Ulysses Grant Guerre de Secession Pourim JewPop
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Un conte de Pourim américain

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Comme le Livre d’Esther*, ce récit raconte comment des Juifs coururent un grand danger et comment ils furent sauvés. Sauf que ce n’est pas une légende. Cette histoire se déroula vraiment aux États-Unis, durant la Guerre de Sécession.
 

“Quand la guerre éclata, les Juifs s’engagèrent des deux côtés”

 
En ce temps-là, une guerre dévastait les États-Unis, la « goldène médinè », comme on dit en yiddish, « le pays doré ». Une terrible guerre civile entre les États du Sud, qui défendaient l’esclavage, et ceux du Nord qui le combattaient. Elle avait commencé en 1861 et lorsque le Nord finit par gagner, en 1865, 640.000 hommes étaient morts. À l’époque, il y avait déjà des Juifs aux États-Unis bien sûr, mais très peu : 50.000 à peine dont un bon tiers dans le Sud. Pour bien comprendre l’histoire, il faut préciser que si les Sudistes considéraient les Noirs comme des « êtres inférieurs », ils ne traitaient pas plus mal les autres minorités que les gens du Nord. Quand la guerre éclata, les Juifs s’engagèrent donc des deux côtés. À peu près 7.000 soldats juifs se battirent pour le Nord et 2.000 pour le Sud. On racontera une autre fois les hauts faits du général juif Abraham Myers ou le rôle important du sudiste Judah Benjamin comme ministre de la Guerre puis des Affaires étrangères
 

 
Mais, dans cette histoire-ci, c’est le général nordiste Ulysses S. Grant qui joue le rôle principal. C’est lui qui, par son « Ordre général n°11» de décembre 1862, déclencha le drame. Et ce n’était pas n’importe quel général que ce Grant. C’était ni plus ni moins que le meilleur stratège des armées du Nord. Par la suite, de 1869 à 1877, il fut aussi le 18e Président des États-Unis, mais c’est encore une autre histoire. Et donc, Grant émit son « Ordre Général n°11 ». Ce dernier concernait le Kentucky, le Tennessee et le Mississippi, trois États du Sud qui venaient d’être occupés (ou délivrés) par les armées du Nord. Et qu’ordonnait Grant ? À peu près ce dont rêvait Aman, le méchant ministre de l’histoire d’Esther.
« Comme, écrivait le général, les Juifs, en tant que classe, violent toutes les règles de commerce établies par le Département du Trésor (…), j’ordonne qu’ils soient tous expulsés dans les vingt-quatre heures » !
 
On imagine la frayeur et l’indignation des Juifs. Certes, un petit nombre d’entre eux participaient à la « violation des règles de commerce » autrement dit, à la contrebande de coton provenant du Sud et très demandé au Nord. Mais si on voulait mettre fin à ce trafic, c’est la moitié de la population qu’il aurait fallu expulser et pas seulement une poignée de Juifs. En fait, il se révéla plus tard que Grant avait proclamé cet ordre pour une raison très précise.
 

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Ulysses S. Grant

 
 

“La protection de père Abraham”

 
Quelques mois plus tôt, son père, Jesse R. Grant était venu le voir. Des Juifs fabricants de vêtements lui avaient promis 25% de leurs bénéfices s’il obtenait de son général de fils des passe-droits pour l’achat de coton. Grant fut bien entendu furieux de voir son vieux père « piégé dans une telle entreprise indigne », comme il l’écrivit à son épouse. De là cet ordre qui s’en prenait à tous pour la crapulerie de quelques-uns… Bien sûr, les petites communautés juives concernées envoyèrent télégramme sur télégramme au Président Abraham Lincoln pour protester. Mais ceux-ci n’arrivèrent jamais jusqu’à lui. De toute façon, il n’aurait pas eu le temps de les lire. À l’époque, il rédigeait l’un des textes les plus importants de l’histoire des États-Unis : la Proclamation d’émancipation, qui donnait la liberté à tous les esclaves du pays. Face à ce silence, César J. Kaskel devint le Mardochée de cette histoire.
 

 
Pourtant ce n’était qu’un petit marchand de la petite ville de Paducah, dans le Kentucky. Mais il se trouvait aussi être l’ami de John A. Gurley. Lequel était député au Congrès pour le parti républicain (celui du Président). On devine la suite. Il obtint un rendez-vous d’urgence avec Lincoln. Or à l’époque – aujourd’hui encore d’ailleurs – les Américains protestants baignaient dans la culture de l’Ancien Testament. Le Président lui-même ne se prénommait pas « Abraham » par hasard.
C’est donc tout naturellement que se déroula la conversation suivante :  – Ainsi, commença le Président, « on veut chasser les enfants d’Israël de la bienheureuse terre de Canaan ? Oui, rétorqua Kaskel, c’est pourquoi nous sommes venu implorer la protection de père Abraham ».
« Et cette protection », répartit Lincoln, « ils y ont droit et ils vont l’avoir immédiatement ». Sur ce, il convoqua son Chef d’état-major, le général Henry Halleck et lui ordonna de révoquer l’ordre. Lequel, vu le désordre des communications n’avait encore été appliqué nulle part.
 

 
Quelques années plus tard, le général Grant s’excusa publiquement auprès des Juifs pour cette erreur : « Je n’ai aucun préjugé contre quelque race ou religion que ce soit. Et je veux que chacun soit jugé selon son propre mérite ». Puis, durant sa présidence, Grant défendit les droits des minorités. Il plaça aussi dans son administration plus de Juifs que tous ses prédécesseurs réunis. Aussi, quand il mourut d’un cancer, en 1885, le kaddish (la prière des morts), fut-il récité à sa mémoire dans de nombreuses synagogues.
 
Ouri Wesoly
Article publié en mars 2012 sur le site du CCLJ, reproduit avec l’aimable autorisation de son auteur.
*Le Livre d’Esther raconte l’affrontement entre Haman, le méchant ministre du Roi Assuérus de Perse et son conseiller, le sage Mardochée. Avec l’aide de sa nièce Esther, ce dernier parvint à empêcher Haman de chasser et massacrer tous les Juifs du pays.  
Cette histoire a paru dans le journal new-yorkais « The Jewish Week » http://www.thejewishweek.com/news/national/gen_grants_uncivil_war_against_jews
 

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