À l’occasion du décès d’Halina Szpilman, la femme de Wladyslaw Szpilman, le héros du « Pianiste », Myriam Anissimov revient sur la vie du musicien et sa rencontre avec ce dernier.
Wladyslaw et Halina Szpilman
Halina, l’épouse de Wladyslaw Szpilman, le fameux « Pianiste », dont Roman Polanski a adapté au cinéma le récit autobiographique, paru en France chez Robert Laffont en 2001, est décédée le 3 mai dernier à Varsovie. Sa disparition est passée inaperçue, sauf en Pologne, parce qu’elle est entrée dans la vie de son célèbre mari une fois la paix revenue, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Les années de guerre passées à Radom, au sud de Varsovie, furent aussi pour elle et sa famille une tragique histoire de survie.
Cela dit, l’histoire de Wladyslaw Szpilman, pianiste et compositeur, survivant de la Shoah, dont le renom ne dépassait pas les cercles de la musique classique jusqu’en 1988, est brusquement sortie de l’ombre par le pur fruit du hasard.
Ma rencontre avec Wladyslaw Szpilman n’avait pas été programmée par le magazine Le Monde de la Musique, auquel je collaborais depuis de nombreuses années. Ce mois de mars 1988, j’étais venue en Pologne presque en touriste, puisque j’accompagnais mon mari Gérard Wilgowicz, qui allait diriger la Symphonie n°7 d’Anton Bruckner avec l’Orchestre de la Philharmonie nationale de Varsovie. Mais un journaliste étant ce qu’il est, je cherchais quelque chose d’intéressant à rapporter ma rédaction. J’en fis part au représentant de la Pagart, l’Agence Musicale d’État, qui se méprit en pensant que je souhaitais rencontrer les responsables de la nomenklatura de la Culture. On me traina d’un bureau à l’autre, et après avoir mal digéré la langue de bois des ministres et des fonctionnaires pendant trois jours, je déclarai poliment forfait. Le plus diplomatiquement possible, j’expliquai que j’aurais été plus intéressée de réaliser un entretien avec un interprète, un compositeur ou un chef d’orchestre jouissant d’une grande notoriété.
À ma grande surprise, je m’entendis répondre : « Ah ! Ah ! nous savons ce que vous cherchez. Nous avons un vieux Juif qui vous intéressera beaucoup. » Ce n’était pas une réponse d’un goût exquis. Mais pourquoi pas ? Je feignis de ne pas comprendre ce qu’il y avait d’offensant dans cette phrase. Le lendemain, on me conduisit chez Wladyslaw Szpilman ce « vieux Juif qui m’intéressait beaucoup certainement. » J’entrai dans le salon d’une petite villa assez élégante, eu égard aux conditions de vie en Pologne à cette époque-là. Un homme aux cheveux blancs, au front haut, aux traits fins et au regard direct, m’accueillit assis devant son piano à queue. Je remarquai sur le piano, une photo dédicacée d’Arthur Rubinstein, et sur le mur qui me faisait face, un moulage du masque mortuaire de Chopin. Le rustre de la Pagart nous ayant laissés seuls, nous découvrîmes que notre seule langue commune était le yiddish.
Je lui avouai qu’une heure avant d’entrer chez lui, j’ignorais jusqu’à son nom. Il ne s’en offusqua pas, et nous commençâmes une conversation qui dura plusieurs heures, sans nous douter qu’elle allait changer le cours de sa vie.
Le Quintette de Varsovie
Szpilman était une des figures légendaires de la musique polonaise. Pas seulement parce qu’il avait fondé l’excellent Quintette de Varsovie avec le violoniste Bronislaw Gimpel, avec lequel il se produisit à l’étranger de 1945 à 1963, mais parce que les aventures tragiques qu’il avait vécues pendant les derniers mois de la Seconde Guerre mondiale dans une Varsovie rasée jusqu’au sol et déserte, sa qualité de Juif survivant de la Shoah avaient fait de lui l’un des derniers témoins d’une culture disparue et d’une ville anéantie.
