La Païva, petite juive moscovite qui devint la reine des Champs-Elysées

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Prostituée, puis demi-mondaine et cousine de Bismarck par mariage, la Païva pend la crémaillère de son hôtel sur les Champs-Elysées le 31 mai 1867.
 
Le 31 mai 1867, le Tout-Paris ne parle que du palais érigé sur les Champs-Élysées par la Païva, une aventurière qui s’est fait épouser par le richissime cousin de Bismarck. Ce soir, elle pend la crémaillère. Il faut absolument en être. Écrivains, journalistes, aristocrates, hommes du monde et du demi-monde arrivent en fiacre. Même les frères Goncourt sont de la partie. Ils découvrent un hôtel particulier de style Renaissance italienne, d’un luxe tapageur. Le mauvais goût de la décoration confine au génie. En comparaison, les palais des émirs du pétrole font figure de cellules de moines.
 

 
Les invités sont accueillis par la Païva en haut d’un immense escalier en onyx jaune unique au monde, gardé par une statue en marbre représentant Virgile. À l’intérieur, ce n’est que luxe et volupté d’une ancienne cocotte. Chacun s’extasie, ou se récrie, devant la salle de bains de style mauresque, dont la pièce maîtresse est une baignoire taillée dans un bloc d’onyx jaune (encore !) de 900 kilos. Les robinets sont forcément en or incrusté de pierres précieuses. Une deuxième baignoire en argent est dotée d’un troisième robinet pour faire couler lait et champagne. Chaque pièce est surchargée de peintures, de sculptures et de fresques. L’architecte Pierre Manguin a encore prévu un jardin suspendu.
 

 
Dans leur journal, les frères Goncourt dénoncent un « Louvre du c.. » avec « ces peintures faites et encore à faire, destinées à figurer la Fortune de la courtisane, commençant à Cléopâtre et finissant à la maîtresse de la maison aumônant des égyptiaques ». Ils dénoncent encore « la surcharge de son mauvais goût Renaissance ». Les invités passent à table. La méchanceté des deux frères trace un joli portrait de leur hôtesse : « (…) je la regarde, je l’étudie. Une chair blanche, de beaux bras et de belles épaules se montrant par-derrière jusqu’aux reins, et le roux des aisselles apparaissant sous le relâchement des épaulettes ; de gros yeux ronds ; un nez en poire avec un méplat kalmouk au bout, un nez aux ailes lourdes ; la bouche sans inflexion, une ligne droite, couleur de fard, dans la figure toute blanche de poudre de riz. Là-dedans des rides, que la lumière, dans ce blanc, fait paraître noires, et, de chaque côté de la bouche, un creux en forme de fer à cheval, qui se rejoint sous le menton qu’il coupe d’un grand pli de vieillesse. Une figure qui, sous le dessous d’une figure de courtisane encore en âge de son métier, a cent ans et qui prend, par instants, je ne sais quoi de terrible d’une morte fardée. »
 

 
Cette femme qui assomme Paris sous un luxe indécent est née à Moscou dans une misérable famille juive d’origine polonaise. Elle s’appelle alors Esther Lachmann. Quand elle a 17 ans, ses parents lui font épouser Antoine Villoing, un petit tailleur français installé en Russie. Le temps de lui faire un enfant, elle l’abandonne pour suivre un amant jusqu’à Paris où elle s’installe sous le nom de Thérèse. Pas de jeu de mots graveleux ! Même si elle se taille une excellente réputation de prostituée, à l’ombre de l’église de Notre-Dame-de-Lorette. Elle entame alors une irrésistible ascension au royaume des demi-mondaines. Sa première « marche » est le célèbre pianiste Henri Herz, qui tombe raide dingue de cette rousse flamboyante. Il lui fait rencontrer Liszt, Wagner, Théophile Gautier, Émile de Girardin. Le gratin culturel de l’époque. L’hétaïre et le pianiste ont bientôt une petite fille qui est aussitôt bottée en touche chez les parents du père. Thérèse poursuit son ascension mondaine en quittant son pianiste pour Londres, où elle croque les nobles anglais avec l’appétit d’une Carla du temps de sa splendeur. À 30 ans, en 1848, elle regagne Paris pour épouser trois ans plus tard Albio-Francesco, marquis Aranjo de Païva, sitôt après la mort du petit tailleur. Du marquis, elle garde le titre, mais pas l’homme. Elle enchaîne alors les amants fortunés qu’elle s’ingénie à mettre sur la paille avec leur consentement extasié. Elle remplit à merveille son rôle de demi-mondaine. C’est alors qu’elle atteint son Graal sous la forme du comte Guido Henckel von Donnersmarck, cousin de Bismark et propriétaire de nombreuses mines, qui l’épouse.
La voilà devenue suffisamment riche pour tenir la promesse qu’elle s’était faite quelques années auparavant. Celle de se bâtir « la plus belle maison de Paris » à l’endroit où un de ses amants de passage l’avait jetée de son fiacre. C’est chose faite pour 10 millions de francs or. Une véritable fortune pour l’époque. L’hôtel existe toujours au 25, avenue des Champs-Élysées.
 
Frédéric Lewino et Gwendoline Dos Santos
Article publié sur le site Le Point.fr
Copyright photos : Archives Charmet Bibliothèque Nationale, Paris / DR
Article publié sur Jewpop le 2 novembre 2014

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