Pologne 2018, les négationnistes dirigent le pays de mal en pis : les récentes déclarations et la direction prise par les autorités polonaises concernant l’Histoire de ce pays de 1939 à nos jours sont riches d’enseignements alors que nous commémorons le Yom HaShoah.
“Le gouvernement polonais cherche à gommer ce qui fut”
S’appuyant sur la réalité et la signification des termes, à savoir « les camps d’extermination nazis en Pologne », qu’il est inexact de nommer « les camps d’extermination polonais », au même titre que nous ne pouvons parler de « génocide arménien » mais de « génocide des Arméniens » ou de « génocide perpétré par les Turcs et leurs complices », en voulant non pas réécrire l’Histoire mais en effacer les points noirs, obscurs, et dans le but de nier le rôle de Polonais dans l’assassinat de plusieurs centaines, voire plus d’un millier de Juifs polonais, frappés, torturés, mutilés, décapités, avant d’être brûlés vifs dans des granges par leurs compatriotes le 10 juillet 1941 à Jedwabne (1), les violences contre les Juifs rescapés de la Shoah et le saccage de leurs biens à Rzeszów le 12 juin 1945, les pogroms de Krakow/Cracovie le 11 août 1945 (le nombre de victimes fut estimé à une femme et une douzaine de blessés, indépendamment des appartements, magasins et de la synagogue saccagés) (2) et de Kielce le 4 juillet 1946, qui entraîna la mort de 42 victimes et fit 40 blessés, sans parler des dommages matériels, le gouvernement polonais cherche à gommer ce qui fut, à travestir la réalité en usant du terme « Jewish perpetrators » « bourreaux juifs ». Cherchant ainsi à faire croire que des Juifs, à l’égal des Polonais ou des Allemands, ont participé à l’assassinat de victimes polonaises par les Soviétiques, ou pire encore de victimes juives et polonaises par les nazis.
Vouloir assimiler les policiers juifs dans les ghettos, les autorités des Judenräte (3), les kapos (4) juifs dans les camps d’extermination, aux nazis et à leurs complices, c’est mystifier les jeunes générations qui ignorent cette histoire et exonérer les complices criminels de la barbarie nazie. Sans parler de l’antisémitisme en Pologne, politique et religieux, pratiqué par le Parti communiste et l’Église catholique (l’accusation de peuple déicide et de meurtre rituel pervertissent la foi dans ce pays) qui servait de catalyseur à la haine ancestrale d’un trop grand nombre de citoyens polonais envers leurs « concitoyens » jusqu’à la fin du XXème siècle. Saluons au passage la mission pastorale du regretté pape Jean-Paul II, Karol Józef Wojtyła, qui s’employa courageusement à renouer la fraternité judéo-chrétienne (6), malgré les courants intégristes ici et là qui sont une parfaite expression du côté obscur de la haine de soi.
“Nier le rôle extraordinaire des 6620 Justes polonais serait travestir la réalité”
A contrario, nier le rôle extraordinaire des 6620 Justes polonais (5) serait de notre part travestir la réalité : la remarquable bande dessinée Irena en est, dans tous les sens du terme, une surprenante illustration et un superbe hommage. Avoir le courage d’étudier son histoire, d’enseigner aux jeunes générations ce qui fut, pour empêcher que le fascisme ne resurgisse, affronter son passé avec lucidité et courage, l’assumer au lieu de vouloir le blanchir et dissimuler le sang séché, c’est refuser de salir les couleurs du drapeau polonais et de condamner la nation polonaise à revivre son passé, comme un cauchemar qui revient à jamais.
Michel de Certeau, après Jules Michelet, disait que « faire de l’histoire, c’est aller visiter les morts pour qu’après cette visite ils retournent moins tristes dans leurs tombes ». Le discours de l’historien reconduit les morts, les ensevelit : « Il est déposition. Il en fait des séparés. Il les honore d’un rituel qui leur manque. » Il les « pleure ». Car toute quête historique « cherche à calmer les morts qui hantent encore le présent et à leur offrir des tombeaux scripturaires ». » (7)
Polonais, encore un effort pour être Européens, ou à défaut… républicains !
Berl Granatsztajn
(1) 1600 selon l’historien polonais Jan Tomasz Gross, entre 800 et 900 selon d’autres historiens, environ 340 selon l’IPN (Institut polonais de la Mémoire nationale)
(2) Le nombre de survivants des camps massacrés par les Polonais est estimé entre 353 et 400 morts durant l’année 1945 selon les sources.
(3) Les Judenräte (pluriel de Judenrat, « conseils juifs » en allemand) étaient des corps administratifs formés dans les ghettos juifs, sous l’ordre des autorités nazies. Cette organisation concerna d’abord les ghettos de Pologne puis ceux des pays d’Europe centrale et d’Europe de l’Est. Généralement composés des leaders des communautés israélites, ils formaient le gouvernement des ghettos, et servaient d’intermédiaire entre les autorités nazies et la population. Ces conseils étaient forcés par l’occupant de fournir des Juifs qui devaient leur servir d’esclaves, et furent contraints d’aider à la déportation des populations vers les camps d’extermination.
(4) Dans les camps de concentration et d’extermination, les kapos étaient des détenus chargés d’encadrer les déportés, pour beaucoup des criminels de droit commun, et qui exerçaient leur autorité le plus souvent par la violence et la cruauté.
(5) https://yadvashem-france.org/la-vie-du-comite/actualites/actualites-de-jerusalem/yad-vashem-recense-6620-polonais-distingues-comme-justes-parmi-l/ http://www.cclj.be/actu/politique-societe/pologne-et-instrumentalisation-justes
(6) https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Paul_II#Juda%C3%AFsme
(7) Annette Wieviorka, Auschwitz, la mémoire d’un lieu, Hachette Littératures Pluriel, 2007, p. 280.
© photo et visuels : DR / Irena (Éditions Glénat) / DR
Article publié le 11 avril 2018. Tous droits de reproduction et de représentation réservés © 2018 Jewpop
Excellent article et analyse !