Bien sûr, les fidèles de Martin Winckler se seront précipités sur ce livre dès sa sortie, chez POL, en février 2016. Les plus fauchés, et néanmoins fans, auront peut-être attendu qu’il paraisse en édition de poche pour le lire. Leur patience aura été récompensée : quelle merveille que cet « Abraham et fils » ! Les deux personnages auxquels le titre fait référence sont aussi attachants l’un que l’autre. Le père, Abraham Farkas, est médecin. Un de ces généralistes en voie de disparition dont on rêve qu’ils continuent de nous soigner. Le fils ? Eh bien, le petit Franz a neuf ans au moment où l’histoire commence, et il est amnésique depuis l’attentat auquel il a survécu, à Alger, et qui a coûté la vie à sa maman. Le père et le fils sauront-ils surmonter ce double traumatisme ?
Devenu papa-poule avant que le terme ne se répande – mais ces pères-là ont toujours existé, n’en doutons pas – Abraham a quitté l’Algérie avec son fils pour tenter une aventure américaine. Celle-ci ayant échoué, il est revenu s’installer en France, à Tilliers, une bourgade (imaginaire) de la Beauce où le roman se déroule. Le roman ? Oui, quand bien même il produit l’illusion de la réalité – ce qui est le propre du roman, ne l’oublions pas – ce récit est un roman sophistiqué. Tout d’abord au plan de la narration, puisqu’il mêle la voix du jeune Franz à celle d’un narrateur omniscient qui intervient de loin en loin pour nous surprendre. Ensuite, de par la manière dont les personnages sont campés : ils prennent corps grâce au regard aigu du petit garçon, et à celui de ce narrateur fantaisiste qui, à son tour, observe ce même gamin avec tendresse et lucidité.
Quant aux dialogues, dénués de fausse note ou du moindre anachronisme, leur rôle est fondamental : ils ponctuent le récit, le rendent vivant, crédible. Et puis, il y a l’intrigue, voire les intrigues, qui vous tiennent tout du long en haleine.
Installés à « Tilliers-en-Beauce » dans les années soixante, Abraham et son fils s’intègrent peu à peu à cette province de la France profonde, si proche de lieux de mémoire douloureux : les camps du Loiret, Pithiviers et Beaune-la-Rolande d’où partirent vers Auschwitz-Birkenau tant de convois d’adultes et d’enfants juifs. Du reste, en arrière-plan se déroule une quête historique et mémorielle ayant pour but de lever le voile de doute qui pesait depuis l’Occupation sur l’une des résistantes du village. La grande maison où s’est installé Abraham recèle bien des secrets que Franz va tenter de débrouiller, à la manière des héros dont il dévore les histoires.
Les fils de ce récit s’entrecroisent avec bonheur à mesure que Franz grandit, et porte un regard de plus en plus affûté sur ce qui l’entoure. Grâce à quoi ? Aux livres, forcément. Ce roman nous rappelle la place fondamentale que tenait la lecture dans la vie des enfants. Dans les années soixante, superbement évoquées ici, la télévision n’était pas omniprésente. Le cinéma encore moins. L’image mouvante ne se substituait pas à la lecture, laquelle incluait des « illustrés » autant que des textes plus classiques.
Avec boulimie, le jeune Franz s’imprègne de ce qu’il lit le jour, et la nuit – caché sous sa couverture, et à l’aide d’une lampe de poche, un détail qui parlera sûrement à nombre d’entre nous. C’est la lecture lui permet de s’évader et d’appréhender le monde des adultes. De réfléchir et de poser des questions à son père. De se concentrer, d’apprendre à observer les lieux et les êtres qui l’entourent. De nourrir son imagination, déjà très fertile, de comprendre ce qui motive les êtres, leur bonté ou leur méchanceté. Et, bien sûr, de se mettre à écrire à son tour…
Non content d’avoir écrit une histoire prenante sur le thème de la relation père-fils, Martin Winckler nous offre avec ce roman-là une superbe leçon d’amour et de bienveillance. « Abraham et fils » est un livre qui fait du bien. Voilà qui confirme qu’à l’instar de son héros, le docteur-auteur Winckler est aussi un médecin de l’âme. Nous attendrons donc avec impatience que son nouvel opus, « Les Histoires de Franz », paraisse à son tour en édition de poche, afin que chacun puisse continuer à se sentir mieux – à peu de frais !
Cathie Fidler
Ndla : Vous pouvez lire ici la biographie de Martin Winkler. Il n’échappera à personne que Franz est une sorte d’anagramme du vrai nom de l’auteur (Zaffran) et que le titre « Histoires de Franz » résonne de deux manières différentes selon comment on le prononce.
Cathie Fidler est écrivain, auteur de plusieurs romans parmi lesquels Histoires floues, La Retricoteuse… du livre d’art Hareng, une histoire d’amour, co-écrit avec Daniel Rozensztroch et récemment d’un ouvrage consacré à son père le peintre et céramiste Eugène Fidler « Eugène Fidler, Terres mêlées » (Les Éditions Ovadia).
Gratitude, le blog de Cathie Fidler
Abraham et fils, collection Folio, août 2017. 8,20 € Commander ici
Les Histoires de Franz, paru en août 2017, sont disponibles chez POL. 21,90 € Commander ici
© photos et visuels : DR
Article publié le 13 octobre 2017. Tous droits de reproduction et de représentation réservés © 2017 Jewpop