Philippe Chriqui, directeur de la revue Mikhtav Hadash, a écrit ce texte en période de confinement. Il nous explique ce pourquoi il prie… ou pas du tout.
Ce pourquoi je ne prie pas du tout
Je ne prie pas du tout pour obtenir des bienfaits
Je ne prie pas du tout pour demander des récompenses, de l’argent, une voiture (à moi de me débrouiller)
Je ne prie pas du tout pour trouver de la farine dans les épiceries, pour réclamer des pâtes et du papier toilette. (non mais !)
Je ne prie pas du tout pour qu’Amazon continue ses livraisons (quoique ce serait bien utile pour les devoirs de mon fils, mauvais père que je suis !)
Je ne prie pas du tout pour que les autorités politiques soient plus diligentes face au virus (pas de politique avec la religion, c’est explosif ! comme dirait Spinoza)
Ce pourquoi je ne prie pas vraiment
Je ne prie pas vraiment pour louer l’Éternel
Je ne prie pas vraiment pour espérer sa Clémence
Je ne prie pas vraiment pour Lui demander sa Miséricorde
Je ne pris pas vraiment pour obtenir un plus grand Discernement (quoique cela me serait utile)
Je ne prie pas vraiment pour disposer d’un plus grand sens de la Justice et de la Charité (j’en aurais pourtant bien besoin),
Je ne prie pas vraiment pour obtenir le Pardon (qui suis-je pour cela ?)
Je ne prie pas vraiment pour la Paix, mais ce serait nécessaire (intérieure et dans le monde)
Pour autant, je mets quand même une Majuscule à tous ces mots.
Ce pourquoi je ne prie même pas. Et pourtant je devrais
Je ne prie même pas pour demander la fin de l’épidémie,
(Ni pour demander que tous les pays gèrent aussi bien que la Malaisie, Israël ou la Corée)
Je ne prie même pas pour que mes proches, ma famille et mes amis n’attrapent pas le Covid-19
Je ne prie même pas pour que ma famille soit totalement épargnée, (mais évidemment je le souhaite ardemment).
Ni pour qu’on trouve un remède ou un vaccin rapidement.
Je ne prie même pas pour les médecins, réanimateurs, infirmières, personnels soignants, qui se dévouent au péril de leur vie, et pourtant je devrais.
Je prie à peine pour…
Je prie à peine, du bout de lèvres, en pensée pour espérer la guérison de tout ceux qui sont malades, proches de nous ou dans le monde.
On ne peut s’empêcher de le faire. D’y penser.
Mais j’ai trop prié pour ça pour ma jeune fille Hanna ( ז’ל )¹…ou peut être pas assez !
Alors pourquoi je fais l’effort de prier ?
L’effort de me lever tous les matins ?
L’effort de m’envelopper dans mon Talit, mon châle de prières ?
L’effort de nouer mes Téfilines (phylactères) ?
L’effort de lire (parfois laborieusement) en hébreu ?
L’effort de re-ranger ce bazar ?
… Alors que je n’ai qu’une envie : prendre un café ! (c’est long de replier les Tefs !)
Ce pourquoi je prie sans en être convaincu et pourtant je le fais (Amida)
Je prie sans être convaincu, envers Celui qui « donne l’intelligence »
Je prie sans être convaincu, pour Celui qui « agrée le repentir »
Je prie sans être convaincu, pour Celui qui « multiplie le pardon »
Je prie sans être convaincu, pour Celui qui « délivre Israël »
Je prie sans être convaincu mais je l’espère quand même, pour Celui « soigne les malades et le peuple d’Israël »
Je prie sans être convaincu, pour Celui qui « bénit les années »
Je prie sans être convaincu, pour Celui qui « rassemble les exilés » (et pour que ma fille puisse revenir de Toulouse)
Je prie sans être convaincu, pour Celui « brise nos ennemis et soumet les malveillants »
Je prie et je voudrais vraiment être convaincu, pour Celui qui « soutient l’espoir des Justes (Tsadikim) »
Je prie sans être convaincu, pour Celui qui « construit (ou reconstruit) Jérusalem »
Je prie sans être convaincu, pour Celui qui fait « croître le salut »
Enfin je prie, et je veux y croire, pour Celui qui « ÉCOUTE la prière » (shoméa téfila)
Parce que je trouve si belle, cette idée de prier pour que la prière soit écoutée.
Pourquoi je prie pour rien
Je fais ces efforts pour prier d’abord pour me souvenir que nous sommes impuissants
Impuissants face à tous les fléaux
Impuissants face aux épidémies
Impuissants face à ce qui nous arrive, nous est arrivé, et ne manquera pas de nous arriver
Parce que je prie pour quelque chose
Alors ? Je fais tous ces efforts pour prier d’abord et essentiellement pour me souvenir d’une chose :
Que je ne suis rien
Philippe Nissim Chriqui, Directeur de la revue Mikhtav Hadash
14 Nissan 5780
¹Hanna Chriqui, 17 ans, disparue le 19 janvier 2019. Que sa mémoire soit bénédiction.
PS : Et aussi, je prie pour me retrouver avec MOI-MÊME et moins seul ! Et aussi par fidélité à mes ancêtres, qui priaient, et à mon peuple. Finalement ce n’est pas rien !
© photo : DR
Article publié le 10 mai 2020. Tous droits de reproduction et de représentation réservés © 2020 Jewpop
Très émouvant consolation si cela est possible ?…