Wladyslaw Szpilman est né en 1911 dans une famille de musiciens à Sosnowiec, ville de 80 000 habitants. Son père était violoniste dans l’orchestre de Katowice, sa mère jouait joliment du piano. Ses parents n’ayant pas les moyens d’acheter un poste de radio, Wladyslaw lisait les partitions de Tchaïkovski, Scriabine, Beethoven et Brahms, Szymanowski qui se trouvaient à la maison. Il eut quelques difficultés à convaincre son père de le laisser tenter sa chance au Conservatoire Chopin de Varsovie. Il entra dans la classe de piano de Joseph Smidowicz, et étudia la fugue, l’harmonie et le contrepoint avec le pianiste Aleksander Michalowski, très âgé et presque aveugle. Il fit de la sonate avec la violoniste Ida Haendel, enfant prodige qui, à onze ans, donnait des concerts avec orchestre, et allait devenir une star internationale. Un jour où ils travaillaient ensemble, il se permit de lui faire une observation. Elle lui répondit : « Vous vous occupez seulement de votre piano parce que je sais très bien ce que je dois faire avec mon violon ! » A cette époque, il a aussi donné quelques concerts avec Henryk Szeryng, autre un jeune soliste virtuose.
Wladyslaw Szpilman
Cinq années plus tard, en 1931, Szpilman fut admis à l’Académie de musique de Berlin, où il eut la chance de travailler avec Fritz Kreisler et Arthur Schnabel. Il assista aux concerts de la Philharmonie de Berlin, sous la direction de Wilhelm Furtwängler, et rencontra même le compositeur Paul Hindemith et le grand violoncelliste Emmanuel Feueurmann. Il rentra cependant à Varsovie pendant l’été 1932 car l’atmosphère était déjà très tendue à Berlin.
En 1939, Szpilman est engagé par l’Orchestre de la radio de Varsovie. Il donne un concert sous la direction de Grzegorz Fitelberg et se lie avec le compositeur Witold Lutoslawski, qui allait jouer un rôle important dans sa vie, mais surtout dans sa survie. Le 23 septembre de la même année, alors qu’il est en train d’enregistrer la Ballade en fa mineur et la Barcarolle de Chopin, les Allemands encerclent la ville. Soudain, l’électricité saute dans le studio, et c’est la fin, ainsi qu’il l’écrira dans son livre, Mort d’une cité, publié en 1946, et aussitôt interdit par les autorités communistes, parce qu’il fait état de l’attitude de la majorité de la population polonaise à l’encontre des Juifs pendant la Shoah.
Adrian Brody dans le film de Roman Polanski “Le Pianiste”
Les Allemands ayant occupé Varsovie, la guerre contre les Juifs a aussitôt commencé. Port du brassard blanc et bleu avec l’étoile de David, interdiction de posséder plus de 2000 zlotys, interdiction d’occuper plus d’une pièce par famille, interdiction d’exercer un emploi hors du ghetto. Toute infraction étant punie de mort. Mais ce n’était qu’un début qui dont la finalité fut l’extermination des 500 000 Juifs séquestrés dans le ghetto de Varsovie.
Les première sélections, appelées Aktions, commencèrent. Les SS séparaient les enfants de leurs mères, qu’ils déportaient dans le camp d’extermination de Treblinka. Au début, les Juifs croyaient qu’ils partaient travailler à l’Est. Szpilman le crut aussi. Il jouait de la musique légère de sa composition dans les cafés du ghetto pour gagner sa vie et celle de ses parents qui avaient dû vendre tout ce qu’ils possédaient, y compris leur très beau piano. Ce riche répertoire fut enregistré après la guerre sur les premiers microsillons, distribués aux États-Unis et en Union soviétique.
Des juifs emprisonnés au ghetto de Varsovie quittent la zone de confinement rue Stawki, encadrés par la police juive avec les brassards blancs, avant d’être emmenés vers l’Umschlagplatz (« place de transbordement ») d’où partaient les convois de déportation.
Quand ses parents furent sélectionnés pour se présenter sur l’Umschlagplatz, lieu d’où partaient les wagons de marchandises pour Treblinka, Wladyslaw s’y rendit avec eux. Mais les policiers juifs du ghetto qui le reconnurent, l’empêchèrent de monter dans le train. L’épidémie de typhus décimait les habitants du ghetto, mais parce que les nazis avaient très peur d’être contaminés, il y eu pendant quelques temps un répit dans le rythme des Aktions.
