Fritz Bauer, un héros haletant

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C’est en lisant « L’impossible retour – Une histoire des juifs en Allemagne depuis 1945 » d’Olivier Guez, que le réalisateur Lars Kraume a décidé de co-écrire avec ce dernier le scénario de « Fritz Bauer, un héros allemand », thriller politico-judiciaire haletant. L’histoire méconnue de ce procureur juif allemand, à l’origine de l’enlèvement d’Eichmann par le Mossad et initiateur du « procès d’Auschwitz » à Francfort, méritait d’être contée sur grand écran.
 
Né dans une famille juive de Stuttgart en 1903, Fritz Bauer militera au parti social-démocrate allemand avant d’être emprisonné par les nazis dans le camp de concentration d’Heuberg durant 8 mois, échappant à la Shoah en s’exilant au Danemark en 1936. Il est de ces juifs allemands qui, selon le titre de l’ouvrage d’Olivier Guez, feront cet impossible retour dans leur patrie, revenant après-guerre dans un pays où les nazis exerçaient toujours, l’uniforme en moins, des fonctions publiques dans tous les corps des nouvelles instances de la RFA, à commencer par les institutions judiciaires.
 
Les scénaristes se sont attachés à la période de la fin des années cinquante, alors que Bauer apprend qu’Eichmann se cache à Buenos Aires et qu’il cherche à l’extrader pour en faire le premier criminel nazi, artisan de la Solution finale, jugé par un tribunal allemand. Porté par la performance remarquable de Burghart Klaussner – que l’on a découvert dans Good Bye Lenin ! et admiré en pasteur sadique dans Le Ruban Blanc de Michael Haneke – le film, d’une facture classique bienvenue, est vampirisé par l’acteur, impressionnant en procureur d’un courage hors-norme, homme solitaire à la fois brisé et tenace, guidé par la mission de confronter son pays à son passé pour permettre aux nouvelles générations de reconstruire une société démocratique. À ses côtés, Ronald Zehrfeld, l’un des comédiens les plus prometteurs du cinéma allemand (Phoenix, Barbara, Entre deux mondes), est parfait dans le rôle d’un jeune procureur idéaliste assistant Bauer dans sa lutte, comme le souligne le titre original du film Der Staat gegen Fritz Bauer (“L’État contre Fritz Bauer”).
 

FritzBauerUn HerosAllemand

 
Juif, socialiste et homosexuel, Fritz Bauer avait tout pour plaire aux nazis. On découvre aussi avec stupéfaction, au fil du déroulement de l’histoire, la condition tragique des homosexuels dans l’Allemagne de la fin des années 50, régie par des lois iniques. On pense alors au génie des mathématiques anglais Alan During, dont le biopic The Imitation Game mettait en lumière les dramatiques pratiques judiciaires d’alors (castrations chimiques en Grande-Bretagne, «paragraphe 175» du Code Civil allemand punissant de prison les « activités lubriques » entre hommes, en vigueur jusqu’en… 1994 !). Si l’homosexualité sert de « ressort » à l’intrigue du film, on saura gré au réalisateur d’avoir intégré cette donnée sans qu’aucune (rare) scène de sexe ne Fritz le ridicule.
 
Les cinéphiles fashion addict apprécieront aussi une reconstitution admirable des fifties allemandes côté mode, des montures de lunettes aux chaussettes en passant par les blazers, le stylisme est d’une perfection absolue. Comme le note très justement notre consœur Yaël Hirsch dans sa chronique sur TouteLaCulture, l’esthétique Mad Men y est omniprésente. Chez Jewpop, nous la qualifierons de Mad Mensch. Enfin, un dernier bon point pour la bande originale, aux réminiscences de jazz nocturne à la Miles Davis façon Ascenseur pour l’échafaud. « Fritz Bauer, un héros allemand » est une réussite complète. Un film qui éveille les consciences, un Fritz Aware.
 
Alain Granat
 
Voir la bande annonce de Fritz Bauer, un héros allemand

Sortie en salles le 13 avril
 
© photos : DR

Article publié le 13 avril 2016. Tous droits de reproduction et de représentation réservés © 2016 Jewpop

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