Laura Laune blague basket juif Shoah JewPop
//

Laura Laune est-elle antisémite ?

12 minutes de lecture

Le processus est connu, il est désormais bien rôdé.
Étape 1 : Un artiste, journaliste, écrivain, sportif, créateur de mode, éditeur, ou peu importe quoi, dit ou écrit une grosse connerie sur les juifs, la Shoah ou Israël.
Étape 2 : Le microcosme des juifs de France commence à s’échauffer. Très vite, les réseaux sociaux communautaires juifs s’enflamment. On insulte, crie au scandale et bien entendu – injure suprême – on hurle à l’antisémitisme.
Étape 3 : Alerté par sa base, le Crif réagit immédiatement et tweete, tel un Donald Trump surexcité après une émission de CNN, pour dénoncer l’antisémitisme et réclamer le retrait immédiat de la publication, du programme ou demander la démission de la personne en question.
Étape 4 : Le ‘fauteur de troubles’ contre-attaque, fait profil bas ou s’excuse immédiatement. Peu importe sa réaction, dans tous les cas on passe à l’étape 5.
Étape 5 : Après concertation, et pour apaiser les tensions, le chef de service / responsable éditorial / directeur d’antenne (ou autre, choisissez) demande des excuses et renvoie / retire de la publication / déprogramme l’objet de la controverse.
Étape 6 : Les réseaux sociaux juifs se félicitent de cette grande victoire.
Étape 7 : Les soraliens, dieudonnistes, frontistes, fascistes, extrême-gauchistes, anti-sionistes, conspirationnistes… inondent les réseaux sociaux de leurs commentaires puants sur les juifs qui contrôlent tout et sur les politiques ou les puissants à la solde du Crif. Mais surtout (et c’est le plus gênant), de plus en plus de gens « normaux », habituellement modérés, se disent – qu’ils l’expriment publiquement ou non – que dans notre pays on peut se moquer de tout le monde, dire ou écrire ce qu’on veut, sauf lorsqu’il s’agit des juifs.
Étape 8 : L’antisémitisme – ou en tous cas l’idée antisémite selon laquelle les juifs ont un statut à part, contrôlent les médias et sont intouchables – progresse et s’insinue plus profondément dans la conscience (et dans l’inconscient) de notre nation.
 

COMMENTAIRES FACEBOOK LAURA LAUNE ANTISÉMITE JEWPOP

 

À tous les coups on perd

 
S’il faut le dire de manière simple, « à tous les coups on perd » ! Si on ne dit rien, alors on laisse prospérer la bête immonde. Si on parle, alors on gagne mais aussitôt on perd car on contribue à fortifier le terreau de l’antisémitisme. Tu gagnes, mais en fait tu perds. Aucune chance de s’en sortir. C’est une équation sans solution : tu te tais, tu perds ; tu parles, tu perds.
 
Il y aurait bien une troisième voie mais je n’ose pas l’écrire… Si je dis qu’il vaut mieux se focaliser sur nous-même et essayer de nous améliorer plutôt que de regarder ce que font les autres, alors on va me reprocher d’être « un barbu » ou un défaitiste. Si je dis qu’il n’existe pas de solution hors d’Israël, alors on va me traiter d’affreux sioniste qui renie ses frères de France qui, eux, veulent continuer le combat… Alors je me tais.
 

Laura-Laune-JewPop

 

Laura Laune est-elle antisémite ?

 
C’est donc à son tour d’être sur la sellette ce mois-ci (en attendant le prochain / la prochaine qui ne devrait pas tarder à arriver)… Après Bayard, qui retire de la vente un magazine pour enfants qui a écrit qu’Israël n’est pas un vrai pays aux yeux de certains autres États et après Gallimard, qui renonce provisoirement à publier les pamphlets antisémites de Céline, voici donc une humoriste qui est accusée d’antisémitisme pour avoir proférée dans son spectacle la blague suivante : «Quel est le point commun entre les Juifs et les baskets? On en trouve plus en 39 qu’en 45.»
 
Inutile de vérifier le parcours et l’histoire personnelle de l’humoriste, pas la peine de s’interroger sur le type d’humour qu’elle pratique, elle est immédiatement condamnée sur les réseaux sociaux juifs. « Pas drôle », « minable », « antisémite » etc, sont les insultes les plus courantes parmi d’autres que la décence m’empêche de reproduire ici. Oui, les mêmes qui postent habituellement « Si je vous dis le meilleur traiteur, vous me dites… » ou bien « Connaisseriez-vous un plombier qui soye pas un voleur pour aller chez ma copine qui a une fuite dans son tuyau de salle de bain ? » l’ont aussitôt et immédiatement déclarée coupable. Antisémite. Le mot est lâché…
 

 
Je suis d’une génération qui s’est éclaté de rire avec Coluche («Pour moi, les Blancs, les Français, les Noirs, les Arabes, les juifs… sont tous égaux. Non. T’as raison. Pas les juifs ! Attention, j’ai pas dit les juifs et les Arabes dans le même panier. Mais à part les juifs, tous les autres sont égaux. »), qui a assisté aux spectacles d’Elie & Dieudonné («- Hé, Bokassa, tes chimpanzés qui courent partout dans la résidence, ils sont numérotés ? – Faut pas s’énerver comme ça, Cohen, y’a pas marqué « palestinien » ! Je sais pas si c’est depuis qu’ils t’ont coupé la bistouquette, mais ça t’a rendu nerveux, Cohen ! ») et qui riait de bon cœur aux blagues des Inconnus (« La migration, c’est les oiseaux qui volent. L’émigration, c’est les arabes qui volent. »). Je dois même l’avouer – même si j’en ai honte aujourd’hui -, je rigolais bien quand Michel Leeb imitait l’africain.
 

