Parmi la pléthore de mauvaises excuses du type « Je suis Charlie MAIS », « Bon d’accord, il y a peut-être eu sur-réaction de la part des terroristes, mais se moquer du Prophète de millions de personnes ce n’est pas gentil, je peux comprendre leur colère » qui ont fleuri quelques jours à peine après la semaine d’attentats en France, y compris chez nos coreligionnaires, une comparaison m’a semblé revenir comme un mème, lancinante. Le Pape himself l’a utilisée pour faire comprendre au monde quelle blessure profonde pouvait causer le blasphème à un homme croyant.
Cette comparaison, parce qu’elle fait appel à ce qui en l’homme est le plus primaire ou primordial, la mère, semble lestée du statut de l’argument massue, de l’argument qui met tout le monde d’accord, du propos consensuel par excellence. Cet argument, que j’appellerai l’argument du « Pas touche à ma reum » (PTAMR dans la suite du texte) est le suivant : Insulter le Dieu/Prophète d’un individu religieux serait tout à fait analogue au fait d’insulter sa maman. Et évidemment, on n’insulte pas les mamans, tout le monde est d’accord avec ça. C’est le tabou suprême, la limite admise par tous à ce que quelqu’un peut accepter. ÇA SE FAIT PAS.
On a excusé le coup de boule de Zizou à Materazzi en finale d’une coupe du monde quasiment gagnée car ce dernier avait insulté l’honneur de sa mère. Pas grave les millions perdus, pas grave la déception des français, oublié le mauvais geste sur le terrain où le fair-play doit dominer, Zizou avait l’excuse parfaite, qui réduit tout le monde au silence : on avait insulté sa mère. La réponse violente, la seule admise à ce type d’injures, comme si le langage était trop faible pour y répondre, suscite même un soupçon de tendresse et d’identification : tout de même, il en a, de se lever défendre sa mère, moi non plus je n’aurais pas aimé qu’on dise ça de la mienne. Tous les hommes, de la petite racaille jusqu’au dignitaire de l’Église, seraient égaux face à ce type d’attaque : retour à la case cour de récré.
Disons le tout de suite, le ÇA en question, ce n’est pas le « Ta mère pue, ou ta mère cuisine comme un pied », c’est bien le « Ta mère la pute » et variantes ayant trait au sexe qui sont désignées pudiquement par « l’atteinte à l’honneur ».
On le voit, ce truc-là du PTAMR, c’est un truc de mecs, un truc de couillus. Même le Pape, qui ne doit pas en avoir souvent l’utilité, fait partie de la bande. On le comprend. « Ta mère la pute » est un grave traumatisme dans l’ADN du catholicisme. Pour ne pas avoir à admettre que leur mère à tous, la mère du Seigneur, Sainte-Marie, avait copulé avec un homme, il a fallu des Conciles et toute l’ingéniosité des meilleurs théologiens pour inventer les concepts d’Immaculée Conception (Marie serait née pure de la faute d’Eve), celui de la fécondation par le Saint Esprit et de la double nature du Christ.
Insulter la mère Marie est même devenu un leitmotiv des textes antichrétiens du Moyen Âge. Ainsi, les « Toledot Yeshu », « Origines de Jésus », pamphlet hébraïque médiéval violemment anti-chrétien décrit Marie comme une femme adultère, Joseph comme un cocu et Jésus comme un enfant conçu pendant les règles. Dans le même ordre d’idées, les Charlie arabes du Moyen Âge se plaisaient aussi à raconter la naissance de Mahomet sur une cuvette de toilettes. Pour ne rien dire des polémistes chrétiens et musulmans qui se plaisaient à moquer les histoires truculentes de la Bible juive. Le mathématicien juif converti à l’Islam Al-Samawa’l Al-Maghribi est par exemple devenu l’un des plus féroces polémistes anti-juifs (Ifhäm Al-Yahud), moquant sans vergogne ces personnages bibliques volontiers embourbés dans des histoires de fesses.
Ainsi, moquer ta maman ou la maman de ton Seigneur, c’est questionner ton origine, son origine, l’origine des religions, en bref, revenir au fondement. D’ailleurs, ne pourrait-on pas dire que le fondamentaliste, c’est celui qui a un problème avec son fondement, au sens le plus prosaïque, charnel, sanguinolent du terme ?
Ma grand-mère tunisienne, cite souvent le proverbe judéo-arabe « Denia Faïda bi-l’trou », qui dit en substance et avec cette langue poétique et ramassée qu’est le judéo-arabe de cuisine : « Tout commence et tout finit toujours par un trou. » Quelle sagesse.
Plutôt que de débattre encore et encore sur le droit d’offenser les religieux, et de se moquer de Dieu ou de son panthéon des prophètes, j’aimerais plus modestement m’attaquer à ce préjugé-là – On ne touche pas aux mamans, PTAMR – Je procèderais par propositions brèves.
Proposition 1 : Si on n’avait pas touché à ta mère, tu ne serais pas né, connard.
Proposition 2 : On ne voit jamais quelqu’un se lever pour défendre la mère d’un autre. C’est toujours au nom de MA MÔMAN, que la violence se fait.
Proposition 3 : Cet argument est une arme de défense masculine et phallocrate. C’est la réponse primaire du petit garçon qui n’a pas géré ce tabou, insupportable, que le petit trou par lequel il est sorti, ce petit trou qui lui a donné la vie, ait été et soit encore visité par des sexes d’hommes.
Proposition 4 : De sa mère, à qui il demandait ce qu’il devait répondre aux petits débiles qui lui disaient « Ta mère la Pute » à la récré, mon mari a reçu à l’âge de 7 ans, la réponse suivante : « Dis-lui : “pas de problème ya houya ( mon frère)” ».
Proposition 5 : Est-ce que tu as déjà rencontré UNE SEULE mère au monde qui dirait à son fils : « On a sali mon honneur, va lui défoncer la gueule à la kalach ? » Non. Voilà, tu as tout compris.
Parce qu’en fait, les mamans, c’est un peu comme les Dieux, c’est sage et intelligent, ça ne t’a rien demandé et ça s’occupe de son honneur tout seul. Ce sont les gosses qui sont cons.
Olivia Cohen
© visuel : DR
Article publié le 22 janvier 2015. Tous droits de reproduction et de représentation réservés © 2017 Jewpop