Si les implantations m'étaient contées

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S’il y a bien un sujet qui ne fait pas, mais alors pas du tout rire, que ce soit chez les israéliens ou les palestiniens, c’est bien celui des implantations juives en Cisjordanie (ou « colonies », selon que vous soyez neutre ou engagé).
 
C’est pourtant sur ce sujet qu’Assaf Gavron, jeune prodige de la littérature israélienne et traducteur de Philip Roth entre autres, a écrit un roman, et quel roman ! Les Innocents, dont le titre original est « HaGiv’a », La Colline, narre, depuis ses débuts jusqu’à son développement et son possible démantèlement, l’histoire de Maaleh Hermesh 3. Tout commence quand Othniel Assis décide de s’installer en famille sur une terre vierge des rives du Jourdain. Après avoir obtenu l’autorisation de construire une ferme agricole (après donc s’y être déjà installé, encore la politique dite «du fait accompli » qui consiste à s’installer et à légaliser a posteriori), plusieurs familles installent leur caravanes. Création illégale ex nihilo d’un « point de peuplement juif en Cisjordanie ». Paradoxe tout kafkaïen, si cette implantation est illégale, l’est tout autant son démantèlement. La faute aux lenteurs administratives et bureaucratiques, à l’obscurité des lois et des statuts juridiques.
 
La sociologie des implantations est presque scientifique tant elle est bien vue. À rebours des clichés qui voudraient que les habitants des implantations soient tous des colons fanatisés racistes et ultra-religieux, Assaf Gavron, grâce à ses personnages de roman, permet d’accéder au plus près de la réalité (merveille de la littérature réussie) : un couple de jeunes chercheurs en quête d’une vie proche de la Terre et de l’expérience des premiers pionniers, un américain ayant opéré son retour à la religion et pratiquant l’ascèse et l’isolement de Rabbi Nahman de Breslev, son frère, un ancien trader matérialiste et athée qui fuit ses créanciers et cherche à créer une affaire de revente d’huile d’olive arabe aux bobos de Tel-Aviv, une famille de nostalgiques du Grand Israël, en bref, « ceux qui aimaient le calme, la nature, et les loyers raisonnables ». Avec Assaf Bavron, on est toujours entre le second et le troisième degré, entre l’humour corrosif et la critique acerbe.
 
Cette micro implantation qui vit en relative tranquillité avec ses voisins palestiniens et fait même du business avec eux devient pourtant, à la grâce d’un rapport d’une organisation non gouvernementale de gauche, une épine dans le pied du gouvernement israélien et un enjeu national. Le destin de Maaleh Hermesh 3 disparaît et réapparaît régulièrement de l’agenda politique, au gré de la formation des nouveaux gouvernements, des négociations de paix ainsi que des pressions américaines. Il faut lire ces pages sur la façon dont cette bande bigarrée, financée tout de même par un milliardaire américain, réussit à emmerder l’armée la plus puissante du monde, sur l’ambiguïté des soldats chargés à la fois de protéger et de surveiller les habitants des implantations, les alliances ironiques et inattendues entre les habitants de Maaleh Hermesh et l’extrême gauche.
 
Petit extrait : « Pourtant, avec la diffusion de photographies aériennes prises au cours d’un vol organisé par des activistes de gauche israéliens, il y eut des coups de fils du Ministère de la Défense, de l’Intérieur, du Logement, de la Construction et du Premier Ministre : qui avait donc pris la décision d’édifier un nouveau point de peuplement en Israël ? A qui appartenait la terre et quel type de droit s’appliquait à ce sol ? S’agissait-il d’une propriété de l’État ? Ou de terrains privés, acquis pour des motifs sécuritaires ? Avaient-ils été achetés à des Palestiniens ou non ? […] Tant de questions ! On eut la bonté d’expliquer à tous ces gens qu’il ne s’agissait que d’une ferme agricole […] Et puis, qu’allait-on imaginer. Othniel Assis voulait seulement cultiver des champignons, des asperges et de la roquette dont les gauchistes eux mêmes font des salades ou garnissent le saumon qu’ils servent eux mêmes au cours de leurs dîners tel-aviviens, alors restons serieux ! »
Difficile de rester sérieux face à tant de finesse et d’humour. Les Innocents, un roman réussi et un antidote à la pensée binaire.
 
Noémie Benchimol
 
Article publié dans l’édition française du Jerusalem Post, publié avec l’aimable autorisation de son auteur
Les Innocents, de Assaf Gavron, Rivages, 2014. Commander sur Fnac.com (25€)
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© photos : DR

Article publié le 21 juillet 2015. Tous droits de reproduction et de représentation réservés © 2015 Jewpop / JPost

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