Johnny Mandel Jewpop

Johnny Mandel, l'élégance faite musique

11 minutes de lecture

Frank Sinatra, Barbra Streisand, Diana Krall, Michael Jackson, Tony Bennett, Natalie Cole, João Gilberto… sont quelques-uns des artistes que Johnny Mandel a sublimé par ses arrangements d’une élégance rare. Couronné d’un Oscar de la meilleure chanson pour sa plus célèbre composition, “The Shadow of Your Smile”, il s’est éteint hier à l’âge de 94 ans. Jewpop revient sur la carrière de ce musicien prodige, avec des extraits de ses plus célèbres thèmes.

Johnny Mandel Jewpop

Johnny Mandel est né en 1925 à New York, dans une famille juive. Son père, Alfred, dirige un atelier de confection, sa mère, Hannah, est chanteuse lyrique. C’est elle qui découvre que son fils, alors âgé de 5 ans, possède l’oreille absolue. Après des cours de piano, l’enfant se dirige vers la trompette, puis le trombone. Adolescent fasciné par les big band de jazz, il étudie la composition et l’harmonie auprès de l’arrangeur Van Alexander (Al Feldman de son vrai nom), qui adapta avec Ella Fitzgerald  la comptine A Tisket A Tasket qui la révéla au public américain, puis à la Manhattan School of Music avant d’intégrer la prestigieuse Juilliard School. Dès sa sortie de l’école, en 1943, il se produit comme trompettiste et tromboniste, collaborant avec le violoniste de jazz Joe Venuti, puis au sein des grands orchestres de Jimmy Dorsey, Buddy Rich, Billy Rogers, Bob Cooper, Woody Herman… avant d’intégrer la formation de Count Basie en 1953. Entretemps, il compose des thèmes pour Stan Getz, Chet Baker, avant de poursuivre une prolifique carrière comme arrangeur et compositeur à Hollywood, où il s’installe en 1953.

C’est le grand écran qui apportera à Johnny Mandel une notoriété définitive, le classant parmi les plus grands compositeurs américains avec la chanson The Shadow of Your Smile, thème du film Le Chevalier des sables (The Sandpiper) de Vicente Minelli (1965), avec Elizabeth Taylor et Richard Burton, dont les paroles sont signées Paul Francis Webster, l’un de ses complices auteur.

Interviewé par la documentariste Linda Danly en 2007, Johnny Mandel racontait la genèse du titre qu’il composa la nuit dans un bar de Sunset Boulevard nommé Googie’s. Lorsqu’il fit écouter la mélodie à son ami parolier Johnny Mercer – immense auteur à qui l’on doit entre autres les paroles de Moon River et The Days of Wine and Roses sur des musiques d’Henry Mancini, pour le film Breakfast at Tiffany’s, et l’adaptation en anglais des Feuilles mortes de Prévert, Autumn Leaves – ce dernier refusa de travailler sur la musique, répliquant à son auteur “C’est du vol !”

Mandel, interloqué, raconte qu’en découvrant la réponse de Johnny Mercer, c’était comme si on venait de lui annoncer que sa mère n’était pas sa mère… Ajoutant qu’il avait failli s’effondrer sur le sol, la dernière chose qui lui serait venue à l’esprit étant de copier l’un de ses pairs.

Johnny Mandel répliqua de suite : “Nom de Dieu ! Mais j’ai volé qui ? » Mercer lui répond “New Orleans, et je ne peux pas faire ça à Hoagy [Carmichael]” (NDLR : acteur, musicien et compositeur de Stardust, l’un des plus célèbres standards américains, et d’un des tubes de Fats Waller Two Sleepy People) ajoutant “Hoagy est un ami, il va me détester après ça, et en plus il est très procédurier sur ses droits d’auteur !”. Johnny Mandel raconte, toujours dans cette interview, qu’il connaissait bien ce dernier, l’appréciait, ajoutant qu’il avait fait un album avec lui en 1956. Mandel, qui a déjà collaboré avec Johnny Mercer sur la bande originale du film Les Jeux de l’amour et de la guerre (The Americanization of Emily) d’Arthur Hiller avec Julie Andrews (1964), insiste : “J’adore travailler avec toi, tu es le meilleur !”

