Affiche du film Operation Brothers Jewpop

Operation Brothers : la véritable histoire du spectaculaire sauvetage des Juifs éthiopiens par le Mossad

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Voilà bientôt 30 ans, le 24 mai 1991, 14 325 Juifs éthiopiens étaient évacués par Tsahal de l’aéroport d’Addis-Abeba vers Israël, en 36 heures. L’“Opération Salomon” eut un immense retentissement, mais ne fut pas la première qui permit de sauver des milliers de Beta Israel. Avec le film The Red Sea Diving Resort (Opération Brothers en français) diffusé actuellement sur Netflix, le réalisateur israélien Gideon Raff, créateur de la série Hatufim (Homeland version US), livre une vision très hollywoodienne d’un incroyable épisode qui s’est déroulé au début des années 80. Jewpop revient sur la véritable histoire de cette opération, narrée par le correspondant de la BBC au Moyen-Orient Raffi Berg, dans son livre Red Sea Spies : The True Story of Mossad’s Fake Diving Resort.

Brochure Arous Jewpop

Niché sur les rives de la mer Rouge, au Soudan, Arous est un endroit paradisiaque. Mais cette destination idyllique fut aussi la base stratégique d’une poignée d’agents du Mossad, chargés d’une mission impossible. « Arous sur la Mer rouge, un endroit hors du commun ! » annonce le dépliant sur papier glacé du Red Sea Diving Resort, « village de vacances du désert soudanais, dédié à la plongée ». Illustrée de photos de petites bâtisses blanchies à la chaux bordant une plage inondée de soleil, d’un couple souriant en tenue de plongée, de poissons exotiques… La plaquette du lieu vante “des eaux parmi les plus limpides au monde”, tandis qu’“à la nuit tombée, alors que les couleurs des paysages s’estompent, on contemple une vue à couper le souffle sur un ciel embrasé de millions d’étoiles !” Arous, avec ses spectaculaires récifs coralliens, semble le spot idéal pour les mordus de plongée.

Plaquette publicitaire Arous Jewpop

La plaquette fut imprimée à des milliers d’exemplaires et envoyée à toutes les agences de voyage d’Europe spécialisées dans les sites de plongée. Les réservations étaient effectuées soit dans un bureau de Genève, ou via un bureau basé à Khartoum, au Soudan. Des centaines de touristes passèrent leurs vacances à Arous. Le périple était long mais en valait la peine. Une fois arrivés dans l’oasis, tout était prévu pour y passer des vacances de rêve, entre plongée, sports nautiques, hôtel “de charme”, repas de poissons frais… Le livre d’or de l’hôtel était rempli de commentaires élogieux.

L’office du tourisme soudanais s’en réjouissait. Il avait loué le site à des personnes se présentant comme des investisseurs européens, dont l’initiative allait permettre au Soudan d’accueillir des touristes étrangers. La seule chose que ne pouvaient imaginer les autorités soudanaises, et encore moins les touristes se rendant au Red Sea Diving Resort, c’est que tout cela était bidon. Le village de vacances était juste une couverture, créée et gérée durant 4 années par des agents du Mossad pour couvrir une incroyable mission humanitaire : exfiltrer des milliers de Juifs éthiopiens bloqués dans des camps de réfugiés au Soudan, et les évacuer vers Israël.

Au début des années 80, le Soudan est l’un des pays arabes ennemis d’Israël, et l’opération doit être réalisée dans le secret absolu. Hormis les décideurs du Mossad, les membres du gouvernement et les agents impliqués, personne n’est au courant. Les agents ont l’interdiction d’en parler avec leurs familles.

