Stéphane Amar est journaliste, installé à Jérusalem depuis 2003. Correspondant de BFM TV ou d’Arte, il réalise de nombreux reportages et documentaires et collabore avec différents médias francophones pour traiter de l’actualité en Israël. Il est aussi écrivain et un invité régulier des émissions de télé ou radio en tant que spécialiste de la société israélienne et des relations israélo-palestiniennes. Mais Stéphane est aussi mon ami et voisin de Jérusalem. Il a écrit il y a quelques mois un essai passionnant, « Le grand secret d’Israël : Pourquoi il n’y aura pas d’État Palestinien. ». Aussi, j’ai voulu l’interroger et en savoir davantage sur sa vision du conflit israélo-palestinien.
Stéphane Amar
“Dans les coulisses, plus personne ne croit à la solution à 2 États”
Pierre Acher : Dans ton livre « Le Grand Secret d’Israël », tu expliques pourquoi la solution à 2 Etats ne constitue plus une issue crédible au conflit actuel. Qui croit encore en cette solution, en Israël, chez les Palestiniens ou dans le monde entier ?
Stéphane Amar : Officiellement, tout le monde y croit ! Il n’y a pas un diplomate ou un chef d’État dans le monde qui ne réclame pas la solution à 2 États. En Israël aussi, à part peut-être à l’extrême-gauche et à l’extrême-droite, le « mainstream » israélien est dans cette lignée. Mais dans les coulisses, plus personne n’y croit.
P.A. : Même chez les Palestiniens ?
S.A. : Surtout chez les Palestiniens ! Parce que ce sont eux qui subissent l’occupation, ils la voient tous les jours de leurs yeux et ils perçoivent parfaitement le caractère irréversible de la colonisation en Cisjordanie. On ne reviendra pas en arrière : les Israéliens sont là pour rester, et ça ils le comprennent très bien.
P.A. : Au début de ton livre, tu évoques l’absurdité du discours qui parle d’un retour aux frontières de 1967. Pour toi, c’est inenvisageable ?
S.A. : Oui, d’abord parce que la ligne verte c’est une fiction politique créée en 1949 mais qui ne correspond à rien de tangible : ni aux identités, ni à la géographie, ni aux rapports de force. Et par une curiosité de l’histoire, le plus important pour chaque peuple se situe de l’autre côté : le cœur de la Palestine historique, c’est Tel-Aviv, Jaffa, Haïfa, Nazareth, Safed, alors que pour les Juifs c’est l’inverse ; le cœur identitaire des Juifs se situe à Hébron, Jérusalem, Naplouse, la Judée-Samarie. De plus en plus d’Israéliens sont attachés à ces territoires, et à juste titre puisque ce sont les lieux fondateurs d’Israël et il suffit d’ouvrir une Bible pour le voir. Donc c’est une absurdité de croire qu’un partage sur la ligne de 1967 constituerait une solution. C’est même l’inverse, ça ne fait qu’alimenter le conflit et on le voit depuis les accords d’Oslo.
P.A. : C’est justement un point très intéressant dans ton livre… Tu compares les narratifs palestiniens et israéliens et, pour reprendre le titre d’un autre ouvrage, on voit clairement que le rêve des uns est le cauchemar absolu des autres…
S.A. : Tout le monde veut tout ! Chaque peuple réclame l’entièreté du territoire et chaque fois que quelqu’un parle de partage du territoire, c’est qu’il est le faible de l’histoire. Au départ, ce sont les Juifs qui étaient prêts au partage car ils étaient très inférieurs militairement, démographiquement, diplomatiquement ; depuis 1967 ce sont les Palestiniens qui revendiquent un partage. Mais ce n’est qu’un jeu de dupes, une stratégie, car au fond les Palestiniens n’ont jamais renoncé… Pour les Juifs, c’est un peu la même chose car la colonisation s’intensifie d’année en année et au fond les Israéliens n’ont jamais renoncé à capter tout le territoire, surtout Jérusalem-Est et les zones importantes de Cisjordanie.
“Les accords d’Oslo, un sanglant naufrage”
P.A. : Pour décrire les conséquences des accords d’Oslo, signés en 1993 par Rabin-Peres et Arafat, tu parles d’un « sanglant naufrage ». Pour toi, la situation des Palestiniens aujourd’hui est pire qu’avant les accords de 1993 ?
S.A. : C’est un secret de polichinelle ! Chaque Palestinien, quel qu’il soit, regrette l’avant-Oslo. Ils avaient une liberté de circulation quasi-totale, les gens de Gaza allaient passer une journée à la plage à Tel-Aviv ou rendaient visite à leurs cousins à Nazareth. C’est Oslo qui a créé les murs de séparation, les check-points et cette réalité extrêmement noire pour les Palestiniens. Il y a eu une croissance de 1993 à 2000 mais ensuite, avec l’Intifada, il y a eu une chute du niveau de vie des Palestiniens. C’est seulement depuis que l’on ne parle plus de négociations que les choses s’améliorent pour eux, du moins en Cisjordanie.
