En 2012, l’hebdomadaire allemand Focus révèle une perquisition de la police munichoise dans l’appartement d’un vieil homme, Cornelius Gurlitt. Elle y trouve 1406 œuvres de maîtres, dont 300 figuraient dans l’exposition nazie « Art dégénéré » (Entartete Kunst), entreposées soigneusement dans un meuble à tiroirs au milieu d’une pièce d’une trentaine de mètres carrés. Une grande partie provenait de spoliations de familles juives, avant et pendant la guerre. Mais le propriétaire de l’appartement, Cornelius Gurlitt, était alors introuvable… Jewpop a rencontré celui qui l’a retrouvé, le philosophe et journaliste à Paris-Match Denis Trierweiler. Il répond à nos questions à l’occasion de la prochaine exposition de la collection Gurlitt au Musée d’Israël.
Un banal contrôle douanier
Oubliez l’or trouvé en juillet 2017 dans un train au fond d’une mine de sel de Pologne, puis à bord du SS Port Nicholson. Oubliez aussi les nanars hollywoodiens Le Trésor de Rommel (1955), Monuments Men (2014) ou plus récemment American Renegades (2018). Notre histoire débute le 22 septembre 2010 dans un train reliant Munich à Zurich. Des douaniers allemands contrôlent un septuagénaire dont ils trouvent l’attitude un peu louche. Ils le fouillent et découvrent une enveloppe contenant 9000€ en espèces. L’homme leur répond que cela n’a rien d’illégal, mais les policiers le soupçonnent alors d’une banale fraude fiscale. Lorsqu’ils lui demandent sa carte d’identité, figurant une adresse à Salzbourg, les douaniers constatent immédiatement qu’il s’agit d’un faux document et trouvent sur lui un passeport allemand et un passeport autrichien au nom de Cornelius Gurlitt.
Ce simple contrôle douanier va conduire à une enquête fiscale et, après une perquisition au domicile de Gurlitt, à la découverte du plus grand trésor caché depuis la fin de la guerre. Cornelius Gurlitt est le fils d’un marchand d’art sous le IIIeme Reich, Hildebrand Gurlitt, qui a profité du vol d’œuvres appartenant à des galeristes ou collectionneurs juifs par les Nazis pour s’enrichir. A priori menacé par l’ascension des ces derniers – il est passionné d’art moderne tenu pour « dégénéré », galeriste pour le peintre et dessinateur Max Beckmann, et cerise sur le plätzchen, a une grand-mère juive ! Ce qui oblige ce « métis juif de seconde catégorie » à quitter la direction du musée Kunstverein de Hambourg dès 1933 –, Hildebrand Gurlitt va collaborer avec les autorités nazies en gérant dès 1938, avec trois autres galeristes, la vente des œuvres spoliées pour financer l’effort de guerre du Reich, ne manquant pas au passage de s’enrichir en achetant à Goebbels en 1940, à un prix ridicule (4 000 francs suisses), un lot de 200 tableaux dont 4 Picasso, 3 Chagall, 2 Gauguin, 23 Emil Nolde et 15 Otto Dix. Sa collection de près de 1500 œuvres fut découverte dans les deux domiciles de Munich et Salzbourg appartenant à son fils Cornélius, entre 2012 et 2014. La police y trouvera avec stupéfaction des Renoir, Chagall, Matisse, Monet, Cézanne, Rubens, Dürer, Granach, Brueghel… Un trésor qui a suscité beaucoup de controverses, Cornelius Gurlitt défendant l’image d’un père qui avait négocié avec les nazis uniquement pour sauver des tableaux de la destruction, ou des mains des troupes russes…
Cornelius Gurlitt
Le 7 avril 2014, Cornelius Gurlitt et ses avocats trouveront un accord avec le gouvernement allemand. Les ayants-droits des familles juives spoliées disposent alors d’un délai d’un an pour prouver que certaines œuvres leur ont été extorquées. La justice promet de restituer à Gurlitt sa collection dans le cas contraire. Cette décision prend en compte le fait que l’opération menée par les Nazis contre l’art dégénéré en 1937, a été couverte par une loi rétroactive jamais abrogée. En effet, contrairement à la France, Berlin n’a pas mis en place de cadre juridique de restitution des biens aux familles juives. Cornélius Gurlitt décède le 19 mai 2014, le lendemain, le Musée des beaux-arts de Berne apprend qu’il est légataire universel de la collection Gurlitt. Embarrassé, il accepte l’héritage pour les toiles ne provenant pas du pillage nazi. Une partie de ces œuvres, dont l’origine reste controversée, déjà exposées à Bonn et Berlin, sera exposée au Musée d’Israël de Jérusalem du 23 septembre 2019 au 19 juin 2020, sous le titre « On Taste and Ideology : The Gurlitt Story ». À cette occasion, Denis Trierweiler, l’homme qui a retrouvé Cornelius Gurlitt, répond aux questions d’Alexandre Gilbert.
“Un scoop par coup de bol”
Denis Trierweiler
Alexandre Gilbert : Comment avez vous retrouvé Cornelius Gurlitt ?