Mercer conseilla finalement à Johnny Mendel de s’adresser à Paul Francis Webster : “Je te le présenterai, c’est un vrai poète !”. Paul Francis Webster est un abonné des chansons-titres de bo d’Hollywood, on lui doit celle d’Alamo, ou encore les paroles de La Chanson de Lara du film Docteur Jivago, sur une musique de Maurice Jarre. C’est donc lui qui écrira celles de « The Shadow of Your Smile. », offrant à Johnny Mandel son premier hit. Mercer détesta les paroles, et lorsque la chanson devint un tube, Mandel se souvient de son ami secouant la tête en disant “Dire que j’ai refusé ça, mais quel connard !”. Johnny Mercer se rappelait que dans les années 80, Hoagy Carmichael lui demanda pourquoi, après avoir écrit les paroles de la sublime chanson Emily avec Mandel, il n’avait pas fait celles de The Shadow of Your Smile. Mercer lui raconta alors l’histoire, et Hoagy Carmichael lui répondit “Ah tiens… Je n’avais jamais remarqué !”

Comme la chanson Emily, The Shadow of Your Smile sera interprétée par les plus grands jazzmen, de Bill Evans à Oscar Peterson, Ella Fitzgerald et Sarah Vaughan, en passant par Benny Goodman, Frank Sinatra avec l’orchestre de Count Basie et des arrangements de Quincy Jones, Art Farmer, Wes Montgomery, Ron Carter, George Benson, Gerry Mulligan, Dexter Gordon, Lou Rawls, Kenny Dorham, Jack McDuff, Lee Konitz, Art Pepper, Joe Pass, Herb Ellis, Barney Kessel, Toots Thielemans, Nancy Wilson, Errol Garner, Eddie Harris, Claude Williamson, Dave Valentin, Hampton Hawes, George Shearing, Blossom Dearie, Johnny Lytle…

Côté pop, soul, latin et bossa, rien moins que Marvin Gaye, dans une sublime version, Barbra Streisand, Astrud Gilberto, Stevie Wonder, Shirley Bassey, Peggy Lee, Diana Ross, Nancy Sinatra, Aaron Neville, Johnny Mathis, Barry Manilow, Chris Montez, Ray Barretto, Paul Anka, ou encore une étonnante version ska de Tommy Mc Cook, sans oublier une version funk de D Train ! Grammy Award 1966 pour l’extraordinaire enregistrement de Tony Bennett, produit et arrangé par Johnny Mandel, The Shadow of Your Smile a fait le tour du monde.

Johnny Mandel a signé plus d’une trentaine de musiques de films. Celle de M.A.S.H., film de Robert Altman (1970), et sa célèbre chanson Suicide is Painless (paroles de Michael Altman), reste son second plus grand succès. Dans son blog hébergé par Télérama, François Gorin raconte l’hilarante histoire de ce tube, que le réalisateur du film avait imaginé comme « la chanson la plus stupide du monde », une directive à laquelle Mandel était loin d’être habitué. Bob Altman devait en écrire le texte, mais en panne sèche, demanda à son fils, âgé de 15 ans et gratouillant la guitare, d’en produire les paroles sur la musique a priori “facile” de Mandel. Si la version enregistrée pour le film peut prêter à sourire aujourd’hui avec ses chœurs easy listening, celle enregistrée par le pianiste Bill Evans, à l’image de la sublime version qu’il enregistra d’Emily, révèle tout le talent de Mandel pour la création de mélodies irrésistibles.

S’il ne fallait écouter qu’un album pour découvrir l’art de Johnny Mandel, jetez-vous d’abord sur un chef d’oeuvre, celui de la chanteuse Shirley Horn Here’s to life. Enregistré en 1992, il est emblématique de l’art de Johnny Mandel, porté par la sublime voix de la pianiste et chanteuse favorite de Miles Davis.

L’album Brasil de João Gilberto (1981), que l’artiste phare de la bossa nova enregistra avec Caetano Veloso, Gilberto Gil et Maria Bethania, est également un joyau de raffinement avec ses arrangements impressionnistes, tout comme When I look in Your Eyes, de Diana Krall (1999), pour lequel il offrit à la chanteuse et pianiste un écrin unique, et bien sûr l’album The Movie Song de Tony Bennett où figure The Shadow of Your Smile. Johnny Mandel s’inscrit dans le Great American Songbook comme un arrangeur et compositeur d’une classe exceptionnelle.

Alain Granat

© photos : copie d’écran YouTube / DR

Article publié le 30 juin 2020. Tous droits de reproduction et de représentation réservés © 2020 Jewpop

 

1 Comment

  1. Merveilleux compositeur….
    Quel bonheur d ‘ecouter des sons pareils…..
    Merci enormement, comment ne pas regretter cette periode?
    MERCI ALAIN GRANAT!!!!!

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