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La prière juive pour la République française

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La prière juive pour la République française est l’un des moments qui m’offre le plus d’émotions. Cet instant fort où la communauté suspend ses prières liturgiques ancestrales, rédigées à la hâte ou dans la torpeur des exils de Jérusalem à Babylone, pour se lever avec ferveur et louer le pays qui l’a adoptée.
 
Prière des anciens et des modernes. Cette bénédiction où les exclusions du passé, un présent introuvable et un avenir tourné vers la capitale de l’humanité se retrouvent dans une litanie de reconnaissances. « Car toi aussi, tu as été étranger en terre d’Egypte » (Lévitique 19, 34-35) résonne dans l’esprit de chacun de mes coreligionnaires, quand le ministre officiant ou le président de l’assemblée appelle au silence pour prononcer, en français et en hébreu, tous les vœux de soutien à la France, patrie d’accueil. C’est le jour du Shabbat comme celui des grandes fêtes et cérémonies officielles où, de la joie à la peine en passant par la pénitence, l’individualité doit s’effacer pour rendre grâce aux autorités, à l’État. La Nation est un projet commun écrivait Renan, et les lettres de noblesse de nos rabbins. Le rituel est immuable et l’affection, sincère. Les valeurs républicaines, le civisme et le respect des institutions de la République sont récitées et louées. Devant la Téba où trônent les livres sacrés des Sifrei Torah sortis du Hékhal, armoire sainte rappelant l’Arche d’alliance, la France est sanctifiée. Dieu Éternel, maître du monde, Ta providence embrasse les Cieux et la terre ; la force et la puissance T’appartiennent ; par Toi seul, tout s’élève et tout s’affermit. De Ta demeure sainte, Ô Seigneur, bénis et protège : LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE ET LE PEUPLE FRANÇAIS. Que la France vive heureuse et prospère ; qu’elle soit forte et grande par l’union et la concorde. Et l’assemblée des fidèles répond AMEN Que les rayons de Ta lumière éclairent ceux qui président aux destinées de l’Etat et qui font régner dans notre pays l’ordre et la justice. Et l’assemblée des fidèles répond AMEN. Que la France jouisse d’une paix durable et conserve son rang glorieux au milieu des nations. Et l’assemblée des fidèles répond AMEN Que la France reste fidèle à sa noble Tradition et défende toujours le droit et la liberté. Et l’assemblée des fidèles répond AMEN. Accueille favorablement nos voeux ; que les paroles de nos lèvres et les sentiments de notre coeur trouvent grâce devant Toi, ô Seigneur, notre Créateur et notre Libérateur. Et l’assemblée des fidèles répond AMEN.
 

 
C’est sous le Premier Empire qu’une prière fut instituée en 1808 par le Consistoire des communautés juive à l’intention de l’Empereur. L’élévation pour l’État était ainsi revendiquée, comme la fidélité du judaïsme français assumée. L’alliance sera désormais indéfectible et la bénédiction incontournable, scrupuleusement récitée par toutes les synagogues de France et de Navarre. On peine à imaginer que tant d’éminents ministres-officiants, tels le Rabbin Liché de la synagogue de Chasseloup-Laubat ou le Grand rabbin Ernest Ginzburger de Bayonne, tant attachés à réciter cette prière avec piété et amour, sont morts en déportation. On songe encore aux illustres Rabbins Jacob Kaplan ou Abraham Bloch, engagés sous les drapeaux comme fantassin pour le premier et aumônier pour le second, devenant des héros et figures incontournables des grandes guerres du vingtième siècle, pétris de l’amour du prochain et de la France. Les édiles et fidèles des synagogues n’ont jamais renié leur attachement à l’État et cette prière pour la République vient quelque part parachever l’oeuvre du Prophète Jérémie (XXIV, 7), exigeant des enfants d’Israël « Travaillez enfin à la prospérité de la ville où je vous ai relégués et implorez Dieu en sa faveur ; car sa prospérité est le gage de votre prospérité. » Il est singulier de voir comment la continuité de l’État et le bon fonctionnement démocratique ont toujours été au coeur des préoccupations de la communauté juive dans l’Hexagone, si attachée à s’intégrer et s’impliquer pour une acculturation parfaite, inversement proportionnelle aux silences assourdissants du régime de Vichy et d’une politique de décolonisation dont ils allaient faire les frais.
 

 
Des Piyoutim consacrés au service divin à la prière récitée pour la République française. On retrouve fidèlement à travers cette bénédiction la célèbre maxime des juifs ashkénazes, « Heureux comme Dieu en France ». C’est donc le religieux qui a encensé la pérennisation des vagues d’émigration du 19eme siècle venues d’Europe centrale, fuyant les pogroms, oukases et persécutions chrétiennes. Cette reconnaissance a longtemps forcé et commandé l’idéalisation de l’Empereur, et donc de la Nation. Le juif longtemps errant, heureux de bénéficier des promesses d’égalité pré-révolutionnaires puis libérales de la Révolution, a été sensible à celui qui lui a accordé, comme aucun autre État en Europe, l’émancipation. Émancipation pour une normalisation de son culte, de ses lieux d’études et de ses pratiques. Il n’y avait que Napoléon pour promouvoir l’égalité de tous ses sujets et affiner, certes avec une autorité ferme, son désir de centralisation et cohésion sociale parfaites de la France. D’aucuns regretteront qu’on édulcore alors les revers et tyrannies du plus célèbre dictateur français. Mais, sans aucune caution, on ne peut sérieusement étudier l’évolution du judaïsme français sans celui qui lui a donné un visage.
 
Jérémie Boulay
 
En chaleureux hommage à tous les fidèles de la communauté juive du Kremlin-Bicêtre, havre de paix du juif de Kippour et réminiscences de l’Algérie que je n’ai pas connue.
 
© photos : DR

Article publié le 28 novembre 2014. Tous droits de reproduction et de représentation réservés © 2017 Jewpop
 
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