 

Se poser la question est déjà un piège

 
Mais les blagues sur la Shoah, c’est autre chose. Personnellement je ne suis pas pratiquant, mais je peux à l’occasion être sympathisant. Lorsque Alain Granat, mon rédac chef de Jewpop, raconte une blague qui lui a été rapportée par un rescapé de la Shoah (« 2 petits vieux sont assis à un café, en chemisette, et voient chacun que l’autre a un tatouage sur le bras. « Vous avez été déporté où ? » dit l’un. « À Auschwitz. Et vous ? ». « Moi aussi. Vous avez été déporté quand ? » « En juillet 44, et vous ? » . « En août 43 ». « Oh vous n’avez rien loupé, rassurez-vous ».), et bien je dois confesser que ça me fait rire ! Je ne m’y risquerai pas (pas plus que je ne suis tenté de faire des blagues avec le génocide rwandais ou arménien par exemple) mais je peux comprendre qu’on ait envie de pratiquer cet humour transgressif. Sans pour autant être antisémite.
 
Laura Laune est-elle antisémite ? Se poser la question est déjà un piège. Il n’y aura pas de bonne réponse et surtout aucune bonne solution. À tous les coups on perd…
 
Pour conclure, je voudrais donner un peu de boulot au Crif. Allez-y messieurs, demandez le retrait de cette publication scandaleuse et antisémite : « Les israéliens sont appelés ainsi parce qu’ils sont juifs. C’est-à-dire qu’ils ont le nez crochu, les doigts crochus […]. Les juifs ne pensent qu’à gagner de l’argent en vendant des manteaux de fourrure. […] Israël est un pays assez laid et mortellement ennuyeux. Dedans, il n’y a rien, et autour, c’est plein d’arabes. La seule distraction des israéliens c’est The Lamentations Wall, une boîte en plein air où on peut twister contre un mur en lisant un truc genre Coran dont le nom m’échappe […]. On voit donc que les israéliens ne sont pas complètement nuls. Alors, comme disait Himmler en visitant Auschwitz sous une pluie battante : « Ne boudons pas notre plaisir ».
 
Ça s’appelle « Les Étrangers sont Nuls » et la première édition date de 1992. L’auteur s’appelle Pierre Desproges. Et il me fait toujours autant rire.
 
Pierre Acher
 
Lire toutes les chroniques de Pierre Acher sur Jewpop
 
© photos, visuels : Laura Laune / copies d’écran Facebook / DR
Article publié le 28 janvier 2018. Tous droits de reproduction et de représentation réservés © 2018 Jewpop

5 Comments

  1. Démonstration magistrale de l’auteur de cette chronique parfaite ! Merci Jewpop, ça fait du bien de vous lire par les temps qui courent !

  2. A force de hurler à l’antisémitisme dès que notre susceptibilité se trouve froissée, on finira par ne plus nous entendre quand nous dénoncerons les actes ou paroles vraiment antisémites. Le message c’est le média disait Mac Luhan, donc la portée humoristique d’une vanne est aussi liée à l’identité de celui qui la prononce. Du coup, dites par Dieudonné, ou lue sur le site de Solal, la vanne aurait eut un autre sens, c’est évident. Dites par un ami juif j’aurais ri sans problème (nous en racontons pas mal entre nous, non ? Ça s’appelle l’humour juif il parait). Mais en regard de l’humour grinçant de Laura Laune (que vous pouvez ne pas apprécier) (moi j’adore) et ne possédant aucun préjugé contre cette humoriste et bien ça m’a amusé. Concentrons-nous sur les vrais combats, ils sont nombreux.

  3. Je ne suis pas juif et cet article est excellent. Et je ris vraiment de tout avec les immenses talents que vous citez. Il faut différencier l’humour de l’intention de nuire. Si nous sommes tous des juifs, allemands, séropositifs et mélanchonistes (là j’y vais un peu fort donc je retire mélanchoniste de peur de choquer les intellectuels dont j’espère bien jamais faire partie.). Comme on disait dans les années soixante « Connais tu la plus courte histoire juive ? Dieu soit loué ! ». J’étais un ami de Michel Dreyfus-Schmidt et de Pierre Simon (120 boulevard Saint Germain) et nous pouvions rire de tout. Ne pas différencier l’humour de l’intention de nuire c’est comme pisser dans un violon avec des ressorts en bois. Et puisque le mot « con » choque aujourd’hui je lance derechef un nouveau mouvement que j’intitule ainsi « Balance ton mal comprenant ». ;-)))

  4. Excellent article !
    Pour rappel, le premier à avoir réagi sur Twitter est Hanouna qui a crié à l’antisémitisme à une heure de grande écoute..
    Je pense qu’un Hanouna oeuvre beaucoup plus pour l’antisémitisme que cette nouvelle artiste qui a utilisé un moyen comme un autre pour faire du buzz et se faire connaitre.

  5. Le plus antisémite, ce n’est pas cette gourdasse inculte , mais la chaîne publique française France -merde 2 qui a choisi de diffuser juste cet extrait ,et à l’heure de la plus grande écoute, le JT de 20h

Laisser un commentaire

Your email address will not be published.

S'abonner à la jewsletter

Jewpop a besoin de vous !

Les mendiants de l'humour

#FaisPasTonJuif