Denis Trierweiler : Il y avait une double difficulté : d’abord, personne ne savait à quoi ressemblait Cornelius Gurlitt, on ne l’avait jamais vu nulle part, il n’existait pas de photo. Ensuite, les autorités allemandes avaient déclaré qu’il avait disparu et que personne ne savait où il se trouvait… Paris-Match avait envoyé un reporter à Munich, David Le Bailly, pour enquêter sur place. Mais il ne parlait pas allemand, j’ai donc été dépêché en renfort. Nous nous sommes retrouvés pour déjeuner à Schwabing, et là, David me dit qu’il avait localisé l’appartement de Gurlitt. Comme nous étions tout près, nous avons décidé d’y aller. Nous sommes entrés dans l’immeuble et avons pris l’ascenseur principal jusqu’au 5e étage. Au moment où nous en sortions, nous avons vu un vieux monsieur qui sortait de chez lui. Il s’est dirigé vers un petit ascenseur privatif, et il y est entré. Nous avons tenté de lui parler mais il n’a pas répondu. J’ai immédiatement été sûr que c’était lui, mais il nous en fallait la preuve. Une fois redescendus, nous avons vu ce monsieur héler un taxi. Nous avons fait de même et nous l’avons suivi. Il allait faire ses courses dans un centre commercial tout proche, mais il avait du mal à se déplacer. Dans le magasin, nous l’avons suivi et observé quelques temps, puis j’ai décidé de l’interpeller par derrière. Il est difficile de ne pas se retourner quand on vous appelle par votre nom. C’est ce qu’il a fait et je lui ai dit que nous aimerions lui parler, que nous étions des journalistes français. Il m’a alors dit cette chose étrange : « Je ne vous parlerai jamais. Une approbation qui vient du mauvais côté est la pire des choses qui puisse arriver. » Je réfléchis encore à cette phrase… Mais nous étions sûrs cette fois que c’était bien lui ! Tout le monde le cherchait à Panamaou dans les Philippines, alors qu’il était tout simplement resté chez lui, comme il l’avait fait toute sa vie durant. Nous avons envoyé les photos à Match vers 18h ce 9 novembre 2013, et quelques minutes plus tard, les médias du monde entier diffusaient le visage de Cornelius Gurlitt. Le lendemain matin, le patron du « Spiegel » postait un tweet à ses équipes dans lequel il disait en substance: « Les Français vient de nous donner une leçon de journalisme. C’est comme çà qu’il faut faire. » Alors qu’en fait, c’était simplement ce que l’on pourrait appeler un scoop par coup de bol. Je ne sais pas s’il y en a vraiment d’autres… C’est un peu la lettre volée de Poe, il avait suffi de regarder ce que nous avions sous le nez. Ce que tous les autres n’avaient pas fait…
A.G. : Pourquoi cette découverte change-t-elle radicalement la vision que l’on avait du trésor des nazis ?
D.T. : Je ne sais pas si elle a radicalement changé quelque chose. Mais le procureur avait découvert un trésor insoupçonné qui somnolait en plein cœur de Munich depuis plus de 50 ans. Les Allemands sont devenus très scrupuleux sur de telles affaires et toutes les demandes de restitution sont soigneusement étudiées et suivies. Quant à l’or de la SS, vous savez, il y a encore des gens qui y croient, et qui continuent à creuser depuis des décennies… Sur ce point, Gurlitt n’a pas changé grand chose.
A.G. : Le gouvernement allemand a-t-il bien géré selon vous cette affaire ?
D.T. : Je le pense oui, même si les premières perquisitions chez Gurlitt furent un peu violentes pour le vieil homme. Mais nous ne saurons jamais vraiment ce qu’il savait. Il se contentait d’entasser ses tableaux, et tous les soirs en contemplait un autre. Il vivait sans radio ni télévision. Quand les policiers sont venus saisir les œuvres, il est resté assis sur le bord de son lit, prostré et a dit: « vous auriez au moins pu attendre que je sois mort. »
A.G. : Que pensez-vous de l’exposition qui aura lieu au Musée d’Israël ?
D.T. : Je n’ai pas grand chose à dire là-dessus, je pense qu’il est bon que les œuvres soient exposées et puissent être vues. Quant aux spoliations, je l’ai dit, elles sont toutes examinées avec le plus grand soin.
Entretien réalisé par Alexandre Gilbert
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Article publié le 27 avril 2019. Tous droits de reproduction et de représentation réservés © 2019 Jewpop
Mouais…
Je reste très dubitatif quant au modèle économique de Paris Match qui consiste à financer ce « bon journalisme » par l’une des pires escroqueries de l’ère moderne qu’est le « peopolisme ».
Sans parler de la très probable implication de Paris Match dans un scandale News of the world à la française toujours soigneusement étouffé…par la presse.
En cette journée de liberté de la presse ou le lobbying journalistique ne manquera pas de bourrer les crânes, il est bon de rappeler que cette liberté n’est pas supérieure au droits fondamentaux du plus stupide des citoyens français et que si les journalistes de masse parisiens ont l’impression qu’elle est menacée, c’est peut-être aussi à cause de leur trop grande tolérance pour les escrocs et les criminels qui pullulent dans leurs rangs.