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Rafle du Vel d'Hiv : chronique d'un crime programmé

18 minutes de lecture

 

En plein été, sur ordre des Allemands, la police française arrête 13 152 Juifs. Une tache sur l’honneur de la France. Une tragédie.

 

Le 11 juin 1942, le SS Dannecker, responsable de la répression antijuive en France, est chargé, par ses supérieurs, de l’étape française de la « solution finale », l’extermination des Juifs. Tout est prêt : depuis octobre 1940, grâce à la rigueur de l’administration française, un fichier recense 330 000 Juifs dans le pays, parmi lesquels 180 000 de nationalité étrangère ou apatrides que la loi du 4 octobre 1940 autorise à arrêter. On connaît leurs noms, âges, adresses.

 

Ainsi, 149 734 vivaient à Paris au début de l’Occupation, parmi lesquels 85 664 Français. Depuis le 8 juin 1942, une ordonnance allemande les oblige à porter solidement cousue à leur veste une étoile jaune qu’ils ont pu se procurer au commissariat en trois exemplaires contre un point de carte textile.

 

En quelques jours, leurs conditions de vie se sont considérablement dégradées. Déjà, ils n’avaient plus le droit d’exercer certaines professions, comme celle de professeur ou de journaliste. Avocats, médecins, étudiants tombaient sous le coup d’un numerus clausus. La moitié de la population juive se trouve sans activité professionnelle. Bientôt, les lieux publics, théâtres, cinémas, restaurants, bibliothèques, stades, jardins, leur sont interdits, comme certains ­autobus et la plupart des wagons du métro. Ils n’ont plus le droit de se présenter chez les commerçants sauf après tout le monde, de 15 heures à 16 heures, quand les maigres étals sont définitivement vides. Pourtant, ils ignorent qu’ils n’ont pas encore connu le pire.

 

L’ogre réclame 100 000 Juifs, y compris en zone libre

 

Il y a eu à cette date en France 9 000 hommes juifs déportés, toujours en représailles. Brusquement, l’ogre en réclame 100 000 : 50 000 en zone libre, où il n’est pourtant pas censé imposer sa loi, 50 000 en zone occupée, parmi lesquels la moitié de Parisiens. Ils ne seront ni otages ni coupables, seulement juifs. Pour eux, « l’évacuation vers l’Est », le nouvel État qui leur est prétendument réservé, est organisée : elle se fera par trois convois de 1 000 places par semaine, facturés à l’État français 700 000 reichsmarks (14 millions de francs) chacun.

 

Laval, chef du gouvernement, est convoqué à l’ambassade. En matière d’antisémitisme, Vichy a toujours prouvé sa bonne volonté, mais les vainqueurs en réclament davantage. L’amiral Darlan, qui a refusé de signer la loi imposant les étoiles jaunes en zone libre, a été renvoyé, ainsi que Xavier Vallat, remplacé par Louis Darquier de Pellepoix au Commissariat aux questions juives.

 

René Bousquet JewPop

 

Quant à la police française, elle est passée sous la coupe d’un nouveau secrétaire général, René Bousquet, qui a présenté, en juin 1942, ses offres de service au général Oberg, chef des SS et de la police en France, pour le persuader de ne pas démanteler cette institution : « La police française a sans doute ses défauts, mais elle a aussi ses qualités. Je suis persuadé que, réorganisée sur des bases nouvelles et énergiquement dirigée, elle est susceptible de rendre les plus grands services. Déjà, dans de nombreuses affaires, vous avez pu constater son activité et l’efficacité de son action. Je suis certain qu’elle peut faire davantage encore. »

 

Pourtant, cette fois, la machine à collaborer s’enraye. Le 30 juin, Dannecker dénonce « l’attitude hésitante et souvent hostile des autorités françaises à l’égard de la solution des problèmes juifs ». Laval refuse de donner ses ressortissants. Il refuse aussi qu’en zone occupée la police française (30 000 hommes à Paris) soit engagée dans les arrestations. Or, les gestapistes allemands ne sont que quelques centaines. Comment pourraient-ils procéder avec la même efficacité ?