P.A. : Il y a un point qui m’a fait bondir dans ton livre : tu parles à un moment donné d’un « apartheid » exercé par l’État d’Israël. Pourquoi cette affirmation ?
S.A. : C’est un rapprochement avec la situation sud-africaine que j’ai assez longuement examiné… Comme en Afrique du Sud, il y a deux types de citoyens sur un même territoire. En Cisjordanie, il y a des Juifs et des Palestiniens ; si vous êtes Juif, vous avez tous les droits qu’ont les Israéliens (le droit de circuler, de se déplacer à l’étranger, d’aller travailler en Israël, d’étudier à l’université, etc…) alors que votre voisin d’en face n’a aucun de ces droits. Pour se déplacer, il doit avoir un laisser-passer, pour aller à Jérusalem, il faut une autorisation, pour voyager à l’étranger, il doit aller non pas à l’aéroport Ben Gourion mais à Amman en Jordanie, etc… Donc il y a bien 2 types de statuts sur un même territoire. Mais d’un autre côté, en Afrique du Sud, il n’y avait pas de Noirs directeur d’hôpital, juge à la Cour Suprême ou numéro 2 d’Apple…
“Chaque jour en Israël, je réalise que la coexistence est présente et réjouissante”
P.A. : Ton précédent livre parlait d’une cohabitation possible entre Juifs et Arabes en Israël. Tu en parles aussi beaucoup dans cet ouvrage, en évoquant la réussite de nombreux Arabes israéliens. Cette coexistence, tu y crois vraiment ou c’est une utopie ?
S.A. : J’y crois plus que jamais ! Chaque jour en Israël, je réalise que la coexistence est présente et réjouissante. C’est un laboratoire vivant de ce que pourrait être une cohabitation entre Juifs et Arabes sur ce territoire. Les Arabes qui ont la nationalité israélienne représentent 20% de la population. Ils ont tous les droits, et même plus que les autres Israéliens avec la discrimination positive, notamment dans les universités. Statistiquement, ils ne commettent jamais d’attentats (ou en tous cas c’est un pourcentage insignifiant par rapport aux Arabes non israéliens). Ce n’est pas le grand amour, mais c’est une cohabitation qui fonctionne tous les jours ! Il suffit de se rendre à l’hôpital pour le constater, du côté du personnel médical comme des patients. Il n’y a pas d’opposition de principe à ce que cette coexistence fonctionne dans un État unique où tout le monde pourrait vivre ensemble.
P.A. : La démographie est un sujet crucial et tu en parles beaucoup dans ton livre. Qu’est-ce qui a changé ces dernières années ?
S.A. : Ce qui a changé, c’est que la bombe démographique a changé de mains ! Arafat disait « nous, on fait la guerre avec le ventre de nos femmes » et il y avait une sorte de chantage à la démographie à terme. Sauf que depuis une dizaine d’années, les courbes se sont inversées et les femmes juives font désormais plus d’enfants que les femmes arabes. Et ce phénomène devrait s’accentuer dans les prochaines années. Un autre point très important concernant la démographie est que, depuis le retrait de Gaza en 2005, il y a 7000 Juifs qui sont sortis de Gaza mais surtout 2 millions de Palestiniens qui sont sortis de l’équation démographique. On voit très bien ici que Gaza s’achemine vers une indépendance avec cette population qui est sortie de l’équation démographique.
“On n’aura pas d’État palestinien en Cisjordanie. L’État de Palestine, ce sera Gaza”
P.A. : On va spoiler ton bouquin… Le “grand secret d’Israël”, c’est quoi ?
S.A. : Le grand secret, c’est (pour reprendre notre propos du début) qu’on fait semblant sur la scène médiatique et diplomatique de croire à une solution à 2 États, mais en vérité ce qui se trame en coulisses c’est une annexion de territoires. Cela se produit loin des caméras, sans trompettes ni tambours. On voit bien que la colonisation progresse très rapidement, dans des zones extrêmement sensibles, comme le Sud et la couronne Nord de Jérusalem, ou l’Est de Tel-Aviv. Petit à petit, ce grignotage fait que l’état Palestinien devient impossible. En parallèle, la balance démographique en Cisjordanie est en train de pencher en faveur des Juifs. Le précédent gouvernement (mais ça devrait continuer) a aussi commencé à judaïser le territoire, c’est-à-dire que de plus en plus de parties du territoire ne sont plus sous contrôle militaire, mais civil, donc ils deviennent Israël d’une certaine manière… On se réveillera un beau matin avec une réalité qui fera qu’il ne restera plus de territoire palestinien hormis quelques villes à forte densité qu’il faudra bien finir par intégrer. On n’aura donc pas d’État palestinien en Cisjordanie ; l’État de Palestine, ce sera à Gaza.
