son vivant, Bernard a toujours affirmé à ses enfants qu’elle travaillait pour la Gestapo. Qui était-elle vraiment ? Une collabo repentie ou une Juste ignorée ?
Pour connaître la vérité, Michaël Prazan s’est lancé dans la grande enquête de sa vie : celle de ses origines. Mêlant l’histoire de son père, enfant caché et homme taiseux, et celle de la passeuse qu’il a retrouvée et interrogée, il livre le récit bouleversant d’une famille persécutée et d’un sauvetage énigmatique. Car l’Histoire n’est pas peuplée que de héros ou de salauds. On le voudrait parfois. Les choses seraient plus simples.
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Cathie Fidler est écrivain, auteur de plusieurs romans parmi lesquels Histoires floues, La Retricoteuse… du livre d’art Hareng, une histoire d’amour, co-écrit avec Daniel Rozensztroch et récemment d’un ouvrage consacré à son père le peintre et céramiste Eugène Fidler « Eugène Fidler, Terres mêlées » (Les Éditions Ovadia).
Gratitude, le blog de Cathie Fidler
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Article publié le 15 janvier 2018. Tous droits de reproduction et de représentation réservés © 2018 Jewpop