Beta Israel Soudan Jewpop

Juifs éthiopiens dans un camp de réfugiés au Soudan (1983)

Les Juifs éthiopiens appartiennent à une communauté dénommée Beta Israel (la maison – ou famille – d’Israël), dont les origines restent obscures. Deux principaux récits relatent leurs origines. Selon le premier, le plus répandu dans la tradition orale, ils descendraient d’accompagnateurs du prince Ménélik, fils du roi Salomon et de la reine de Saba, lorsqu’il apporta l’Arche d’alliance en Éthiopie au Xème siècle avant J.-C., un récit semblable à la légende des chrétiens d’Éthiopie concernant l’Arche d’alliance, sans que l’on sache lequel a inspiré l’autre. Le second les présente comme descendants de la tribu de Dan, l’une des dix tribus perdues, déportée par les Assyriens en 722 avant J.-C. En Israël, ce récit domine, officiellement accepté par le Grand-rabbinat d’Israël depuis 1973. D’autres théories évoquent une guerre civile, qui mena des Israélites en Éthiopie, ou encore un exil après la destruction du Temple à Jérusalem en 587 avant J.-C.

Respectant la Torah, pratiquant un judaïsme proche de celui en vigueur à l’époque du second Temple de Jérusalem et priant dans des bâtiments semblables à des synagogues, les Juifs éthiopiens sont restés isolés du monde juif durant des siècles, persuadés qu’ils étaient les derniers Juifs de la planète. En 1977, l’un d’eux, Ferede Aklum, recherché par les autorités éthiopiennes pour “activités anti-gouvernementales” (il est suspecté de sympathies avec les “rebelles” et accusé de “trahison” pour avoir encouragé des Juifs éthiopiens à émigrer en Israël), s’échappe au Soudan en compagnie de réfugiés Juifs éthiopiens, menacés par la guerre civile et la famine qui sévissent alors dans le pays.

Ferdede Aklum Jewpop

Ferede Aklum

Du Soudan, Ferede Aklum réussit à envoyer des courriers à des organismes d’aide aux réfugiés, l’un d’eux parvient au Mossad. Menahem Begin est alors Premier ministre d’Israël. Le pays est un refuge pour les Juifs en péril, il ordonne au Mossad d’agir. L’un de ses agents, Dani, a pour mission de localiser Ferede Aklum et de trouver un moyen de l’exfiltrer du Soudan vers Israël, en compagnie des réfugiés qui l’accompagnent. C’était “chercher une aiguille dans une botte de foin” explique l’agent, qui débarqua à Khartoum avec une équipe de deux hommes. Après avoir enfin été trouvé par Dani, Ferede envoie un message à la communauté juive éthiopienne, l’incitant à le rejoindre au Soudan, étape vers Jérusalem, un rêve vieux de 2700 ans. De 1980 à 1985, ce sont près de 14 000 Beta Israel qui prirent le risque d’une traversée périlleuse dans le désert, parcourant à pied 800 kilomètres dans des conditions dramatiques.

1 500 Juifs éthiopiens périssent alors, certains assassinés lors de la traversée du désert, d’autres morts dans les sordides camps de réfugiés de Gedaref et Kassala, ou encore kidnappés. Il n’y a officiellement aucuns juifs au Soudan, pays majoritairement musulman. Les réfugiés arrivés dans le pays cachent leur religion pour ne pas être arrêtés par la police secrète soudanaise, mais tentent autant que possible de préserver leur foi, évitant par exemple de faire du feu dans les camps durant le shabbat.

Arous resort Jewpop

Le site d’Arous

Très rapidement, Dani et Ferede organisent des exfiltrations à petite échelle, via l’aéroport de Khartoum d’où embarquent quelques réfugiés à destination de l’Europe, munis de faux papiers, pour arriver finalement en Israël. Mais avec l’arrivée massive dans les camps du Soudan de Juifs éthiopiens, cette voie n’est plus envisageable.  « J’ai alors pensé à une évacuation maritime » se souvient Dani, interviewé par Raffi Berg. « Le Soudan n’était pas l’Éthiopie [où la guerre civile et les régions montagneuses constituaient des obstacles insurmontables pour transporter les réfugiés de leurs villages vers la côte]. Si nous pouvions les évacuer [du Soudan] par la mer Rouge, avec un navire, alors nous pourrions le faire à une plus grande échelle. » explique-t-il. C’est en explorant les côtes soudanaises à la recherche d’une possible plage de débarquement que Dani et l’un de ses agents tombent, à la fin de l’année 1980, sur le site d’Arous et son hôtel abandonné, à environ 70 km au nord de Port-Soudan, le principal port du Soudan sur la mer Rouge. « Nous avons eu l’impression de voir un mirage ! Il y avait des petits bâtiments aux toits de tuiles rouges, on ne se croyait pas au Soudan… » Un gardien qui se trouve sur les lieux leur explique que l’ensemble a été créé par des entrepreneurs italiens, mais a fermé deux ans auparavant. Les deux agents du Mossad demandent au gardien s’ils peuvent visiter les bâtiments et les alentours. « Nous avons immédiatement vu le potentiel du lieu. Si nous obtenions le droit de le rouvrir, nous serions les rois du monde ! Avec une telle couverture, tout deviendrait possible !»