Après la déportation de ses parents, Wladyslaw n’avait plus de lieu où habiter, car la pièce où ils avaient vécu, avait été attribuée à d’autres. Considéré comme déporté, il n’avait plus de possibilité de travailler, or les rations alimentaires misérables, n’étaient distribuées qu’à ceux qui justifiaient d’un travail. Wladyslaw se rendit au Judenrat (l’administration juive du ghetto, crée par les Allemands, dont le président Adam Czerniakow se suicida quand les nazis lui donnèrent l’ordre d’établir les listes de Juifs à déporter quotidiennement). On lui conseilla de jouer du piano pour les Allemands « qui aiment la musique ». Ayant refusé, il trouva finalement à se placer dans un kommando qui construisait un immeuble à huit kilomètres des murs. Il profita de la situation pour s’enfuir du côté aryen. Des amis appartenant au milieu musical lui prêtèrent un appartement vide pendant quelques jours. Puis, le compositeur Witold Lutoslawski qui faisait partie de l’organisation secrète Jegota, qui sauva environ 20 000 Juifs, donna un concert avec un violoniste, pour lui en offrir le cachet.
Dès lors, Szpilman erra d’une cachette à l’autre : chez un peintre ; un chef d’orchestre ; puis dans une chambre, dont il ne sortit pas pendant quatre mois, jusqu’au moment où la concierge ayant suspecté quelque chose, vint tambouriner à sa porte. Il ne broncha pas, et s’enfuit la nuit-même. Sans papiers, sans vêtements autres que des loques, il se retrouva à la rue. Il finit par sonner à la porte d’un ami ingénieur. Quand la mère de ce dernier ouvrit la porte, elle ne le reconnut pas et recula, épouvantée. Ils l’hébergèrent pendant dix jours. On lui trouva ensuite une nouvelle cachette : une chambre dont la porte officielle était fermée de l’extérieur, et où on lui apportait à manger épisodiquement.
Varsovie, Pologne, 1943. Les hommes du général Stroop longent des bâtiments en flammes durant la répression du soulèvement. Photo du rapport Jürgen Stroop.
Le 19 avril 1943, éclata l’Insurrection du ghetto de Varsovie, dont les nazis avaient entrepris la liquidation. Les jeunes de l’Organisation juive de Combat résistèrent avec des grenades, des cocktails Molotov et quelques vieux fusils aux troupes du général Jürgen Sroop, pendant six semaines. Ce dernier se vanta dans un télégramme envoyé à Hitler, d’avoir brûlé au lance-flamme, un à un, tous les immeubles du ghetto, et liquidé les derniers Juifs de Varsovie. Seule une poignée d’insurgés réussit à s’enfuir par les égouts. Mordechai Anielewicz, le commandant en chef des insurgés, se suicida avec sa compagne Mira Furcher et sa famille, dans son bunker, situé au 18 de la rue Mila, au moment où les nazis le découvrirent, le 8 mai 1943.
Au mois d’août, il ne restait du ghetto qu’un immense terrain vague, jonché de gravats calcinés. Après l’insurrection de la Varsovie chrétienne, qui dura du mois d’août au mois d’octobre 1944, et l’évacuation de tous ses habitants, Szpilman était le seul survivant parmi les ruines, mais il l’ignorait. Il se réfugia sur le toit de la maison où il était caché, persuadé que les nazis fouillaient plutôt les caves à la recherche d’or dans les immeubles incendiés. Repéré par les soldats qui crièrent « Halt ! », il s’enfuit, passant parmi les décombres, d’une ruelle à l’autre. Il trouva enfin un immeuble qui tenait encore debout et monta dans les combles. Il ignorait qu’un kommando allemand était installé dans un des appartements. Trois jours plus tard, n’ayant plus rien à boire ou à manger, il descendit un étage afin de fouiller dans les placards. Soudain, quelqu’un cria dans son dos : Halt ! Se retournant et pensant vivre ses derniers instants, il se trouva face à un officier qui prononça ces mots : « N’ayez pas peur. » Szpilman qui était en haillons, ne s’était ni lavé ni rasé depuis quatre mois. Il tenta d’abord de justifier sa présence en disant que cette maison avait été la sienne avant la guerre. L’officier lui répondit qu’il ne pouvait pas rester ici. Puis s’amorça un dialogue.
– Quelle est votre profession ?
– Pianiste et compositeur.
– Alors, présentez-vous à la Feldgendarmerie.
– C’est impossible.
– Vous êtes juif ?
– Oui.
– Suivez-moi.
Ils descendirent dans l’appartement que l’officier occupait quelques étages plus bas. Les vitres de la vaste pièce où ils entrèrent étaient brisées. Mais Szpilman y vit un grand piano à queue.
– Asseyez-vous et jouez-moi quelque chose.
