Y’a pas à dire, nous les juifs, on est vraiment faits comme des rats. Prenez au hasard une juive, qui plus est israélienne, moi, par exemple. À l’annonce des actes terroristes juifs de la semaine dernière ayant entraîné la mort d’un bébé palestinien de 18 mois (18 mois bordel, ce ne serait pas moins grave s’il avait eu 10 ans, mais 18 mois quoi !) et d’une jeune israélienne (16 ans, merde !) ainsi que plusieurs blessés graves, attentats qui m’ont laissé sonnée, abasourdie, triste, affligée, déprimée ; j’ai immédiatement dénoncé ces actes odieux, j’ai immédiatement refusé l’hypocrite « Not in my Name » – ben si ducon, justement in your name and in the name of your God – tout autant que la théorie déculpabilisante des « loups solitaires ». D’ailleurs faudrait foutre en prison le débile qui a inventé l’expression. Ce n’est pas un loup, c’est un barbu, ce ne sont pas des loups, ce sont des adolescents barbares biberonnés à la haine. Et s’ils sont des loups, ils sont des loups alphabétisés qui savent lire et qui embrassent le même livre Saint que le mien. Et pour des solitaires, je les trouve plutôt entourés moi.
Sans sombrer dans l’auto-flagellation inutile et indécente, qui n’est que l’autre facette d’un sentiment de supériorité bien mal avisé, j’ai appelé de mes vœux un bilan de conscience, pour savoir à quel moment on avait merdé, nous la société israélienne, pour laisser grandir en notre sein des dangereux pareils, qui agissent au nom de la Torah. J’ai dénoncé la généralisation d’un climat verbal violent, raciste et clivant, tout autant que le laisser-faire mollasson du monde religieux envers un certain discours ultra-nationaliste-messianiste-raciste. J’ai regretté que les voix rabbiniques fortes, comme celles du Rabbin Benny Lau ayant déclaré au sujet des homosexuels « Rester au placard, c’est la mort, et la Torah est une Torah de vie », ou encore au sujet de l’incendie monstrueux d’une maison palestinienne « Cessez de dire : un juif ne brûle pas un autre juif, un juif ne brûle pas un autre être humain. Point. », ne soient pas plus nombreuses.
Je pensais naïvement dire des banalités, des vérités bonnes à dire, nécessaires, mais somme toute consensuelles. J’étais sûre qu’on allait tous fumer le calumet de la paix et pleurer ensemble. Tu parles. Je me suis retrouvée prise en sandwich (métaphoriquement s’entend) entre deux feux. Je recevais d’un côté des messages d’amour et d’admiration de membres de ma communauté qui disaient peu ou prou (plutôt prou que peu) : « sale gauchiste de merde hystérique et masochiste, tu adores les arabes mais on t’a pas entendu pour… » suivait une liste des centaines d’enfants et adolescents juifs morts du terrorisme palestinien, et puis de la prudence, « c’est peut-être les palestiniens eux-mêmes qui ont foutu un bébé dedans pour nous accuser (sic) » et autres ingéniosités dignes des complotistes antisémites.
Et puis, évidemment, « qu’est-ce qu’elle faisait à Jérusalem cette Gay Pride hein, les homos je n’ai rien contre moi (variante du copain juif), mais bon ils peuvent rester discrets au lieu d’étaler leur pornographie au grand jour ». Donc, si je vous comprends, les homos, vous les aimez ou bien quand ils sont encore au placard, ou bien quand ils ne sont pas homos. C’est pratique tu me diras. À ceux-là, je réponds que justement la Gay Pride à Jérusalem, parce que Jérusalem est un symbole de sainteté et que les homosexuels ne sont pas impurs. Que dire « oui mais » c’est comme accuser une victime de viol d’avoir été à cet endroit, vêtue comme ça et d’avoir quelque part, attiré son violeur. Enfin, je dois dire que je trouve beaucoup moins pornographique une bande de copains déguisés avec des slips en cuirs que des orthodoxes qui déguisent leurs enfants en rescapés de la Shoah pour dénoncer l’État nazi (Israël). Sans doute une question de goût.
