Quand tu te souviens de ta mémé qui, la larme à l’œil, te disait « Mais tu ne m’aimes pas ? » parce que tu n’avais plus faim pour son couscous,
Quand tu assistes, consternée, à l’agression d’un buffet de mariage par une meute de loups en calottes affamés,
Quand ta tante te trouve, je cite, « rachitique », alors que Dieu bénisse tu te portes bien,
Quand tu penses que certains devraient poser une Mezouza* dans leur frigo, ce lieu saint,
Quand le premier repas solide de la vie de ta nièce c’est des boulettes,
Tu te dis que la problématique centrale des juifs aujourd’hui ce n’est pas l’antisémitisme c’est la bouffe !
“Quand tu grandis dans une famille dans laquelle « Je t’ai fait à manger » équivaut à « Je t’aime »”
Avril 2017, en farfouillant dans tes vieilles affaires, tu retombes sur des photos de toi plus jeune et tu constates que depuis, tel un doudou maléfique, une farandole de bourrelets est insidieusement venue te tenir compagnie. Tu fantasmes sur cette époque bénie d’alors et tu te demandes comment, petit à petit, tu as réussi à atterrir dans la case au nom glamour « Surcharge pondérale », à bloquer avec tes hanches le strapontin d’à côté dans le métro, à prendre 3 tailles, une pointure de plus et à recevoir des remarques comme « Mais heureusement tu as un visage fin ! » « Avec 6-7 Kilos en moins tu serais canon ! » « Au moins ça masque tes rides ! » et aussi « Tu sais les hommes préfèrent les rondes ! » (#GrosMythoDeConsolation). Si tu habitais chez les Indiens, on t’appellerait Peau Orange. Une corde, vite !
Quand tu grandis dans une famille dans laquelle « Je t’ai fait à manger » équivaut à « Je t’aime », tu réponds toujours « moi aussi » en te resservant avec appétit ! Tu n’en es plus à ton premier régime… Tu as entendu plein de phrases énervantes comme « Mais ce n’est qu’une question de volonté ! » « C’est dans la tête ! » (Alors pourquoi ça se voit sur les photos ?!). Tu connais par cœur cette alternance entre périodes de famine et périodes d’abondance. Tu te retiens la semaine et tu fais un hold-up dans ton placard à gâteaux le week-end (Et le 7ème jour il se goinfra…). Tu fais le plein de cochonneries (le comble pour des juifs !) jusqu’au prochain plan de restriction alimentaire. Fébrile en attendant le verdict tous les matins, tu soupçonnes ta balance d’être une perverse narcissique qui te manipule pour te détruire mentalement. Pour passer de la patate au petit poids, tu as absolument tout testé : les régimes austères qui condamnent toute vie sociale, sont, qui plus est, inefficaces sur le long terme et te font perdre le goût de la vie, le régime Dukan (ne manger que des protéines) qui te donne des vertiges, une haleine fétide et une envie mortelle de M&M’s et enfin Weight Watchers « C’est combien de points une Mlouh’ia* ? 122 ?!!! Mais je n’en ai que 23 par jour ». Tu n’y comprends rien à tout ce bigmac ! C’est sans faim ! Tu commences à croire aux légendes « Si tu prends une cuillère de Nutella en buvant du Coca light, les effets s’annulent et tu ne grossis pas ! » Tu lis passionnément ce qu’ont écrit Cohen et Zermati…Si Sigmund, l’ashkénaze, est le père de la psychanalyse, il était évident que les pères de la nutrition seraient sépharades.
Ce qui est sociologiquement intéressant, c’est que tu suis sur Facebook et Instagram plusieurs coachs en Fitness et pour autant, se (re)mettre au sport c’est une jolie mais vaine idée qui rentre souvent par une de tes deux oreilles et qui en ressort aussi vite par l’autre. Oui ok tu es d’accord que bouger te ferait énormément de bien mais rien que de t’imaginer le faire, ça t’épuise déjà…Je ne veux pas vous inquiéter mais si on enlève les 2 premières lettres de SPORT et qu’on les remplace par un M, ça donne MORT ! Coïncidence ? Je ne pense pas. Tu as déjà dépensé 850€ dans un Club Med Gym en 2010 et tu y as été seulement 5 fois histoire de faire coucou. On ne t’y reprendra plus ! De toute façon, depuis que ton père t’a raconté que sa mère lui apportait des tartines de Pkeïla* pendant qu’il jouait au foot, tu as peur qu’il fasse pareil.
