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Diane Ducret : « la France, avant Vichy, a pris la décision d'interner au Vélodrome d'Hiver »

9 minutes de lecture

 
Dans son dernier roman La Meilleure façon de marcher est celle du flamant rose, publié aux éditions Flammarion, Diane Ducret livre un témoignage personnel.
 

Flamant Rose Diane Ducret

 
 
Alexandre Gilbert : Quelle influence ont eu Edmond Husserl et Franz Rosenzweig sur votre travail philosophique et notamment sur votre magistère de philosophie à l’ENS ?
Diane Ducret : À vrai dire, c’est Kant qui eut une véritable influence sur mon travail, mais aussi ma personnalité. J’ai été très impressionnée par la cathédrale de pensée qu’est la Critique de la Raison pure. Étudiante, j’étais à la recherche d’un idéal qui me menait souvent dans des lectures très romantiques, françaises et allemandes, et au lieu d’y trouver une orientation, un sens structurant, j’en ressortais encore plus perdue. Chez Kant, j’ai trouvé une méthode, une rectitude de pensée qui ne m’ont plus quittées. Mais j’ai aussi découvert dans ses autres écrits, relatifs à la morale ou la paix, une véritable délicatesse envers l’homme. C’est grâce à Kant, son impératif catégorique et sa croyance en la force de la raison, que j’ai réussi à me sortir du handicap. Pour ce qui est d’Husserl, je me suis vite détournée de la phénoménologie. Séduisante par les mots, elle s’est hélas détachée du monde qu’elle prétendait enfin contempler pour ne plus analyser que le percevant du monde, l’homme. En revanche, les écrits de la Krisis, qui posent la question de la crise de la culture européenne, en 1935, m’ont beaucoup nourrie. Et bientôt 100 ans plus tard, nous en sommes au même point : la scientificité et la technologie sont devenues si objectives qu’elles se sont détournées des grandes questions qui taraudent l’être humain. « On s’est détourné avec indifférence des questions qui pour une humanité authentique sont les questions décisives (….) dans la détresse de notre vie, cette science n’a rien à nous dire. Les questions qu’elle exclut par principe sont précisément les questions qui sont les plus brûlantes à notre époque malheureuse pour une humanité abandonnée aux bouleversements du destin : ce sont les questions qui portent sur le sens ou sur l’absence de sens de toute cette existence humaine ».
 

“Une chute qui libère de l’inertie originelle et vous pousse à devenir un Mensch”

 
A.G. : Qu’est ce qu’une chute de cheval « ontologique » ?
D.D. : Ahah…. C’est une chute fondatrice un peu similaire à celle de Camus dans le roman éponyme, une chute où le corps seul ne choit pas, mais l’être est projeté au sol avec une force si vive qu’il est un instant éclaté en mille morceaux, et obligé de se ramasser soi-même et de se trouver une nouvelle force pour s’agréger, pour à nouveau faire un et se relever. C’est une chute qui libère de l’inertie originelle et vous pousse à devenir un Mensch.
 
A.G. : Peut-on parler d’hybristophilie (syndrome de Bonnie and Clyde) chez les femmes de dictateurs, les femmes de gangsters et certaines femmes battues ?
D.D. : Il y a du mystère dans l’âme humaine, surtout celui d’être attiré parfois par celui qui vous fait du mal, pas forcément du bien. Chez les femmes de dictateur ou les femmes de gangster, il y a surtout l’envie d’être aimée au-delà de tout, au-delà des lois humaines. De vivre un amour qui transcende. Bien souvent, il y a quelque chose de l’ordre du syndrome de Stockholm surtout, dès que la violence apparaît. Lorsque celui auquel on s’est lié se révèle destructeur, envers les autres et envers soi, alors on adhère à sa rage destructrice pour survivre et ne pas ouvrir les yeux.
 

“J’avoue être particulièrement curieuse du cœur de celui ou celle que je rencontre”

 
A.G. : Vous vous définissez comme « archéologue du coeur ». Qu’avez-vous pensé des Aveux de la chair, dernier tome de L’histoire de la sexualité de Michel Foucault, qu’il voulait initialement appeler « L’archéologie de la psychanalyse » ?
D.D. : C’est une phrase tirée d’une interview, je ne m’appellerais pas ainsi moi-même ! Je ne suis pas adepte des catégories que l’on s’attribue, des grandes déclarations d’intention. Je faisais référence à Agatha Christie qui déclarait avoir eu une excellente idée d’épouser un archéologue, car plus elle vieillissait, plus il lui trouvait d’intérêt. J’avoue être particulièrement curieuse de l’histoire du cœur de celui ou celle que je rencontre. J’aime, à la manière d’un archéologue, deviner quelle fut son histoire, ses reines et ses rois, ses drames et ses joies.
 

“La France, avant Vichy, a pris la décision d’interner au Vel d’Hiv, en mai 1940, des milliers de femmes à cause de leur origine et nationalité”

 
A.G. : Dans votre roman Les Indésirables, vous avez fait le lien entre le cabaret du camp de Gurs, qui a connu, durant l’hiver 1940, plus de morts que Buchenwald, et le film de Roberto Benigni. Le régime de Vichy n’était pas encore au pouvoir. Existait-il selon vous, contrairement à ce que prétend le gouvernement polonais, des « camps de concentration polonais » et des « camps de concentration français » ?
D.D. : C’est une question des plus difficiles et je ne prétends pas y répondre seule. On remarque cependant que la France, avant Vichy, a pris la décision d’interner au Vélodrome d’Hiver, en mai 1940, des milliers de femmes, à cause de leur origine et nationalité, puis de les transférer dans un camp dans lequel elles ne sont que peu nourries, où elles meurent de ne pas être soignées, du froid aussi, dans lequel elles sont violées pour certaines. Et de ce camp, elles seront conduites en camp d’extermination après l’arrivée des Allemands. Disons que si l’on n’épouse pas entièrement la définition de camp de concentration, on flirte dangereusement avec.
 
Entretien réalisé par Alexandre Gilbert
 
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Photo © : Astrid di Corollalanza / Flammarion / DR

Article publié le 18 mars 2018. Tous droits de reproduction et de représentation réservés © 2018 Jewpop

 

1 Comment

  1. « vous avez fait le lien entre le cabaret du camp de Gurs, qui a connu, durant l’hiver 1940, plus de morts que Buchenwald » No « cabaret », mais LAZARET, je présume. Article magnifique. Merci pour cette découverte de Diane Ducret, « a mensch ».

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