P.A. : Comment vois-tu l’avenir entre Israéliens et Palestiniens ?
S.A. : Je vois l’avenir en rose ! Je vois une absorption de la Cisjordanie par Israël pour le grand bien de tout le monde. Non seulement ça mettra fin à la violence qui vise les Juifs de plus en plus régulièrement, mais ça permettra aussi aux Palestiniens de vivre une vie normale : de se déplacer comme ils veulent, de bénéficier du miracle économique israélien, de pouvoir travailler en Israël, être soigné en Israël. Ça va créer une vague de prospérité un peu comme ce qui s’est passé lors de la réunification avec l’Allemagne de l’Est. Et ensuite, et c’est déjà en cours, cela va aboutir à un apaisement du conflit, à une fin des tensions car il n’y aura plus de raisons de s’affronter. On assistera à une réelle réconciliation avec l’entourage d’Israël. C’est déjà très avancé avec l’Arabie Saoudite, la Jordanie, l’Égypte, ça va se mettre en marche avec l’Irak. Il va y avoir un éclatement de cette bulle qui est artificielle – c’est un conflit qui finalement ne fait pas beaucoup de morts ; il crée beaucoup de tensions diplomatiques mais en vérité il a peu de réalité sur le terrain – et nous allons entrer dans une nouvelle réalité où Israël pourra enfin vivre une vie normale, dans une région normale.
P.A. : Et tu penses que les Palestiniens vont renoncer comme ça à leurs revendications nationalistes ?
S.A. : Ils ont déjà renoncé de facto. Ils ne le disent pas ouvertement mais ils le murmurent. Et il y aura un État palestinien indépendant : Gaza.
P.A. : Tu veux dire qu’il y a un grand gagnant et un grand perdant ?
S.A. : Tout le monde sait qu’Israël a gagné, c’est une évidence ! Il faut arrêter de faire semblant qu’on peut faire la paix entre un gagnant et un perdant à armes égales ; c’est comme si l’Allemagne en 1945 avait réclamé l’Alsace-Lorraine ! On est vraiment dans ce genre de considérations quand on voit les prétentions palestiniennes. Trump, qui a une logique d’homme d’affaires en diplomatie, trouve un peu saugrenues les revendications palestiniennes quand on examine le rapport de forces. Les Palestiniens n’ont rien à mettre sur la table : ils ont perdu sur tous les tableaux – militaire, diplomatique, démographique, économique, ils sont lâchés par tout le monde Arabe – bref ils n’ont rien à négocier avec les Israéliens. C’est les respecter finalement que de reconnaitre cela et de s’asseoir pour mettre en avant les populations civiles et non les fantasmes des uns et des autres. Il faut rationnellement trouver une solution digne pour que les Palestiniens puissent s’intégrer dans cet État d’Israël, qui finalement ne demande que ça. J’enquête sur le terrain depuis des années et au final, ma conviction est que les Palestiniens aussi attendent cela, de pouvoir avoir une vie normale, quitte à renoncer à leur projet national.
“La question palestinienne a été quasiment absente de la campagne électorale”
P.A. : Un dernier mot… Quelle est ton analyse des résultats des élections en Israël ? Qu’est-ce que tu imagines, à court terme, comme conséquences sur les relations entre Israéliens et Palestiniens ?
S.A. : Il est intéressant de noter que la question palestinienne a été quasiment absente de la campagne. Nétanyahou promet l’annexion de la vallée du Jourdain et ça passe comme une lettre à la poste ! Le bon score de la Liste Arabe Unie montre cependant qu’il faut prendre à bras le corps la question des relations entre les Juifs et leurs voisins, de l’intérieur et de l’extérieur. À mon avis, les fondamentaux sont bons. Les relations entre les deux peuples, sur le plan personnel, s’améliorent d’année en année. Mais il faut trouver un discours et des politiques qui rassemblent tous les habitants d’Israël. C’est vrai aussi pour la question sociale. Les électeurs israéliens ont montré leur attachement à une société plus juste, plus morale. Le reste, c’est de la cuisine électorale.
Entretien réalisé par Pierre Acher
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Commander « Le grand secret d’Israël : Pourquoi il n’y aura pas d’État Palestinien » de Stéphane Amar (Editions de l’Observatoire, 2018) sur le site La Procure
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Article publié le 19 septembre 2019. Tous droits de reproduction et de représentation réservés © 2019 Jewpop
Une question très importante qui n’a pas été abordée dans cet entretien: Quel passeport auront les palestiniens (israélien ou palestinien)? D’autre part,
la position de Monsieur Amar ne conduira t’elle pas à un Etat binational de type libanais? Ce serait la fin du rêve sioniste: un Etat juif et démocratique. COME2012