Chris Evans Operation Brothers Jewpop

Chris Evans, photo du film Operation Brothers

La suite de l’histoire constitue le cœur du film de Gideon Raff “Red Sea Diving Resort”. Tourné en Namibie – où l’hôtel fut reconstitué – et en Afrique du Sud, le film raconte les opérations d’exfiltrations à partir du village de vacances. Chris Evans (Captain America) incarne le personnage de Dani (l’acteur a souhaité rencontrer l’agent du Mossad pour préparer son rôle). Les autres personnages du film sont basés sur l’équipe recrutée par Dani pour la mission. Quant au scénario écrit par Gideon Raff, il respecte la plus pure tradition hollywoodienne des films d’action, s’inspirant de l’histoire mais s’éloignant de la réalité pour laisser la part belle à des scènes totalement inventées, prétextes à rebondissements. Ainsi, l’une des séquences où l’on voit des centaines de réfugiés cachés dans l’un des bâtiments de l’hôtel alors que des miliciens soudanais y dînent est totalement fantaisiste, tout comme la participation de la CIA à l’un des sauvetages les plus spectaculaires au moyen d’un avion cargo, qui fut en réalité effectué par l’armée de l’air israélienne, sans que les Américains ne soient au courant de ce qui se passait à Arous durant toute cette période.

red Sea Diving Resort film Jewpop

Chris Evans, Haley Bennett, Michiel Huisman, photo du film Operation Brothers

Bâti en 1974 par des entrepreneurs italiens, le village de vacances était composé de 15 bungalows, d’une cuisine et d’une grande salle à manger donnant sur la plage, le tout face à un superbe lagon. Sur place, aucune infrastructure, pas de route pratiquable… Les gérants du resort avaient juste installé un générateur électrique, et se fournissaient en eau potable à Port-Soudan. Le lieu connût un certain succès pendant 5 ans, jusqu’à ce que des problèmes avec les autorités soudanaises ne poussent les Italiens à l’abandonner. « C’était un endroit compliqué à gérer, si vous n’aviez pas le Mossad derrière vous » expliquait non sans ironie l’un des agents de la mission, qui a tenu à rester anonyme. Se présentant comme le directeur d’une agence de tourisme suisse (qui bien sûr n’existait pas), Dani réussit à convaincre les autorités soudanaises de sa capacité à rouvrir le village de vacances et à le remplir à nouveau de touristes. La négociation aboutit, le Red Sea Diving Resort est loué au Mossad pour 250 000 $ (à l’époque l’équivalent de 1,2 million d’euros).

Lounge Arous Jewpop

Le lounge du red Sea Diving Resort (le télescope était utilisé à la fois par les vacanciers, et par les agents du Mossad pour surveiller les exfiltrations nocturnes par la mer)

Dani et son équipe mettent un an à rénover l’endroit. Le village de vacances est équipé de matériaux israéliens : systèmes d’air conditionné, petits hors-bords, équipements de sport nautique haut de gamme, et la première planche à voile vue au Soudan ! Le tout passé en contrebande dans le pays. Ils recrutent 15 employés soudanais, femmes de chambre, serveurs, un chauffeur et un chef débauché dans un hôtel de Karthoum. « Nous lui avons offert le double de son salaire » raconte l’un des agents. Évidemment, aucun employé ne se doute de ce qui va se dérouler dans le resort, encore moins de la réelle identité des “managers” du lieu… Parmi les membres de l’équipe de Dani figurent plusieurs femmes, chargées de gérer le quotidien du village de vacances, afin d’éloigner tout soupçon qu’aurait pu éveiller une équipe entièrement masculine. Interdit d’accès au personnel et aux vacanciers, le bâtiment où sont stockés les équipements de plongée est équipé de matériel radio, permettant aux agents de garder le contact avec le quartier général du Mossad à Tel-Aviv.

