Depuis que ma mère a appris qu’être à l’origine de 3 mariages ouvrait tout grand les portes du paradis, elle s’est mise en tête de me caser. Et tel un camelot à la Braderie de Lille, elle se dit que si elle a réussi à refourguer les tables gigogne toutes neuves (le fils du rabbin et le neveu de sa voisine), elle se dit que le service à thé à peine ébréché (moi) trouvera bien preneur, il suffit juste de prendre son mal en patience et de ne pas être trop difficile. La seule chose qu’elle n’avait pas prévu, c’est que Jean-Marc, c’est le genre à regarder l’étal mais pas à toucher.
Dimanche matin. 9h12. Je suis réveillée au téléphone par un mec qui hurle : « Allo ! Oui, ma mère est une amie de la vôtre. Elle m’a demandé de vous appeler. Il paraît que vous cherchez à vous marier. Alors voilà, je vous appelle, mais moi je suis avec quelqu’un, donc ça ne m’intéresse pas du tout ».
Moi : « Vous êtes Jean-Marc C. ? »
Lui : « Oui »
Moi : « Fallait faire comme moi. Ma mère m’a donné votre numéro et je vous ai pas appelé »
Lui : « Mais moi ma mère arrête pas de me demander si je vous ai appelé ».
Moi : « Faut faire comme moi, faut mentir. »
Lui : « C’est puéril. Le plus simple c’est qu’on se voit, on prend un café. Comme ça tout le monde est content ».
Moi : « Vous, votre maman, d’accord. Mais moi, j’y gagne quoi ? »
Lui : « Je suis directeur financier chez Marc Jacobs. Je peux vous avoir 30% ».
Dimanche 15h, me voilà au Sir Winston. Je l’attends en surfant sur mon téléphone sur le site Internet de Marc Jacobs. Vu mes finances, ce n’est pas 30% qu’il me faudrait mais 90% de réduction.
Jean-Marc entre et se plante devant moi. En 15 secondes, il décroche la médaille d’or du mec le plus beau qui soit rentré dans mon espace vital. Lunettes écailles, bronzage impeccable, un look tout droit sorti des pages mode de GQ, une barbe taillée au cordeau : j’en perds mon téléphone et me retrouve à quatre pattes sous la table basse pour le chercher, pendant qu’il regarde nerveusement sa Jaeger-LeCoultre bracelet métal. « C’est gentil d’avoir accepté de me voir » me dit-il en commandant « un nectar de mangue sans glaçon ».
Après l’avoir bien observé pendant une dizaine de minutes me raconter son diplôme d’HEC, ses stages à NY et sa découverte de la mode à Milan, je l’arrête d’un geste un peu agacé : « Pourquoi vous me racontez tout ça ? ».
Lui : « Pour être aimable. Pourquoi êtes-vous venue ? Je vous l’ai dit ce matin, je suis pris. »
Moi : « En règle générale, les mecs avec qui ma mère veut me caser me proposent d’aller manger chez Guichi, rue Myrha. Alors quand vous m’avez parlé du Sir Winston, j’avoue ça m’a intrigué. Sinon je suis aussi avec quelqu’un. Il habite en Belgique. Je ne sais pas trop où ça va nous mener mais on verra bien. C’est un garçon intéressant, pas votre genre de mec mais intéressant. »
Lui : « Pardon ? »
Moi : « Vous m’avez très bien compris. Vous êtes gay ! »
Lui : « Je ne suis pas gay ! »
Moi : « Vous êtes gay et pathétique. Bon, maintenant qu’on s’est vus et que je vous trouve encore plus gonflant qu’au téléphone, je vais y aller. »
En mettant mon manteau, je le rassure : « Ne vous inquiétez pas, je dirai rien ».
Je suis avenue d’Iéna sous la pluie quand je l’entends m’appeler à quelques mètres derrière moi. On finit par marcher sous son grand parapluie l’Oréal (ça ne s’invente pas).