 

Trois jours plus tard, l’accord est trouvé. Un rédacteur note, le 3 juillet, des propos de Laval sur un coin de dossier : « Il faut distinguer entre Juifs français et déchets expédiés par les ­Allemands eux-mêmes. L’intention du gouvernement allemand serait de faire un État juif à l’est de l’Europe. Je ne serais pas déshonoré si j’expédiais un jour, vers cet État juif, les innombrables Juifs étrangers qui sont en France. »

 

Technocrate froid, compétent, ambitieux, René Bousquet a échangé les services des policiers contre la protection des Français juifs. L’horizon de ses principes se borne au respect de la souveraineté nationale. Désormais, la police vichyste traquera sans merci les communistes et les juifs, étrangers ou apatrides, en zone occupée mais aussi en zone libre où, le 26 août 1942, elle procédera à 6 500 arrestations. Elle y gagnera de ne plus avoir à désigner des otages en cas d’attentat, et peut-être aussi… les très enviées cartes de ravitaillement, catégorie « travailleurs de force ».

 

Quatre mille cinq cents policiers, qualifiés « agents capteurs », sont ainsi requis pour la grande rafle. Ils iront par deux, un inspecteur accompagné d’un agent en uniforme. Et dans leurs mains, les copies de quelque 22 000 bristols rose et beige du fichier Tulard, aujourd’hui conservées au Mémorial de la Shoah, à Paris. Ordre leur est donné de ne pas discuter du bien-fondé des arrestations, de ne pas confier les enfants aux voisins, mais seulement les chats et les chiens, et de vérifier la fermeture des compteurs d’eau, de gaz et d’électricité. La rafle est lancée le 16 juillet 1942 à 4 heures du matin, elle se poursuivra le 17.

 
 

On ignore que les Allemands veulent s’en prendre aux vieillards, aux femmes, aux enfants

 
 

Tracts, confidences, rumeurs, cette nuit-là beaucoup d’hommes choisiront de ne pas dormir chez eux. On sait que les Allemands cherchent de la main-d’œuvre pour leurs usines, en Allemagne ; on ignore qu’ils veulent s’en prendre aux vieillards, aux femmes, aux enfants… En fait, c’est Laval, dans « une intention d’humanité », qui leur a demandé que les enfants de moins de 15 ans soient emmenés avec leur mère.

 

Une première répartition a été opérée dans des écoles, des salles de spectacle, avec l’aide de militants du PPF, le parti de Jacques Doriot. Cinquante bus à plate-forme, de ceux qu’on attrape au vol sur les avenues, sont utilisés pour acheminer les adultes isolés vers « la tour aux Juifs », Drancy, et les familles vers le Vel’d’Hiv’, haut lieu de la course cycliste. Plus de 8 000 personnes vont y attendre de quatre à sept jours, dans un chaos hallucinant. Seuls les malades peuvent s’allonger en bas, sur la pelouse. La moitié des cabinets sont bouchés. On dit que les Allemands ont coupé l’eau.

 

« Il semble que ce soient les SS qui aient pris le commandement de la France », note la jeune Hélène Berr dans son journal. Une assistante sociale se plaint à la préfecture (18 juillet) : « Les Juifs commencent à réagir. Femmes : crises d’épilepsie, crises nerveuses. Enfants malades. Tinettes bouchées. Prennent à partie la police française. État d’esprit mauvais. Les nouilles ne sont pas arrivées. Pas d’eau. Pas assez de pain. »

 

L’administration a mis toute son énergie à remplir des fiches, elle n’a rien prévu pour l’accueil de ceux qu’elle interne. Certains s’évadent. Les Allemands se plaignent. Darquier de Pellepoix doit s’expliquer, il manque 8 848 personnes dans les comptes : « Si, le premier jour, les arrestations se sont déroulées de ­façon à peu près normale, le nombre des absents, parmi les individus à arrêter, représentait, le deuxième jour, 66 %. »

 

 

L’évacuation du Vel’d’Hiv’ commence le 19 juillet et s’achèvera le 22. Parmi les 4 115 enfants pris au piège, la petite Annette Muller, 9 ans, se retrouve avec sa mère et son frère au camp de Beaune-la-Rolande, près d’Orléans, baraque 11. Un numéro écrit à côté du nom de sa mère dans la liste du convoi du 7 août 1942, « partie pour Pitchipoï »… Annette se retrouvera, seule avec son frère, à Drancy, d’où ils seront renvoyés à l’« asile juif » de la rue Lamarck.