Szpilman n’avait pas posé les mains sur un clavier depuis plus de deux ans. Il joua le Nocturne en Ut dièse mineur de Chopin. L’officier lui demanda comment il avait réussi à se cacher, alors que la ville avait été évacuée. Szpilman le conduisit dans les combles.
L’officier qui se nommait Wilhelm Hosenfeld, lui dit alors à voix basse : « Je sais tout ce qui s’est passé. Les Allemands ont commis un immense massacre, et c’est une honte pour l’éternité. Quel malheur d’être né allemand ! » À trois reprises, Wilhelm Hosenfeld lui apporta des vêtements et de la nourriture. La dernière fois qu’il vint, il dit à Szpilman : « Tenez bon. Nous avons perdu la guerre, dans trois semaines, nous ne serons certainement plus là. » Szpilman lui répondit que s’il survivait, et qu’il avait besoin de lui après la guerre, il pourrait venir le voir à la Radio. Il ne lui donna que son prénom et ne lui demanda pas le sien, craignant que s’il était pris et torturé, il ne révélât son existence.
Les mois et les semaines passèrent et, au mois de décembre 1944, le thermomètre descendit jusqu’à moins 25°. Szpilman ne pouvait plus boire l’eau des gouttières, car elles avaient gelé. Il se résolut donc à sortir, ignorant que l’Armée rouge avait enfin traversé la Vistule. Un soldat allemand déguisé en civil, commença à le poursuivre, mais surgit alors un soldat portant le brassard de l’Armée polonaise. En braquant son arme sur Szpilman, il lui cria : « Haut les mains ! ». Szpilman lui cria en polonais de ne pas tirer. Le soldat lui révéla alors qu’il était le seul civil ayant survécu dans les ruines de Varsovie.
Szpilman le conduisit dans l’appartement où avait vécu Wilhelm Hosenfeld, et passa trois semaines dans cet immeuble avec les soldats pour lesquels il jouait du piano. Un jour, il les quitta et se rendit aux studios de la Radio, où s’étant fait reconnaître, on l’installa devant un piano. Il donna un récital Chopin improvisé qui fut retransmis en direct.
Ce fut le début d’une nouvelle vie. Wladyslaw Szpilman fut nommé directeur de la musique à la Radio et donna des concerts avec le Quintette de Varsovie dont le premier violon était Bronyslaw Gimpel.
Wladyslaw et Halina Szpilman
En 1950, Szpilman fit la connaissance de Halina Grzecznarowska, qui venait d’achever ses études de médecine en tant qu’hématologue. Le père de Halina, qui avait été le maire socialiste de Radom avant la guerre, avait été déporté par la Gestapo au camp de Sachsenhausen, auquel il survécut. Wladyslaw et Halina se marièrent et eurent deux fils Andrzej et Krzyztof.
Lorsque je demandai à Wladyslaw ce qu’il était advenu de son sauveur, il me raconta tristement la fin de l’histoire, qu’il n’apprit qu’en 1950, en recevant une lettre d’un survivant Juif allemand, nommé Léon Wurm, également secouru par Hosenfeld.
Léon Wurm lui écrivait que l’officier allemand avait été capturé par l’Armée rouge le 17 janvier 1945, puis condamné à mort pour crimes de guerre. Sa peine avait été commuée en 25 ans de travaux forcés. Il se trouvait à présent dans un camp du côté de Brest-Litovsk. Dans l’espoir d’obtenir sa libération, Szpilman s’adressa à Jakub Berman qui occupait de hautes fonctions dans l’appareil communiste polonais. Il lui fut répondu que les Soviétiques refusaient de libérer le prisonnier, même après avoir été informés qu’il avait porté secours à des Juifs et à des Polonais pendant la guerre.
Wilhelm Hosenfeld
Wladyslaw Szpilman apprit que Wilhelm Hosenfeld avait subi une première attaque cérébrale au mois de juillet 1947, avant sa condamnation à mort. Victime d’une seconde hémorragie cérébrale, il mourut, complétement paralysé, le 1er janvier 1952. C’est alors que son fils vint à Varsovie avec sa femme et ses enfants, pour rencontrer Wladyslaw Szpilman, que son père avait sauvé. Après une longue enquête, l’Institut Yad Vashem, à Jérusalem, a décerné le titre de Juste parmi les nations à Wilhem Hosenfeld, le 25 novembre 2008.
