Claude Hampel, décédé le 11 novembre 2016 à l’âge de 73 ans, laisse un vide immense dans le monde associatif juif et dans celui de la yiddishkeit, dont il fut un incontournable passeur. Jewpop a eu la chance de rencontrer cet homme brillant, élégant et d’une rare délicatesse, au cœur de son « QG », le Cercle Bernard Lazare, qu’il animait avec un enthousiasme extraordinaire. Pour lui rendre hommage, voici un article paru dans France-Soir en 2008 dans lequel il témoignait à l’occasion de la commémoration des 65 ans du soulèvement du ghetto de Varsovie, d’où sa mère, enceinte, a échappé à la déportation en 1943.
“ Je suis l’enfant du silence, de l’angoisse au quotidien ”
Alors que, sur un quai de la gare de Varsovie, les SS poussent sa mère dans le wagon à bestiaux qui devait la conduire à Treblinka, une main inconnue l’attire vers l’arrière. L’homme, employé des chemins de fer polonais, va la sauver. Elle est enceinte. Claude Hampel naîtra quelques mois plus tard.
« Je suis l’enfant du silence, de l’angoisse au quotidien », confie Claude Hampel, rédacteur en chef des Cahiers Bernard Lazare, directeur des Yiddishe Heften (« Les Cahiers yiddish »), le dernier mensuel yiddish édité en Europe. « Dans le ventre de ma mère et à ma naissance, ajoute-t-il, j’ai été frappé deux fois d’une condamnation à mort. » Claude Hampel est vraisemblablement le plus jeune rescapé du ghetto de Varsovie. Le 18 octobre 1943, jour de sa naissance, le ghetto n’est plus que ruines.
De son père biologique, il sait peu de chose. Dans ses rêves, il était grand, il était brun… Importateurs de produits d’épicerie fine, liqueurs et spiritueux, Marian et Emilia Wasserman, les parents de sa mère, Tola, appartenaient à la moyenne bourgeoisie juive de Varsovie.
Tous exterminés
Septembre 1939, Hitler parade dans Varsovie. Octobre 1940, les Allemands décident de parquer dans le ghetto les 380.000 Juifs de Varsovie et des environs. Ils les extermineront à Treblinka. Des conditions de vie inhumaines. Les Wasserman, qui ont perdu leur confortable appartement du centre de Varsovie, ainsi que tous leurs biens, sont expulsés, derrière le mur, vers la rue Sliska, où ils louent un logement vétuste. En 1942, le père de Tola, son frère Isaac et sa sœur Léa sont déportés vers Treblinka.
Tola travaille dans un atelier de couture de la « zone aryenne » où un ausweiss lui permet de se rendre chaque matin. Elle n’a plus que sa mère. Un soir de janvier 1943, personne ne l’attend, quand elle rentre de l’atelier.
Des juifs emprisonnés au ghetto de Varsovie quittent la zone de confinement rue Stawki, encadrés par la police juive avec les brassards blancs, avant d’être emmenés vers l’Umschlagplatz (« place de transbordement ») d’où partaient les convois de déportation.
Quinze jours plus tard, c’est elle qui est arrêtée. Direction l’Umschlagplatz et un quai de la gare, où les SS pressent une foule apeurée dans des wagons à bestiaux. Tola est alors enceinte. Soudain, alors qu’elle s’apprête à grimper dans un wagon, une main lui saisit la manche et l’attire fermement vers l’arrière du cordon de policiers.
Une voix masculine lui ordonne : « Tais-toi ! Pas un mot ! » L’homme, un inconnu, porte l’uniforme et la casquette des auxiliaires médicaux des chemins de fer polonais. Il l’entraîne vers une porte barrée de cette interdiction : « Strictement réservé au personnel des chemins de fer » et l’enferme à clef. A la nuit, il revient la chercher et la guide, évitant les patrouilles, jusqu’à un petit pavillon de banlieue. Le lendemain matin, l’homme, Petek Wrobel, qui se présente comme « un patriote », lui confie : « Pendant que tu dormais, j’ai dit à mon épouse qu’il n’était pas admissible qu’une femme aussi belle et jeune que toi puisse être assassinée par ces salauds de nazis. »
Dans une cave
Les Wrobel ont des cousins à Piastow, une petite ville située à une dizaine de kilomètres de Varsovie. Ils y conduisent Tola. La maison d’Antoni et Helena Michalski, au bout d’une étroite allée, est masquée de la rue par une habitation qu’ont réquisitionnée des officiers SS. Les Michalski recommandent à Tola de ne pas se faire remarquer : « On dira que tu es une cousine de Gdansk et que ton mari est prisonnier de guerre. Tu as les yeux verts. On va te décolorer en blonde. Tu auras l’allure d’une authentique aryenne. Le dimanche, tu assisteras avec nous à la messe. »
Toutefois, en septembre, elle ne peut plus dissimuler sa grossesse. Ses hôtes paniquent. Cacher une Juive est terriblement dangereux. Un bambin qui pleure décuple le péril. Ils décident de le faire disparaître à la naissance. Ils creusent, au fond du jardin, un trou destiné à l’enterrer. Un tel projet révolte Tola. Ivre de colère, elle se rebelle. Ils tentent de lui expliquer la nécessité de ne pas accroître les risques. Elle refuse. Son bébé doit vivre. Catholiques pratiquants, les Michalski finissent par céder.
Pour l’accouchement Tola va se débrouiller seule, coupant elle-même le cordon ombilical. Claude Hampel est persuadé qu’on l’a empêché de respecter la coutume du premier cri dès qu’il a vu le jour, ou plutôt l’obscurité, car sa mère l’a mis au monde dans la cave.
Deux années s’écouleront, à sursauter au moindre bruit inhabituel. Confiné dans la pénombre, le bambin ne sort que très rarement à la lumière du jour. Personne ne doit soupçonner sa présence. D’autant que la tension croît au sein des troupes allemandes qui, sur tous les fronts, accumulent les revers. Le 1er août 1944, Varsovie se soulève. Comme dans le ghetto l’année précédente, les Allemands vont incendier méthodiquement chaque rue. Le 2 octobre, le soulèvement polonais est un échec. Bilan de soixante-trois jours de combats : 260.000 morts.
Seule avec Claude
Claude a presque 2 ans à la capitulation de l’Allemagne. L’absence de soleil dans sa cachette a retardé sa croissance. Il ne marche toujours pas. Tola le prend dans ses bras et ils partent pour Lodz, où une organisation juive d’entraide centralise les informations sur les survivants. Tola n’a plus de toit, plus de proches. Elle est seule avec son petit garçon. On lui indique un rescapé d’Auschwitz, où ont été assassinés sa femme, ses deux fils, sa fille et toute sa famille. Disposant d’un appartement spacieux, il va héberger Tola et son fils. C’est ainsi qu’entre dans la vie de Claude celui qui deviendra son père : Jacob Hampel. À trois, ils vont reconstruire un foyer et fuiront la Pologne communiste pour la France des droits de l’homme. Avant de se diriger vers la presse, Claude sera, à Paris, musicien de rock, dans les années 60, celles de la « fureur de vivre ».
Claude Hampel, batteur du groupe Long Chris et Les Daltons
Article publié dans France-Soir le 16 avril 2008 / Copyright France-Soir
Le portrait de Claude Hampel figurant en une est l’oeuvre de la peintre Francine Meyran, huile sur toile enduite de béton 30×40 (2015) issue de sa série « Portraits mémoires de la Shoah et de la Résistance »
Copyright photos : Francine Meyran / DR
Article publié le 17 novembre 2016. Tous droits de reproduction et de représentation réservés © 2020