Gedaref Mossad Jewpop

Dani et l’un de ses coéquipiers lors d’une exfiltration d’un camp soudanais

Tandis qu’une partie des agents s’occupe des vacanciers, la nuit tombée, une équipe réduite se rend à 900 km d’Arous, à proximité du camp de réfugiés de Gedaref, d’où ils exfiltrent des groupes de Juifs éthiopiens, avec l’aide de Beta Israel recrutés pour l’opération. « Au début, les réfugiés disposaient de peu de temps pour sortir du camp. On ne leur disait pas pour quelle destination, nous ne voulions pas que les nouvelles fuitent, mais ils se doutaient que nous allions les mener à Jérusalem » raconte Dani. « Ils étaient juste réveillés avec précaution, et on leur expliquait que c’était le moment de partir. » Là, un convoi de camions les attendaient, chaque camion transportant une douzaine de réfugiés désemparés pour un voyage de deux jours, roulant uniquement de nuit et se cachant la journée dans des oueds.

Mossad Gedaref Jewpop

Dani posant devant une Land Rover servant aux exfiltrations de réfugiés Juifs éthiopiens

Les premiers jours de l’opération, les camions devaient traverser des checkpoints, mais les agents du Mossad changèrent leurs plans après un incident survenu lorsqu’un soldat soudanais ouvrit le feu sur l’un des camions, sans toutefois atteindre sa cible. Alors que les camions faisaient halte dans les oueds, la plupart des réfugiés se précipitaient pour embrasser la terre, pensant qu’ils avaient déjà atteint la Ville sainte, se souvient un agent du Mossad.

Commandos Mossad Arous Jewpop

Des commandos de marine israéliens et des agents du Mossad poussant un Zodiac embarquant des réfugiés, lors d’une opération d’exfiltration

Une fois arrivés sur la plage d’Arous, des commandos de marine israéliens débarqués en Zodiac venaient les recueillir et les transporter à bord de l’INS Bat Galim, un navire israélien amarré au-delà des barrières coralliennes, pour les emmener en Israël.

Commando marine israélien Arous

Un commando de marine israélien portant un enfant Juif éthiopien lors d’une opération d’exfiltration

« Le danger était constant » explique l’un des agents du Mossad. « Nous savions que si l’un d’entre nous était découvert, nous finirions tous pendus à des potences sur la place principale de Khartoum. » Cela faillit arriver en mars 1982, lors de la troisième opération d’exfiltration, quand des soldats soudanais repèrent des mouvements suspects sur la plage d’Arous et qu’un des leurs ouvrit le feu. Les réfugiés étaient alors déjà dans les Zodiac, et les commandos israéliens réussirent à quitter rapidement les lieux sans dommage. Après cet incident, le Mossad décida d’annuler les évacuations par la mer, jugées trop risquées, et élabora une nouvelle stratégie. Les agents furent chargés de trouver une possible piste d’atterrissage dans le désert pour un avion-cargo Hercules C130. Les réfugiés seraient évacués clandestinement par les airs.

Agent Mossad Arous

Un agent du Mossad et des vacanciers d’Arous

Entretemps, les agents continueraient comme si de rien n’était leurs activités au village de vacances d’Arous, de plus en plus empli de touristes, attirés par la réputation du lieu, désormais bien installée. « Arous était vraiment un endroit idyllique » raconte un touriste américain à Raffi Berg. « Les bungalows étaient charmants, naviguer en hors-bord sur la côte et faire de la plongée dans le lagon était un pur bonheur ! Les fonds marins étaient à couper le souffle !» se souvient cet hôte du lieu, qui évoque le staff du village de vacances : « Ces jeunes européens étaient tous très cools, ils respiraient la santé, et au moment du dîner, les vacanciers ne manquaient pas de leur demander pourquoi diable avaient-ils monté ce village de vacances dans un lieu aussi perdu ! Évidemment, ils nous répondaient que c’était un spot de rêve, et les gens leur disaient “pourvu que ça dure !” »

