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Aurélien Bellanger et Le Continent de la douceur

9 minutes de lecture

Aurélien Bellanger, écrivain et chroniqueur sur Canal + dans Clique et sur la matinale de France Culture, a reçu le Prix de Flore en 2014 pour La Théorie de l’information et publie chez Gallimard Le Continent de la douceur, une réflexion sur l’Europe. Jewpop vous souhaite la bienvenue dans le monde « hyperchronique » du royaume de Karst.

Couverture du roman d'Aurélien Bellanger Le Continent de la douceur Jewpop

Alexandre Gilbert : Le royaume de Karst, décor de ton dernier roman, c’est une Savoie dystopique, petite-fille de Victor Emmanuel III, ou une Lotharingie uchronique qui selon Oxfam serait devenue plus riche que la moitié la plus pauvre du monde ?
Aurélien Bellanger : J’ai tenté de développer, en m’appuyant notamment sur les féeries européennes de Miyazaki, sur les contes de fées et les romances ruritaniennes, quelque chose qui se rattacherait, comme un pendant rêvé de l’orientalisme, à l’occidentalisme : il me fallait une tête réduite d’Europe, un pays et une cour quasiment de caricature, une Suisse lyophilisée, un Lichtenstein grimaldisé, un Vatican économique, un état nation trop beau pour être vrai : plutôt qu’une uchronie, l’Europe où le Karst aurait existé serait une hyperchronie : cette principauté surnuméraire en amplifierait toutes les caractéristiques.

A.G. : Xavier Niel dans La Théorie de l’information, Francis Bouygues dans L’aménagement du territoire, Nicolas Sarkozy, dans Le Grand Paris et maintenant Bernard-Henri Lévy dans Le Continent de la douceur, lequel a selon toi le profil le plus proche du prophète houellebecquien ?
A.B. : J’avais besoin d’un nouveau Voltaire, d’un citoyen d’honneur pour mon pays imaginaire. Le plus houellebecquien de mes personnages reste Pascal Ertanger, le héros de La Théorie de l’information : un mystique insatisfait.

A.G. : Penses-tu comme Maurice Dantec hier ou  François Asselineau aujourd’hui, que la construction européenne est un plan secret des nazis pour reconquérir le monde ?
A.B. : J’ai lu des livres qui allaient dans ce sens, je ne déteste pas le titre de celui de Philippe de Villiers : J’ai tiré sur un fil et soudain tout est venu. Mais mon Jean Monnet, moitié père de l’église, moitié remède à Machiavel, résiste à cette reductio.


A.G. : Peut-on encore citer Le Club des cinq d’Enid Blyton comme référence centrale de ton œuvre ?
A.B. : J’en ai relu récemment à ma fille : mes impressions d’enfance sont largement meilleures que les livres. Alors oui et non. Cela marche d’ailleurs aussi avec Houellebecq : je ne me sens ni blytonien, ni houellebecquien, mais sans eux, mes livres ne seraient pas les mêmes.


A.G. : Contrairement à Patrick Modiano ou Marc-Edouard Nabe, tu arrives à parler plus de 15 minutes d’affilée sans trembler ni tomber dans les pommes. Serais-tu le premier écrivain-cycliste ? 
A.B. : Je tiens précisément 5 heures, soit un peu plus de 100 kilomètres. Après, mon monologue s’enraye, et mon partenaire de vélo, quand il ne vomit pas sur le bord de la route, subit mes plaintes incessantes.

A.G. : En revanche un personnage inspiré de DSK, baron perché fan d’accrobranche, dont le modèle sillonnait au maximum les bordels de France avec François Mitterrand en voiture de fonction, c’est de la science-fiction, non ?
A.B. : J’ai croisé DSK un jour à Yalta : tout ce que je peux confirmer du personnage, c’est qu’il joue bien aux échecs sur son Blackberry.

A.G. : Dans une tribune sur Jacques Chirac dans Libération, tu ne lui accordes même pas le fait d’avoir reconnu la responsabilité de la France dans la rafle du Vel d’hiv. Tu y vois une forme d’hypocrisie de sa part ?
A.B. : Je le lui avait accordé la veille dans une chronique à la radio, j’ai voulu en fait varier les angles, mais ce n’était pas une tribune, seulement une interview. Je me rappelle, à ce propos, d’une phrase involontairement glaçante dans la bio de Mitterrand par Lacouture : Mitterrand expliquait que la raison principale pour laquelle il avait quitté sa Charente natale, pour aller faire son droit à Paris, c’était pour aller voir des courses au Vel d’hiv…


A.G. : Tu compares Chirac à Sganarelle, le majordome de Don Juan, est-ce un clin d’œil au porno des année 70, dont Giscard a largement assuré et pérennisé la survie ?
A.B. : Il y a des présidents, c’est très français, qui sont de fait de très bons seconds rôles. Et le second rôle, c’est l’un des désavantages de la fonction, n’a pas de sexualité. Ce qui, dans le cas de Chirac, mène un peu la contradiction, et dans celui de Giscard, aux romanesques ambiguïtés d’une liaison avec Diana.

A.G. : Peux tu expliquer ce que sont les mathématiques intuitives dont tu parles dans le roman ?
A.B. : Une machine de guerre dirigée contre le platonisme naïf de tous les Européens impériaux et pompeux, qui en rejetant le principe du tiers exclu, c’est à dire l’idée qu’un énoncé mathématique est éternellement soit vrai, soit faux, indépendamment de toute preuve qu’on a, arrive à reconstruire toutes les mathématiques en se passant du démon protonationaliste de l’essence : les mathématiques, comme l’Europe, seront construites, pour le meilleur, et pour le pire.

A.G. : BHL et Gilles Hertzog, le petit fils de Marcel Cachin, ont écrit dans La Règle du Jeu que ton roman est l’un des meilleurs de la rentrée. Qu’est ce que ça te fait ?
A.B. : Je n’écrirais pas de roman sans la solide certitude qu’ils seront parmi les meilleurs de la rentrée  littéraire. Je suis en cela d’accord avec eux, avec cette orgueilleuse nuance que je l’étais, moi, a priori, et sans même m’être lu.

Interview réalisée par Alexandre Gilbert

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© photo : Francesca Mantovani / Gallimard / DR

Article publié le 10 octobre 2019, tous droits de reproduction et de représentation réservés © 2019 Jewpop

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