À ceux-là, je réponds que la mort d’un bébé juif me touche dans ma chair, dans mon âme, mais que je peux dormir la nuit car le méchant, ce n’est pas un des miens. Que je suis au sens large, en tant que membre du peuple juif, la victime. Mais la mort d’un bébé palestinien de la main d’un des miens me rend malade car alors, au sens large, je suis le coupable. Et qu’en général, je suis plus intéressée à faire ma propre introspection qu’à me dédouaner de mes fautes en mettant en lumière celles des autres. Je vous arrête tout de suite : qu’on ne me dise pas que je préfère les morts des autres aux miens. Ça me fait gerber.
À ceux-là, je vais donner un exemple qu’ils pourront comprendre car il est fait de ce qu’ils disent : de la merde. Si je fais un pet qui pue, mais que l’autre fait une immonde diarrhée, sa diarrhée ne rend pas pour autant mon pet parfumé au Chanel 5. Voilà, parfois, un bon argument, c’est aussi simple que ça.
De l’autre côté, je me suis retrouvée entourée de nouveaux amis très encombrants à qui je n’en avais pas demandé tant : des antisémites trop heureux de trouver un « bon juif » qui opérait une autocritique ferme, des antisionistes obsessionnels qui me félicitaient de dénoncer l’État nazisioniste et ces juifs suprématistes qui génocident le peuple palestinien en dansant sur leurs cadavres. J’ai entendu plus de contre-vérités et de fantasmes sur Israël en une semaine qu’en toute une vie. On m’écrivait : « Ouais t’as raison, mort à Israël ». Mais connard tu sais lire ou pas ? Je suis une sioniste. « Faut éliminer tous les colons ». Ce serait dommage, ce sont sans doute les israéliens qui ont le plus de contacts humains normaux avec les palestiniens, parce qu’il faut être honnête, ce n’est pas ton copain ashkénaze de Tel-Aviv (ben si ton fameux copain juif Et israélien, ton deux-en-un) pour qui le palestinien est un concept, qui les côtoie au quotidien.
À ceux-là, inutiles d’apporter des arguments, des faits, des chiffres, leur obsession les rends aveugles aux nuances du réel. Mais je voudrais juste leur proposer une expérience de pensée tirée de la vie quotidienne (pas trop compliquée sinon on les perd) : vous savez, ces moments où vous en avez marre de votre mère, que vous vous êtes disputée avec elle et que vous vous en confiez à votre conjoint : « Tu sais chéri, ma mère elle m’emmerde, elle me met trop la pression ». Imaginez que le conjoint en question réponde : « Ah oui c’est vrai t’as trop raison, tiens d’ailleurs j’ai toujours voulu te le dire, ta mère je la trouve vraiment conne, et puis elle est grosse, et quand elle mange elle fait du bruit ça m’énerve, je serai content quand elle va crever», que se passera-t-il alors naturellement ? Je vous le donne en mille… « Quoi, c’est de ma mère que tu parles là ? Je ne te permets pas. Et puis à ta place je la ramènerais pas, t’as vu la tienne ? Regarde la poutre dans ton œil au lieu de regarder la paille chez moi ! »
Voilà, une bonne crise conjugale. Et si vous n’avez pas compris, je vous le dit clairement : les conjoints débiles, c’est vous, antisionistes maladifs, journaleux en quête de sensass qui, avec votre mauvaise foi, nous forcez à prendre la défense de notre mère (adoptive dans mon cas, spirituelle pour les juifs hors d’Israël), alors qu’on avait juste envie de pousser un grand coup de gueule contre elle. C’est vous qui nous poussez à pointer du doigt votre moralité à taux variable et votre indignation à sens unique, vos raccourcis malhonnêtes et votre joie mauvaise, alors qu’on avait juste besoin d’un moment de saine introspection. On dirait presque que vous êtes plus heureux que ce soient des juifs qui aient commis ces actes que vous n’êtes tristes pour les morts. Y’a pas à dire, nous les juifs, on est vraiment faits comme des rats.
Olivia Cohen
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Article publié le 7 août 2015. Tous droits de reproduction et de représentation réservés © 2015 Jewpop