Lui : « À quoi vous voyez que je suis gay ? »
Moi : « À tout, à rien. Je ne sais pas. Mais attends c’est pas grave d’ailleurs. Le truc que je trouve minable c’est qu’à ton âge t’assumes pas. »
Lui : « Tu ne connais pas ma mère. Elle est folle »
Moi : « On échange si tu veux. La mienne est over-folle »
Lui : « Je veux juste pouvoir être juif et gay. C’est trop demander ? »
Moi : « À mon avis, y a plus de chance qu’il y ait la paix au Proche-Orient et que le fils de Bibi Netanyahou épouse la petite-fille de Mahmoud Abbas. Mais c’est comme l’existence de Dieu, l’important j’imagine, c’est d’y croire ».
On parle de tout de rien. Depuis deux ans, il mange casher et fait shabbat. Il suit toutes les semaines des cours de pensée juive. Son mec est un producteur de musique anglais installé à Paris. Il n’est pas juif et ça crée des frictions dans leur couple. Je le regarde avec empathie et circonspection, il a autant de chance de se faire accepter par la communauté juive qu’un fils de rabbin de se lancer dans le commerce de la viande porcine. Il me parle de sa mère, de toutes les filles avec qui il a essayé quelque chose, de son envie d’aller vivre à Tel-Aviv. Je l’imagine à l’Agence juive en train d’expliquer au délégué : « Je ne veux pas fuir l’antisémitisme en France, mais l’homophobie des juifs de France ».
En passant devant l’affiche du film « De rouille et d’os », on soupire d’aise en cœur devant le torse de Mathias Schoenaerts. Quand je décide de rentrer chez moi, je ne peux m’empêcher de penser à tous ces juifs – hommes et femmes – contraints au célibat pour cacher leur homosexualité. Je regarde le ciel pleuvioter en revoyant tonton Miro, le frère cadet de ma mère.
– Célibataire sans enfant, ma mère disait « il est trop difficile ».
– Toujours bien habillé, elle justifiait « il est tailleur, manquerait plus qu’il soit mal fagoté ».
– Quand il est parti s’installer à Nice, ma mère a expliqué « le soleil de la Méditerranée lui manquait trop ».
– Et quand il est décédé, au cimetière, elle a remercié un monsieur qu’on n’avait jamais vu de s’être occupé de toutes les démarches.
Le soir même, je joue au jeu des 7 familles avec Solal, que je surquestionne sur « son amoureuse Lena ». Je sais c’est idiot, mais dans l’idéal je préférerais qu’il soit hétéro. Quand j’en suis à me demander ce qu’il y a de pire, qu’un jour il me présente son petit ami juif ou qu’il épouse une non-juive à l’église, ma mère m’appelle.
Elle : « Bon alors tu as rencontré Jean-Marc ? Mon dieu qu’il est beau, tu as vu. Vous allez vous revoir ? »
Moi : « Oui enfin le physique, c’est pas tout dans la vie. Et non je ne crois pas que je vais le revoir »
Elle : « Mais pourquoi ? Ah ça y est. Je sais, c’est toi qui as pas plu, c’est ça. »
The SefWoman
Ma philosophie se situe entre « A Kippour tout le monde pardonne, sauf moi » (Raymond Bettoun) et « Dieu n’existe pas, mais nous sommes son peuple » (Woody Allen)
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Virginie Guedj, aka The SefWoman, sera sur la scène du Petit Gymnase Théâtre du Gymnase Marie Bell à Paris les 4, 5 et 6 juin (20h) pour son One Woman Show « Libre ».
Réservations sur le site Billetreduc
© visuel : DR
Article publié le 18 juin 2012. Tous droits de reproduction et de représentation réservés © 2019 Jewpop
[…] Pas facile d'avoir une mère juive qui veut à tout prix vous caser. Encore moins facile d'être gay et d'avoir une mère juive qui veut à tout prix vous caser. Surtout quand on est déjà en couple mais dans le placard. Une tranche de vie (vue du côté de la fille hétéro qui rencontre le garçon homo avec qui sa mère aimerait la caser) à lire sur Jewpop. […]