Agents Mossad Arous Jewpop

Des agents du Mossad prenant leur petit-déjeuner à Arous / Un agent du Mossad moniteur de plongée sur la plage d’Arous

Parmi la clientèle qui séjourna alors au Red Sea Diving Resort, on trouvait des membres de l’armée égyptienne, un groupe de commandos britanniques des SAS, plusieurs diplomates basés à Khartoum, des officiels soudanais… dont évidemment aucun ne se doutait de l’identité de leurs hôtes. Financièrement, le village de vacances d’Arous avait trouvé sa rentabilité, permettant de rembourser le Mossad de sa mise de fonds initiale pour la location du lieu. Une part des recettes fut même utilisée pour acheter ou louer les camions qui servirent aux exfiltrations.

L’opération d’exfiltration aéroportée se mettait en place. L’armée de l’air israélienne localisa un terrain d’aviation abandonné proche de la côte, utilisé lors de la Seconde guerre mondiale par la RAF. En mai 1982, le premier Hercules, avec à son bord des commandos israéliens, effectue un atterrissage nocturne. « La plupart des Juifs éthiopiens n’avaient jamais vu de camions de leur vie, alors imaginez le choc qu’ils éprouvèrent à la vue de ces commandos équipés pour la vision nocturne, des genres d’aliens émettant des rayons verts, les guidant vers un énorme avion-cargo dans lequel ils étaient effrayés de monter !  » se rappelle Dani.

carte Arous Jewpop

Après deux exfiltrations aéroportées, le Mossad découvre que les autorités soudanaises ont eu vent de l’opération et préparent une embuscade. L’équipe d’agents est alors chargée de trouver un autre terrain d’atterrissage. Ils identifient plusieurs sites près du camp de Gedaref, qui présentent l’avantage de réduire considérablement le temps de trajet pour transporter les réfugiés, en moins de deux heures de route. Mais en guise de “terrain d’atterrissage”, selon l’un des agents, il s’agissait plutôt d’un “morceau de désert”… « La signalisation des bandes d’atterrissage était quasi-impossible à réaliser, nous avions seulement une dizaine de lampes infrarouges et le pilote du C130 devait se repérer sans navigation, en pleine obscurité… » explique-t-il, soulignant qu’ « à côté, le raid d’Entebbe, c’était du gâteau côté vol et atterrissage…» Ce seront finalement 17 évacuations aéroportées qui seront coordonnées par les agents du Red Sea Diving Resort.

Le président soudanais Nimeiri Jewpop

Jaafar Nimeiri

Fin 1984, la famine sévit au Soudan. Le Mossad décide d’accélerer le tempo. Avec la collaboration du gouvernement américain et après avoir grassement soudoyé le président soudanais Jaafar Nimeiri, ce dernier donne son accord pour le départ des réfugiés Juifs éthiopiens, via l’aéroport de Khartoum vers l’Europe. À la condition que l’accord reste secret, Nimeiri voulant éviter que ses partenaires du monde arabe n’apprennent sa collaboration avec l’ennemi israélien. Ce sera l’“Opération Moïse”, qui verra 6 380 réfugiés quitter le Soudan dans 28 avions affrétés par un juif belge, propriétaire d’une compagnie aérienne. Ils atterrirent à Bruxelles, d’où ils volèrent ensuite vers Israël.

L’événement ne fut pas divulgué par la presse israélienne, soumise à la censure militaire pour cette opération, mais l’info fuita. Le 5 janvier 1985, les médias du monde entier diffusent l’information, le Soudan annule alors immédiatement les vols affrétés pour les Beta Israel. Nimeiri dément publiquement toute implication, dénonçant un “complot éthiopien-sioniste”. Deux mois plus tard, à la suite d’une intervention directe du vice-président américain George Bush, le président soudanais autorise les 492 Juifs éthiopiens encore bloqués au Soudan par l’interruption de l’Opération Moïse à quitter le pays, de l’aéroport de Khartoum pour l’Europe, Nimeiri exigeant que le vol ne soit pas direct vers Israël.

