Elle a beau avoir éclaté il y a cent vingt-cinq ans, elle est encore dans tous les esprits. Tariq Ramadan, mis en examen pour viols, se présente sans vergogne comme le nouvel Alfred Dreyfus, tandis que Roman Polanski consacre un film à l’Affaire, primé à la Mostra de Venise, qui sortira sur les écrans le 13 novembre. Tout cela sans compter l’ouvrage de l’historien Gérard Noiriel, qui compare, dans son nouvel ouvrage Le Venin dans la plume (à paraître ce jeudi 12 septembre) Eric Zemmour à Edouard Drumont, personnage clé de l’histoire.
C’est dans ce contexte que paraît le livre d’Alain Pagès sur l’Affaire Dreyfus. Dans chacun des courts chapitres d’une dizaine de pages, l’universitaire répond à la question qui sert de titre à ladite section de l’ouvrage. C’est un livre que l’on peut lire dans le désordre et c’est l’une de ses qualités : « L’accusation possédait-elle des preuves ? », « Alfred Dreyfus a-t-il été défendu par un “syndicat juif” ? », « Les socialistes ont-ils été dreyfusards ? », « Édouard Drumont a-t-il inventé l’antisémitisme ? » ou encore « Zola fut-il victime de son engagement ? », sont quelques unes des questions auxquelles l’auteur répond avec une fine connaissance de l’époque.
L’« Affaire », avec un « A » majuscule. Le mot est lancé. Elle commence donc en 1894. Et apparemment, elle n’a pas fini de travailler les esprits. C’est Édouard Drumont qui publie cette histoire en Une de son journal, La Libre Parole le 1er novembre 1894, sous le titre : « Haute trahison ». Le capitaine Dreyfus, dont le nom est cité dans l’article, est déclaré coupable (pas présumé, mais coupable) d’avoir transmis des secrets militaires à l’ennemi, comprenez l’Allemagne. Évidemment, tout est faux.
Ce qui étonne, comme l’explique Alain Pagès, c’est qu’il s’agissait « d’une simple affaire d’espionnage qui pouvait être comparée à plusieurs affaires du même type dont la presse avait parlé (…) mais sans leur accorder une attention particulière ». Sauf que voilà, le capitaine Alfred Dreyfus est juif. Et cela, Edouard Drumont l’antisémite ne le souffre pas. Son article met le feu aux poudres. L’homme s’était déjà fait connaître pour son pamphlet antisémite La France juive, un pavé de 1200 pages en deux tomes paru en 1886. Son ombre planera sur les débats. Pire, Drumont sera le centre de gravité de ceux-ci. Un jeune poète courageux, d’origine juive, Bernard Lazare, tentera alors de se dresser contre lui.
Le journal de Drumont va lancer un concours absolument impensable et abject dont le but est de trouver des moyens d’anéantir « la puissance juive ». Bernard Lazare, pour détruire de l’intérieur cette funeste entreprise, va se porter candidat comme juré pour le prix. Il sera accepté puis finalement évincé, Drumont et ses sbires ne supportant pas la contradiction qu’il apportera. Finalement, « deux prêtres obtinrent les premiers prix, attribués ex-aequo » apprend-on dans le livre d’Alain Pagès.
Bernard Lazare, lui, va continuer à s’opposer au puissant et nuisible Drumont, allant même jusqu’à l’affronter en duel pour défendre l’honneur du capitaine Dreyfus injustement accusé. C’est l’un des autres mérites du livre que de faire revivre toute une époque avec ses acteurs, ses polémistes. L’Affaire permettra à certains d’en sortir grandis. Dans le désordre, on trouve parmi ces héros : Zola, Clemenceau, Bernard Lazare, donc, et le commandant Picquart. Nommé chef du renseignement militaire, cet officier va découvrir le nom du vrai traître : Estherhazy. Picquart payera cher pour avoir tenté d’ouvrir les yeux de ses chefs et de l’armée en général. Il sera écarté, avant d’être finalement rappelé par Clemenceau au ministère de la Guerre.
L’ouvrage démontre enfin, si besoin était, que les preuves de la culpabilité de l’officier Dreyfus étaient grossièrement falsifiées. Il faudra deux procès et deux annulations en Cour de cassation pour rétablir l’innocence de Dreyfus. L’Affaire aura duré douze ans. Entre-temps, l’officier aura été humilié publiquement lors d’une cérémonie de dégradation dans la grande cour de l’École militaire et sera envoyé au bagne en Guyane. L’opinion publique se sera déchirée entre dreyfusards et antidreyfusards. Et Alain Pagès de conclure sur ces mots parfaits de Charles Péguy : « Plus cette affaire est finie, plus il est évident qu’elle ne finira jamais. »
Alain Pagès est professeur émérite de l’université Paris III, Sorbonne nouvelle. Il a consacré ses recherches à Émile Zola et à l’Affaire Dreyfus, et a publié de nombreux ouvrages sur ces sujets.
Commander L’Affaire Dreyfus d’Alain Pagès (éditions Perrin, collection “Vérités et légendes” à paraître ce jeudi 12 septembre, 288 pages, 13 euros) sur le site LesLibraires.fr
© visuels : cartes postales collection privée Jewpop / Éditions Perrin / DR
Article publié le 12 septembre 2019. Tous droits de reproduction et de représentation réservés © 2019 Jewpop
Alfred Dreyfus a servi de fusible. Il s’agissait, selon des historiens, de sauver le chef des armées de l’époque, affligé d’une maitresse d’origine autrichienne, qui devait lui soutirer quelques informations. Pas très glorieux tout ça..