 

Dans « Le calendrier de la déportation. La Shoah en France » (éd. Fayard), Serge Klarsfeld publie des lettres retrouvées dans les archives de l’administration après la grande rafle : un ancien combattant, mutilé de la guerre de 1914, qui cherche ses neveux ; un autre, sa femme ; une jeune mère, décorée de la médaille d’honneur de la famille française, qui demande qu’on libère son mari pour qu’il puisse embrasser sa dernière-née, qu’il ne connaît pas.

 

Ou Nadja, demeurant rue Francœur, dans le XVIIIe, internée à Drancy alors qu’elle a la charge de ses quatre frères et sœurs orphelins : « Nous avons tous reçu une éducation essentiellement française, morale et spirituelle. […] N’ayant pas connu la Russie, mon pays d’origine, j’ai voué à la France, patrie de mon cœur et de mon esprit, toute la reconnaissance, toute la ferveur et l’attachement que l’on peut porter à ceux qui vous ont recueillie et aimée. En dehors du souci de l’éducation inachevée de mes petits dont je suis responsable, la déportation serait, pour moi, non pas un rapatriement mais un douloureux exil. » Elle montera dans le convoi du 30 septembre 1942.

 
 

L’opinion publique heurtée par la séparation des enfants de leurs parents

 
 

Cette seule année 1942, qui verra la déportation de 42 000 Juifs de France, fera comme un coup de tonnerre sur la grisaille de l’Occupation, elle réveillera des consciences. Une note de la préfecture de police, datée du 17 juillet, évoque « le trouble de l’opinion publique. […] C’est cette séparation des enfants de leurs parents qui touche le plus les masses françaises, et provoque des réactions qui se traduisent par des critiques sévères à l’égard du gouvernement et des autorités occupantes ». Les cardinaux et les archevêques protestent. Mais, au pasteur Boegner qui implore d’« imposer des mesures indispensables pour que la France ne s’inflige pas à elle-même une défaite morale dont le poids serait incalculable », Pétain ne répond pas et Laval répète : « Je ne veux plus un seul Juif étranger en France. »

 

Certains sont bouleversés et s’engagent, d’autres s’en fichent. Comme cet homme dont on a retrouvé la plainte au Commissariat aux questions juives : « Des milliers de Juifs ont été envoyés dans des camps de concentration […] et je m’en moque. Mais j’avais donné à réparer deux paires de chaussures presque neuves à un petit cordonnier de la rue Lemercier dont je ne savais rien, si ce n’est qu’il travaillait fort bien. Quand je suis allé chercher ces chaussures, j’ai trouvé la porte fermée. »

 

La petite Annette Muller a été sauvée grâce à une religieuse à cornette, sœur Clotilde, mais elle n’a jamais revu sa mère. Bien après la guerre, en 1948, elle est allée voir « Oliver Twist » au cinéma avec son frère. Il y a un personnage de méchant Juif dans l’histoire. A la sortie, une spectatrice s’en est prise à son frère : « Sale petit youpin pourri ! Espèce de nez crochu, on aurait dû tous vous faire cramer ! » « C’était une femme sensible, écrit Annette dans ses Mémoires, les malheurs d’Oliver Twist l’avaient mise hors d’elle. » Elle avait fait sa communion et portait une médaille de la Sainte Vierge, mais elle avait gardé son humour juif, celui qui naît parmi les larmes.

 

Danièle Georget

 

Enquête Rose-Laure Bendavid

 

Article publié dans Paris-Match le 16 juillet 2012

 
Voir également les témoignages de deux rescapées de la rafle du Vel d’Hiv, Sarah et Esther, filmées par Sophie Human dans le cadre de son projet documentaire Les Derniers
 

© photos : DR

Tous droits de reproduction et de représentation réservés © 2017 Paris-Match

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2 Comments

  1. Oups!!! Un ami à l’œil acéré me fait remarquer que cette photo n’a rien à voir avec la rafle. Il s’agit bien du Vel’ d’Hiv, mais pendant une course cycliste : bien que flous, on distingue les coureurs sur la piste !

  2. hello, 1) de quelle photo parles-tu?
    Que sont devenus les Juifs étrangers qui vivaient en France à ce moment là?
    Est-on sûrs que les rafles n’ont eues lieu qu’à Paris?

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