Le souci réel, c’est que dans ta culture n’importe quelle occasion est bonne pour manger : Le shabbat on mange, le nouvel an on mange, Hanoukka on mange, Pessah on mange (mal certes mais on mange), une bar-mitsva on mange, un mariage on mange, un enterrement on mange encore « Il est mort, Snif Snif ! Oh un fricassé ! ». En fait la bouffe est un satellite autour duquel gravitent en orbite plein de petits juifs se léchant les babines ! Tu as le sentiment que certaines règles n’existent que pour éviter l’extinction de notre peuple par l’obésité « Messieurs, l’heure est grave, notre peuple est victime d’une hyperphagie violente, réformons en profondeur cette religion et interdisons les crevettes à la mayonnaise, les pâtes Carbonara et les cordons bleus. Créons aussi 10 jours de diète forcée dans l’année. Imposons aux hommes la barbe pour cacher leur double menton et aux femmes des vêtements amples pour cacher la cellulite » #EmmanuelMakroud
Qu’est ce qui est jaune et qui attend ? De l’huile !
Il suffit d’aller dîner chez des tunisiens à Shabbat pour comprendre l’ampleur du problème, les prières on s’en fiche, on abrège, on fait des raccourcis et on se concentre très vite sur l’essentiel : le repas ! Un plat tunisien c’est facile, tu mets une tonne d’huile dans une marmite et après tu te demandes « Qu’est-ce que je vais bien pouvoir cuisiner ? » Navrée, tu observes ton oncle, le teint lipide, n’ayant d’yeux que pour le pot de harissa, se lécher les doigts un à un en mangeant de l’adam-H’out, en français la boutargue, des œufs de poissons méga salés dont le prix l’est autant : le caviar des tunisiens avec un verre de Boukha (eau-de-vie de figue) et picorant goulument des variantes et des navets.
Après le plat, place au dessert « Vers le diabète et l’au-delà ! » accompagné de son thé oriental, cerneaux de pignons sur un lit de croquants. Si tu veux te fondre dans le décor, tu ouvres le bouton de ton jean, tu avances tes jambes, tu t’enfonces dans ta chaise et tu déclares d’un ton nonchalant après un bon rototo « Sah’a ! Sur la toto, j’ai kiffé » (Traduction : Santé ! Je jure solennellement sur le livre saint de la Thora que j’ai réellement apprécié ce repas) Les Tunisiens n’ont qu’un Dieu : la Bouffe, qu’un temple : le frigidaire et qu’une règle « 5 Kemias & Zlabias par jour » (Et j’insiste sur le 5).
Bonjour, j’aimerais déposer plainte pour harcèlement alimentaire
Comment tu veux te sentir bien quand d’un côté, on te regarde avec un air « La pauvre, on va jamais la marier ! » et de l’autre « Mais tu manges rien ! Tu vas finir anorexique à l’hôpital ! » Et ces injonctions paradoxales ne s’arrêtent absolument jamais : « Prends du boulou* au chocolat avec ton café ! » Suivi de « J’ai lu dans Femme actuelle que pour maigrir il faut arrêter le sucre » « Tiens j’ai fait des caques* goûte » « Mon petit poisson, ne force pas trop sur les pistaches, c’est pas bon pour ce que tu as » « Ressers toi il faut finir » « Ma fille, il vaut mieux faire envie que pitié » « Il faut tenir toute la nuit, c’est dangereux sinon » STOOOOOPPPP !!! La phrase « je n’ai plus faim » a une cape d’invisibilité, on ne m’entend jamais « Je répète : Je n’ai plus faim ! » « Les carottes au cumin sont cuites ». Tu penses à te constituer partie civile avec les oies qu’on gave, tu les comprends tellement les malheureuses.