Arous resort Jewpop

Un pick-up chargé de matériel de plongée sur le site d’Arous

Le Mossad continuera d’exploiter le Red Sea Diving Resort comme couverture. Malgré l’arrêt des opérations d’exfiltrations, les agents poursuivirent leurs activités hôtelières, le Mossad n’hésitant pas à envoyer sur place plusieurs autres agents au moment des vacances de Pâques, pic de fréquentation du lieu, pour venir aider leurs camarades. Mais le contexte politique au Soudan était en train d’évoluer… En mars, des manifestations d’opposants à Nimeiri se déroulent à Khartoum. Les événements s’enveniment, et le 6 avril 1985, un putsch militaire fomenté par des officiers soudanais destitue Nimeiri. La situation devient alors menaçante pour les activités du Mossad dans le pays.

La nouvelle junte militaire en place veut donner des gages à ses alliés du monde arabe en éliminant toute intrusion d’agents du Mossad au Soudan, réelle ou supposée… Consciente de la situation, la direction de l’agence décide d’évacuer le Red Sea Diving Resort après les vacances de Pâques, misant sur le fait que les Soudanais ne tenteront rien en présence de nombreux touristes. Le moment venu, l’équipe d’agents informe ses employés de leur départ, pour quelques jours, leur expliquant qu’ils vont chercher de nouveaux spots de plongée.  « Six d’entre nous quittèrent Arous dans deux véhicules à la tombée de la nuit » raconte l’un des agents, qui tient également à rester anonyme lorsque Raffi Berg l’interviewe. « Un C130 nous attendait sur l’une des pistes d’atterrissage que nous n’avions jamais utilisé, nous sommes rentrés au pays.»

« Il y avait encore des touristes dans le resort » poursuit-il. « Ils ont du se réveiller en se retrouvant seuls dans le désert… Les employés de l’hôtel étaient encore là, mais plus personne d’autre. Le moniteur de plongée, la manager, les “européens” de l’équipe… tous avaient disparu.» Lorsque le C130 atterrit sur une base militaire près de Tel-Aviv, les agents du Mossad quittèrent les lieux dans les même véhicules soudanais qui les avaient conduits vers la piste désertique d’où ils s’envolèrent pour Israël. Après leur départ, le site d’Arous ferma.

Ferede Aklum à Jérusalem Jewpop

Ferede Aklum (à gauche) à Jérusalem, au Mur des lamentations

Durant les 6 années qui suivirent, d’autres opérations d’exfiltrations se déroulèrent, permettant à près de 18 000 Beta Israel de démarrer une nouvelle vie en Israël. Ferede Aklum, quant à lui, sera exfiltré en 1980, sa vie étant menacée par la police secrète soudanaise, au courant de ses activités. À sa mort en 2009, les dirigeants du Mossad assistèrent à ses funérailles en compagnie de milliers d’Israéliens d’origine éthiopienne. Il était pour eux – et reste encore aujourd’hui – considéré comme un héros national.

« C’était un frère pour moi » confie Dani. « Sans lui, et sans le courage des Juifs éthiopiens, rien de tout cela n’aurait été possible. Nous étions comme les “deux doigts de la main”, l’un était ce vieux rêve des Beta Israel de retour à Jérusalem, l’autre était cette volonté d’Israéliens venus pour les aider à réaliser ce rêve. C’est cette fusion qui nous a donné la force de réussir ces opérations, c’est la raison pour laquelle nous n’avons jamais abandonné.»

Alain Granat, d’après le livre de Raffi Berg Red Sea Spies : The True Story of Mossad’s Fake Diving Resort et l’article de Raffi Berg publié sur le site de la BBC
Lire l’interview de Raffi Berg publiée sur le site Fathom

La bande-annonce du film Operation Brothers de Gideon Raff

© photos : Raffi Berg / BBC / AAEJ Archives / Manuel Cruz (Operation Brothers) / DR

Article publié le 7 juin 2011. Tous droits de reproduction et de représentation réservés © 2019 Jewpop

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