Au terme de notre très long entretien, Wladislaw Szpilman se pencha pour attraper un petit volume défraichi dans un carton posé sous son piano. C’était son livre, Mort d’une ville, objet d’une interdiction depuis 1946. Il me le tendit en précisant qu’il ne pouvait me le donner parce que c’était très imprudent. Il me confia ses précieuses photos, avec la promesse de les lui renvoyer au plus vite. Un an plus tard, le régime communiste allait être enfin balayé grâce à la lutte acharnée du mouvement Solidarinosc. Le 23 décembre1990, Lech Walesa fut élu président de la République. La Pologne était redevenue une démocratie.
Le Monde de la Musique publia notre entretien sur plusieurs pages au mois d’avril 1988. La suite des événements me sidéra. Andrzej, le fils de Szpilman qui vivait en Allemagne, traduisit cet article en anglais et en allemand, et le publia en ligne, en précisant que Wladyslaw Szpilman était l’auteur d’un livre autobiographique, publié en 1946 et aussitôt interdit.
En 1998, un éditeur allemand acheta les droits de l’autobiographie de Szpilman, publiée sous le titre Le Pianiste. Après 52 ans années passées dans un carton sous le piano de son auteur, le livre vivait une seconde naissance. Le succès fut immense et immédiat. Le Pianiste fut traduit dans le monde entier. Jusqu’au jour où Roman Polanski reçut un coup de téléphone d’un ami qui lui recommanda de lire Le Pianiste. Polanski, lui-même survivant de Cracovie, dont la famille avait été exterminée, vint rencontrer Szpilman à Varsovie et lui fit part de son projet d’adapter au cinéma cette histoire de survie, relatée sobrement, et qui recelait un personnage rare : « un bon Allemand ». Le film fut tourné à Varsovie, dans le quartier de Praga, où Halina me conduisit un après-midi sur le tournage. Nous traversâmes une rue du ghetto dont les façades des immeubles avaient été reconstituées. Je me souviens aussi d’un élément du mur, réalisé en perspective, et qui paraissait si « réel » sur l’écran.
Le Pianiste sortit deux ans après le décès de Wladyslaw Szpilman, survenu le 6 juillet 2000. Il remporta un succès mondial et reçut la Palme d’Or du Festival de Cannes et l’Oscar du meilleur film étranger en 2003.
Sachant qu’il ne lui restait que peu de temps à vivre, Wladyslaw fit part de ses dernières volontés à Halina qui était à son chevet.
Un jour que j’étais venue lui rendre visite à Varsovie, et que nous dînions ensemble dans cette petite maison où j’étais entrée pour la première fois presque dix ans auparavant, je dis à Halina que je désirais me rendre avec elle sur la tombe de Wladyslaw. C’est alors qu’elle me raconta les derniers moments de son mari.
« Quand Wladyslaw a compris qu’il était en train de mourir, il m’a dit de quelle manière il voulait voir se dérouler ses obsèques.
Il souhaitait qu’on le revêtît de son habit de concert, et qu’on l’incinérât « comme ses parents l’avaient été à Treblinka ». Ainsi, pensait-il rejoindre ses parents et son peuple. Sa tombe en marbre noir, se trouve au cimetière de Powazki. »
Halina et Wladyslaw Spzilman ont eu deux fils, Andzrej, né en 1956, qui vit en Allemagne, et Krzysztof, né en 1951, qui vit au Japon. Krzystof Spilman, diplômé de la School of Oriental and African Studies de l’Université de Londres et de l’Université de Yale, enseigne l’histoire moderne du Japon à l’Université Kyushu Sangyo. Andrzej, d’abord dentiste à Hambourg, est aujourd’hui producteur et éditeur de musique.
Myriam Anissimov
Myriam Anissimov est l’auteur de plusieurs biographies de référence (Primo Levi, Romain Gary, Vassili Grossman et Daniel Barenboim) et de plusieurs romans, parmi lesquels La Soie et les Cendres, Sa Majesté la Mort et Jours nocturnes. Elle a également été critique littéraire et artistique pour Le Monde de la Musique et de nombreux titres de la presse nationale. Elle préfacé et a grandement favorisé la réédition de Suite française d’Irène Némirovski et celle du Pianiste de Wladislaw Szpielman, adapté au cinéma par Roman Polanski. Son dernier roman, Les Yeux bordés de reconnaissance, a reçu le Prix Roland-de-Jouvenel de l’Académie Française en 2018.
Article publié sur Nonfiction Le portail des livres et des idées, reproduit en Creative Commons
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Article publié le 8 juin 2020 / © 2020 Jewpop