Photo représentant une colo juive Jewpop

Moi, mono en colo juive

10 minutes de lecture

J’avais, il n’y a pas si longtemps, un entretien d’embauche pour diriger une colo.

 

L’entretien avec l’organisme avait lieu à l’autre bout de Paris. Quand je me pointe au rendez-vous, le type me demande :

— T’as des questions ?
Je lui réponds :
— Bah je pensais que c’était d’abord à vous de présenter votre colo, vos attentes, le projet éducatif de l’organisme…
— Pas la peine, je reviens d’une bar-mitsva je suis K.O. Je te fais confiance, t’as une bonne tête.

 

Voilà, l’entretien était normalement fini. J’étais ravi d’avoir fait 2 heures de transport pour ça. Remarquant que je ne me levais pas de ma chaise, le responsable me dit :

— C’est une quoi ta montre ?
— Euh Fossil, pourquoi ?
— Elle est pas mal c’est tout ; et dis-moi tu fais shabbat toi ?

Pourquoi faire des transitions ? Je sais bien que si je dois bosser avec un organisme juif, la question de la pratique religieuse peut se poser. Mais dès le début de l’entretien, je trouve ça tendu. C’est sensible et très personnel comme sujet, tu ne peux pas balancer ça comme ça. C’est un peu comme si, durant un dîner, tu lançais juste avant le dessert « Alors Sophie, à ce qu’y paraît t’es pas très Charlie ? »… Mais reprenons le fil de la conversation :

— Et dis-moi tu fais shabbat toi ?
— Euh… non plus trop, pourquoi ?
— Pour savoir c’est tout. T’es comment avec ton judaïsme ?

Je suis « comment » avec mon judaïsme ? Et toi, t’es comment avec ton français ? Je me suis demandé si je devais dire la vérité. Si je devais rentrer dans le détail de ma relation conflictuelle avec le judaïsme, qui se rapproche en un sens de celle que j’entretiens avec les dimanches. Non, ce n’était probablement pas le moment. J’ai donc résumé :

— Ça va, on se tolère. Enfin, y a des hauts et des bas…
— Ouais bien sûr je comprends… Et tu m’as dit au téléphone que t’avais postulé autre part aussi c’est ça ?
— Oui, exact.
— Et on te paie combien autre part ?
— Euh pourquoi vous me demandez ça ? C’est privé, un peu. Vous me payez combien vous ?
Il sourit :
— Plus.

Ce mec mériterait vraiment un rôle dans le prochain La vérité si je mens. Il laisse planer un silence… qui s’écrase assez vite quand il m’annonce :

— On te propose 600 euros pour le mois.
Payer 600 euros un directeur pour un mois de colo, c’est de l’esclavagisme. C’est puni par la Cour européenne des droits de l’Homme. Non mais parce qu’ils me paient 600 euros quand la colo coûte 1500 euros pour les enfants. Même Apple se gave moins sur les marges.
— Ah oui c’est pas super bien payé…
Arrive alors cette réplique surréaliste :
— Yoram, Yoram… Tu adores animer et diriger oui ?
— Oui…
—  Eba voilà, c’est un kiffe ton travail avec les enfants. Et en plus, tu pars en vacances ! Donc franchement, la paie, c’est du bonus.

Faux ! Je veux dire, est-ce que quelqu’un a déjà sorti à un chirurgien :

– Dr. Cohen vous savez quoi ? On va vous prendre au sein de notre clinique et concernant la paie… C’est un kiffe pour vous la chirurgie n’est-ce pas ? On m’a même dit que petit, vous étiez un champion au Docteur Maboul. Alors 600 euros, c’est du bonus on est d’accord ?

Photo représentant une animatrice de colo juive Jewpop

J’ai aussi travaillé en tant qu’animateur, cette fois pour un centre aéré très religieux.

Très religieux comment ? Disons que dès le premier jour, j’ai failli être viré parce que j’avais mis ma kippa dans la poche pour jouer au foot avec les enfants. Religieux comme ça. Le genre de centre bien plus fermé qu’aéré.

Le deuxième jour, une kermesse était organisée, avec plein de stands pour les enfants et entre autres, un stand maquillage. Je m’approche de la jeune fille qui le tient et lui demande si elle peut me dessiner un chat sur le visage. Elle me répond le plus sérieusement du monde :

– Non je peux pas, c’est pas un animal casher.
– Mais on s’en fiche, je veux pas le manger je veux juste des moustaches de chat.
– Pas le droit, pas casher.
– Non mais y a pas marqué « tu ne dessineras pas de moustaches de chat » dans la Bible, ou c’est qu’on n’a pas lu la même édition.
– Pas casher…. Mais si vous voulez je peux vous faire un papillon.
– Ah parce que les papillons sont casher ?!…
( En 13 lettres, attitude opposée à la diffusion du savoir, de la raison, du progrès)

Il y avait aussi le stand  « Table du shabbat pour les filles ». À qui mettrait la table le plus vite. J’imaginais déjà des militantes du M.L.F. se tapant la tête contre la table en question. Pour mettre un peu plus d’ambiance lors de la kermesse, je branche mon iPhone à la sono. Mais très vite, ma chef vient me voir paniquée et me demande de changer de musique car ici, on ne tolère que les chansons en hébreu.

C’est d’ailleurs assez cocasse de voir qu’en hébreu TOUT PASSE. Tout passe car personne ne pige un traître mot.  Qui sait que Tel Aviv yahabibi Tel Aviv est l’équivalent d’un YMCA oriental ? Peer Tasi qui chante qu’il ne va plus compter les fois où il va lui faire l’amour ça passe, mais Kendji qui chante Gitano c’est assour* ? Allez… Je serais prêt à parier que je trouverais plus de lien avec les valeurs du judaïsme dans l’album de Kendji que dans celui d’Omer Adam.

Mais s’il y a bien quelque chose de commun à toutes les colonies juives… c’est le fameux Birkat Hamazone** ! Cette prière tellement codifiée qu’on dirait presque qu’elle a été mise en scène par Kamel Ouali. Quelques fois on tape sur la table, d’autres on se lève, d’autres on s’embrasse les yeux. Et bien sûr à chaque fois, on y perd un ou deux tympans. À croire qu’ici, tout le monde pense que Dieu est sourd.

Au moment du Birkat, j’imagine Dieu membre du jury d’un The Voice céleste où il recevrait les chants et les prières du monde entier. S’il devait faire un choix entre ce Birkat et le Miserere de Gregorio Allegri, j’ai bien peur les amis qu’on ne passe pas les qualif’…

Yoram Cohen

*Assour : interdit en hébreu
** Birkat hamazone : action de grâces récitées après le repas
 

© photos : DR

Article publié le 27 juillet 2017. Tous droits de reproduction et de représentation réservés © 2020 Jewpop

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5 Comments

  1. J’adore!
    De l’humour, de la dérision…
    Des faits concrets relatés avec ironie mais sans aucune attaque . On y trouve même une certaine tendresse.
    A quand le prochain?

  2. A peine différent des louveteaux israélites de France que j ai fréquenté dans les années 60. On faisait des étoiles de David avec des boîtes de camembert, mêmes convictions, mêmes détermination !

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