Enceinte de 5 mois et demi, ma cousine Yaël est passée en l’espace d’une année de « chercher le garçon » à « chercher le prénom ». Et si la première quête s’est avérée ardue, la seconde s’annonce tout aussi difficile.
Dimanche après-midi, je compte les heures avant de retrouver Solal. A la terrasse d’un café, Yaël en est à son 2ème coca zéro et moi à mon 3ème déca, le nez en l’air, je prends le soleil pendant qu’elle me déroule sa short list.
Elle : Noah et Sacha.
Moi : Ah oui pour une short list c’est une short list. Et si c’est une fille ?
Elle : Noa et Sacha. De toute façon c’est un garçon, je le sens. Ma mère n’arrête pas de me le dire. Elle a déjà calé le mohel… Mr. H. Il a dit « ce sera ma dernière brit-milah. Après celle là j’arrête »
Moi : Mr. H. ? Il a circoncis mon père en Tunisie. Aujourd’hui je lui donnerais même pas du pain à couper tellement il est vieux. La dernière fois que je l’ai vu faire une milah, je me suis demandée s’il dansait la Tektonic ou si c’était Parkinson. Et puis le coup des adieux, c’est comme pour les tournées de Johnny et Aznavour, ça lui permet juste de faire monter les prix.
Elle : Putain je suis déprimée. Bon alors t’en dis quoi, de mes prénoms ?
Là j’ai deux solutions. Soit j’en profite pour commander un 4ème déca en souriant poliment, soit je lui dis la vérité. La vérité, c’est que les parents qui appellent leurs enfants : Sacha, Noa, Ethan ou Liam, n’ont pas d’idées. Alors ils font comme Thierry Frémeaux et Gilles Jacob, ils sélectionnent chaque année les mêmes Haneke, Resnais et Almodovar. Dans un sens, c’est très pratique. Le seul truc chiant, c’est pour la maîtresse de l’école maternelle dans le XIXème arrondissement, qui est obligée de jongler avec 25 enfants qui s’appellent tous pareils, et qui se retrouve à prononcer des phrases improbables comme « Samuel A. tu laisses tranquille la Moyenne Shelly. Ava n°3, tu rends à Ethan Blond sa kippa ». Donc je n’ai rien dit, j’ai commandé un 4ème déca en souriant poliment.
Elle : Shaï, il dit qu’il faut attendre de voir la tête qu’il a.
Moi : Pas con. (Dans ma tête, j’ai pensé : « c’est débile. Avec tes cheveux crépus et le teint basané de son père, tu ne risques pas de faire un petit blondinet avec une tête de Viktor »).
Elle : T’imagines que le seul prénom qu’il m’a proposé, c’est Damien. Il trouve joli le fait que ce se soit l’anagramme de « Demain ». Non mais je te jure, n’importe quoi…
Moi : Dingue ! (Dans ma tête, j’ai pensé : « t’avais qu’à pas épouser un israélien amoureux de Paris. Il m’a demandé une liste de prénoms typiquement français, plains-toi ! J’ai évité les Xavier, Geoffroy et Maxence»).
Dire 3 mots polis et penser des saloperies dans ma tête, c’est une vieille technique que j’ai mise au point pour supporter ma belle-famille. Je me revois en plein mois d’août sur la terrasse de ma belle-mère, à mon 9ème mois de grossesse. La main sur le ventre, attendant l’accouchement comme la sortie de Kippour. Elle, couvant du regard la poule qui allait lui donner son 1er petit-enfant.
Elle : Je vous ai parlé de mon père Salomon ?
Moi : Un peu. (Dans ma tête : « je vous arrête tout de suite Salomon, c’est No way »).
Elle : C’était un homme formidable. Et puis chez nous, ça se fait beaucoup de nommer les disparus, tu penses que tu pourras y réfléchir ?
Moi : Bien sûr ! (Dans ma tête : « chez nous, ça se fait beaucoup de payer moitié-moitié la cérémonie du mariage et pas de régler QUE ses invités. Vous pensez vraiment que pour les 12 personnes de différence entre ma famille et votre famille, ça valait le coup de se fighter avec mes parents ? »).
Driver sa belle-famille c’est compliqué. Moi, je devais en plus gérer ma mère : « Ya Benti. Tu n’oublies pas mon père en 1er prénom. Tu me rendras heureuse comme jamais »
Moi : Edmond – Makhlouf donc… Maman t’es pas sérieuse ? Avec un prénom pareil, le seul truc qu’il va décrocher c’est l’allocation de la COTOREP. Mes frères, tu leur a rien demandé quand ils ont appelé leurs enfants avec des prénoms des Feux de l’amour. Pourquoi tu t’en prends à moi tout le temps ? Et puis le « tu me rendras heureuse comme jamais », tu me l’as déjà fait quand je me suis mariée, faut arrêter, là.
Trouver un prénom c’est une affaire de compromis. Des compromis avec sa famille, sa belle-famille, son conjoint, mais aussi soi-même. Avec Yaël, quand on était ados, on avait déjà choisi les prénoms de nos futurs-enfants avant même de savoir comment on les concevait.
Yaël continue de chercher un prénom en se disant qu’elle a quand même une chance insolente d’avoir des beaux-parents qui :
– Vivent à 4000 kilomètres
– Ne parlent pas un mot de français
– Sont tellement radins qu’ils ont effacé du cadran de leur téléphone les numéros de l’indicatif de la France : 0, 3 et 1
Quand elle est a deux doigts de culpabiliser, elle entend son père répéter « fille ou garçon peu importe, tant qu’on fait une brit-milah », et se dit que finalement, ce n’est pas de la chance, c’est un dommage et intérêts.
The SefWoman
Ma philosophie se situe entre « A Kippour tout le monde pardonne, sauf moi » (Raymond Bettoun) et « Dieu n’existe pas, mais nous sommes son peuple » (Woody Allen)
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Excellent ! Merci pour ces billets d’humeur qui collent si bien à notre réalité ! Jubilatoire et encore bravo….