J’ai bien mangé, j’ai bien bu, j’ai la peau du ventre bien tendue, merci petit Jésus
Un jour, une amie bretonne m’a dit « Nous on mange moins que notre faim parce que la satiété met 20 minutes à arriver, et chez vous ? » « Nous, on attend d’exploser et on mange encore un peu pour être sûrs ». Devant la télé, tout te donne faim : Top Chef, Un dîner presque parfait, Le meilleur pâtissier, même Koh-Lanta t’ouvre l’appétit. Au restaurant, tu fais un massacre : tu éclates des beignets de poulet, tu engloutis les pommes de terre recouvertes de sauce sucrée, tu ne fais qu’une bouchée des croutons, tu éventres la corbeille à pain MAIS tu as un alibi : la présence de laitue sur le lieu du crime donc tu as mangé une salade, OUF ! Ta conscience est sauvée. Tu te goinfres encore parce que : « Il faut finir l’assiette » « Les Somaliens les pauvres » « Il ne faut pas gâcher » « Si je mange maintenant ces Smacks, je ne serai pas tentée plus tard » « Il faut faire plaisir à l’auteur du plat (qui te menace du regard) » « Je m’ennuie » « Je n’aurai pas faim plus tard (toute la semaine)» « J’ai déjà mangé une chips et donc ruiné mon régime, et donc foutu pour foutu autant fusiller le paquet (CQFD)». Même cet article te met l’eau à la bouche. Tu rêves d’une histoire d’amour avec un Mimoun qui te dirait comme à Christine dans Nos jours Heureux « Je pourrais te regarder manger pendant des heures, t’es belle quand tu manges ! »
Car il est écrit « Tu auras de l’embonpoint »
Rassure toi, rien n’est de ta faute, tu vis en permanence cette inquiétude séculaire d’une panse vide, des ères de privation bien intériorisées…et parfaitement extériorisées. Il suffit de voir l’état d’angoisse des juifs avant Kippour pour comprendre : une peur généralisée de mourir d’hypoglycémie. Le Hitchcock des juifs s’appelle « GLUCOSE ». Tu as besoin de libérer ces endorphines détenues dans leurs geôles fascistes et tu trouves ton salut dans les Pepito (D’ailleurs, si Hitler s’était appelé Pepito, les nazis auraient dit « Heil Pepito ! », mais je m’égare) Tu couvres tous tes soucis sous des pluies de mini Twix et tu appliques soigneusement la politique de l’autruche que tu pourrais manger aussi si elle était casher. Tu éprouves énormément de culpabilité quand tu engloutis une grosse pizza et pour te calmer, tu en commandes une deuxième.
Mais voilà qu’un beau jour, ou peut-être une nuit, tu es sortie de ton Égypte, tu as réussi à faire abdiquer ce déterminisme génétique et tu as commencé à perdre doucement mais surement tes kilos en trop, tu ne sais pas vraiment comment…Un petit chagrin d’amour t’a aidé à amorcer la descente et les compliments fusant, tu as gardé ta motivation pour continuer sur le chemin de la minceur. Tu as (re)trouvé de l’énergie, du plaisir à t’habiller même si ça t’a couté un rein de te racheter une garde-robe, tu as repris confiance en toi et surtout tu as continué à profiter de la vie en ne te privant de rien. Maintenant, vous attendez sagement, ton corps de déesse et toi (Attention Spoiler Alert) d’avoir la bague au doigt pour tout reprendre, car tu observes pieusement les traditions familiales et chez toi, de génération en génération, on ne parle jamais de ses sentiments, on dit « Va voir dans la cuisine ». L’amour est dans le frigo !
Myriam Berdah
*Mezouza : Petit boîtier fixé sur le linteau de la porte, contenant un parchemin supposé bénir l’endroit
*Mlouh’ia : Plat magique qui ne finit jamais, à éponger avec du pain italien
*Pkeïla : Plat tunisien à base d’huile et accessoirement d’épinards
**Boulou et Caques : Étouffe-chrétiens (Du coup aucun risque pour les autres ! #ComplotAmericanoSioniste)
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© photos : DR
Article publié le 18 février 2018. Tous droits de reproduction et de représentation réservés © 2020 Jewpop
Enorme ! ;))))
les photos sont vraiment splendides
La particularité de la pkeïla, c’est beaucoup plus sa couleur noire que sa teneur en huile qui doit être inférieure à la dose d’épinards nécessaire. Sinon, c’est une recette concoctée à partir des indices de cette page.
Auparavant, les juives tunisiennes portaient un saroual comme on le voit sur la photo.
On présentait à la jeune fille un saroual immense qu’on affichait les bras écartés et on lui disait : « Maintenant, il faut remplir ça ! »
Quand le saroual était rempli (la jeune fille pouvait le porter sans serrer le cordon de ceinture), tiens, prends encore un peu de ‘halwa, elle était bonne à marier.